Les mondes miroirs de Philippine de Gréa
Extrêmement productive, l’écrivaine vaudoise publie en moyenne trois romans par an et jongle entre les styles. On lui doit les séries «Les chevaux d’Avenches» et «Marguerite et Madame de Staël», dont elle a publié le dernier tome l’an passé, mais aussi trois «P’tits atlas des cantons suisses», et deux – bientôt trois – romans pour la collection Frissons suisses, le tout publié aux éditions Auzou Suisse. Son secret pour imaginer autant de livres, malgré son travail de maman de quatre enfants? Elle n’écrit que sur les sujets qu’elle aime et qu’elle connaît bien.
Extrêmement productive, l’écrivaine vaudoise publie en moyenne trois romans par an et jongle entre les styles. On lui doit les séries «Les chevaux d’Avenches» et «Marguerite et Madame de Staël», dont elle a publié le dernier tome l’an passé, mais aussi trois «P’tits atlas des cantons suisses», et deux – bientôt trois – romans pour la collection Frissons suisses, le tout publié aux éditions Auzou Suisse. Son secret pour imaginer autant de livres, malgré son travail de maman de quatre enfants? Elle n’écrit que sur les sujets qu’elle aime et qu’elle connaît bien.
Philippine de Gréa… un véritable nom d’héroïne de roman, vous ne trouvez pas? Quand on a la chance de s’appeler comme ça, on ne peut pas se contenter d’une existence banale et ennuyeuse! Consciemment ou pas, l’écrivaine pense sans doute la même chose, puisque son quotidien est aussi diversifié qu’effervescent. «J’ai toujours aimé être active et je suis curieuse de tout», confirme-t-elle avec un grand sourire. «Même quand je vais promener le chien, j’en profite pour lancer des coups de fil ou réfléchir à la construction d’une histoire, j’ai toujours des pensées plein la tête». Fidèle complice de son esprit en ébullition, son gigantesque agenda vert et or, où elle note les scénarios de ses livres, les mémentos de ses multiples rendez-vous, ses invitations, ses menus de la semaine. Bref: «C’est toute ma vie», souligne-t-elle en me montrant différentes pages couvertes de notes. «J’y planifie aussi mes moments d’écriture, pour pouvoir sauvegarder le temps nécessaire. En général, je fonctionne par demi-journée, cela me permet d’être plus efficace».
Jonglage entre les tâches
C’est que la jeune femme n’a pas la possibilité de se pencher sans cesse sur son écran: elle est maman de deux filles et deux garçons âgés de huit à seize ans, chacun avec ses horaires d’école et ses loisirs – escrime, tennis, équitation... «Je remarque que mon entourage, et même certains amis, continuent de croire que je suis libre d’écrire quand je veux, et que mes journées sont calmes et faciles», dit-elle avec un soupçon d’amertume. «Mais en réalité, je suis sans cesse confrontée à une sorte d’arbitrage, durant lequel je dois décider quelle est la priorité des priorités du moment…». Il faut dire qu’elle règne également sur une vaste demeure et un non moins immense jardin aux allures de parc près d’Aubonne, et que ses tâches sont innombrables. «Mais je demande aux enfants de participer, et je dois dire qu’ils aident beaucoup et sont très indépendants», tient-elle à souligner. Quand elle a enfin une seconde pour souffler, c’est Alfie, son bouvier australien, qui requiert alors toute son attention, en lui donnant des coups de museau puis en posant sa tête sur ses genoux, la couvant d’un regard adorateur. «Allez, va-t’en», le réprimande-t-elle en tentant de le repousser doucement. Avant d’ajouter à mon intention, en roulant des yeux d’un air faussement exaspéré: «Nous l’avons adopté dans un refuge, et il recherche toujours ma présence quand il y a quelqu’un avec moi. Le reste du temps, heureusement, il me laisse tranquille!».
Alfie finit par s’éloigner à contrecoeur, laissant enfin à sa maîtresse la possibilité de me parler de ses titres nouvellement parus. Car Philippine de Gréa a certes un temps limité pour écrire, mais elle a la capacité d’en utiliser efficacement chaque seconde, et publie en moyenne trois livres par an. Parmi les derniers en date, Panique au Swiss Vapeur Parc est ainsi paru aux éditions Auzou Suisse dans la collection Frissons suisses en avril dernier, et la toute nouvelle aventure de sa série «Les chevaux d’Avenches», Noël au haras, a été publiée il y a quelques semaines. «En fait, un autre tome va paraître en avril prochain, je l’ai provisoirement intitulé Vacances au lac», annonce-t-elle en riant. «Et Pyromane, mon prochain ouvrage Frissons suisses, sortira en février 2025».
Une nomade de l’écriture
Mais quel est son secret pour être aussi productive? En réalité, elle en a trois: premièrement, elle a la capacité de se «mettre dans sa bulle» presque automatiquement, dès qu’elle en a l’occasion. «Lorsque j’ai une demi-journée à disposition, je peux rédiger un chapitre entier sans problème», souligne la jeune femme. «J’y ai déjà tellement réfléchi en amont que j’ai le scénario et les images dans la tête, et il ne me reste qu’à écrire l’histoire quand je me retrouve devant mon ordinateur. En général, le premier jet est déjà bon à nonante-cinq pour cent. Quand je commence un nouveau chapitre, je relis simplement le précédent et j’en profite alors pour corriger deux ou trois éléments, si nécessaire». Pour compléter ces rares moments de liberté, elle tire parti de chaque loisir où elle amène ses enfants et tape sur son clavier durant le cours. «En fait, je suis une nomade de l’écriture. Quand il fait beau, j’adore aussi travailler dans le jardin: j’y suis beaucoup plus productive, parce que je peux me couper de ce qui m’attend à l’intérieur. Et peut-être aussi parce que dehors, tout bouge tout le temps». Et d’avouer dans un éclat de rire: «Mais j’écris aussi beaucoup pendant les vacances, je crois que je ne suis pas comme les autres gens».
Son second secret, c’est qu’elle «écrit à l’aune de ses enfants»: «Comme j’ai la chance qu’ils soient d’âges différents, je n’ai qu’à penser auquel d’entre eux je raconterais mon histoire pour savoir immédiatement quelle écriture adopter et quels mots choisir. Et j’ai ainsi de bons sujets d’étude pour décrire les caractères de mes jeunes personnages…». Le troisième consiste à écrire uniquement sur des sujets qu’elle connaît bien. «C’est important pour moi que tout ce que j’écris soit possible et réaliste, et je mets beaucoup de moi dans mes histoires: je monte en effet à cheval depuis que j’ai neuf ans, et trois de mes enfants sur les quatre font aussi de l’équitation», détaille-t-elle ainsi. «Et j’adore le haras d’Avenches avec ses nids de cigognes sur les toits, que j’aimerais faire découvrir au plus grand nombre. C’est drôle, d’ailleurs: l’éditrice m’avait contactée au départ pour écrire une série sur la danse. Mais comme je n’y connaissais rien et que cela ne m’intéressait pas, j’ai proposé d’écrire plutôt sur l’équitation. J’aime être en accord avec moi-même, et je ne me vois pas écrire pour écrire».
Un lieu magique et inspirant
Quant au CERN, lieu où se situe l’aventure de son premier tome dans la collection Frissons suisses, elle l’a découvert avec émerveillement à seize ans, car les parents de certains de ses amis y travaillaient. «À l’époque, Harry Potter et les histoires de sorciers et de dragons n’étaient pas encore à la mode», souligne-t-elle. «Mais au CERN, il y avait une boule d’électricité géante, qui créait des éclairs quand on y posait les mains. J’ai trouvé ça magique et j’y ai passé des heures! C’est aussi là-bas que j’ai créé ma toute première adresse e-mail, alors que le grand public ne savait pas encore vraiment ce que c’était. C’est vraiment un endroit incroyable, un village à part entière avec sa propre équipe de pompiers».
Ce qu’elle ne dit pas, modeste, c’est que l’une de ses séries pourtant riche en détails n’est, elle, pas du tout basée sur son propre vécu: c’est celle de «Marguerite et Madame de Staël», dont elle a publié le sixième et dernier tome en juin 2023. Un récit historique se situant au XVIIIe siècle, qui raconte l’histoire à rebondissements d’une enfant partiellement amnésique de 11 ans qui, recueillie par Madame de Staël, va déjouer nombre de complots et résoudre bien des mystères. La série est non seulement extrêmement bien documentée – c’est d’ailleurs l’autrice elle-même qui a tenu à fournir tous les modèles, afin que les illustrations soient les plus fidèles possibles à la réalité de l’époque –, mais également rédigée en utilisant le vocabulaire et le phrasé d’alors. Une restitution soigneuse et réfléchie, que Philippine de Gréa estime absolument essentielle: «On ne peut pas utiliser le vocabulaire du vingtième siècle pour une histoire qui se passe au dix-huitième», souligne-t-elle avec feu. «J’aime les mots désuets et compliqués, et je trouve important de pouvoir immerger les lecteurs dans l’ambiance de l’époque. Je trouve que la langue française s’appauvrit peu à peu, et je pense que c’est quasiment une question d’intérêt public que les livres continuent de permettre aux enfants d’apprendre du vocabulaire et des éléments de culture générale. Car c’est bien dommage si on ne se cultive pas par le biais de la lecture».
Une mission qui lui tient à cœur
Convaincue que les auteurs ne peuvent pas se contenter d’écrire «de manière simpliste», elle martèle que ces derniers, ainsi que les éditeurs, «ont une énorme responsabilité, car ils forment la manière de penser des jeunes et leur façon d’être plus tard». «Offrons-leur ainsi un vocabulaire châtié et une littérature qui leur apporte quelque chose!», ajoute celle qui, depuis qu’elle a huit ans, se rêvait journaliste ou écrivain. C’est ainsi qu’elle milite aussi auprès de ses propres enfants, prônant le comportement adéquat et le mot juste. «Mais il faut choisir ses batailles, et si je lutte au quotidien pour qu’ils s’expriment bien, j’ai en revanche lâché sur certaines tenues vestimentaires, comme les trainings et pantalons cargo que j’accepte qu’ils portent en classe, mais que je bannis à la maison».
Très investie, Philippine de Gréa adore se rendre dans les écoles et proposer des ateliers, afin de faire découvrir aux enfants la vie au XVIIIe siècle: «J’ai une robe de l’époque qui fait toujours beaucoup d’effet, et je leur montre aussi des éventails anciens qui viennent de ma famille, ainsi que des bourses et un écritoire. Je leur raconte également que les enfants ne mangeaient alors pas avec leurs parents, et n’avaient pas le droit de parler à table. Je pense que les élèves aiment bien voir les choses différemment et j’adore ces moments d’échange, ainsi que les dessins qu’ils font souvent durant le cours, ou m’envoient après». Mais sa série remporte autant de succès auprès des jeunes que des adultes. «J’ai de vrais fans, et je pense que c’est une série qui va durer très longtemps, car les gens continuent de l’acheter», confirme-t-elle fièrement. «J’ai d’ailleurs envie de faire un jour un gros tome supplémentaire, avec une Marguerite plus grande. Mais si j’étais libre de faire ce que je veux, je referais d’abord toutes les couvertures, que je trouve trop enfantines, alors que ce sont des histoires d'espionnage destinées à tous.».
L’arrivée de sa fille cadette interrompt notre discussion: il est temps pour l’écrivaine de réendosser son rôle de maman, jusqu’à sa prochaine parenthèse de liberté. «Quand mes enfants grandiront, je ne pense pas que je continuerai à écrire de la littérature jeunesse, car je n’aurai plus de sources d’inspiration», conclut-elle avec conviction. Mais connaissant son quotidien si riche, et sachant qu’il suffit «que quelqu’un bouge ou dise quelque chose» pour qu’une idée d’histoire lui vienne en tête, nul doute qu’elle trouvera de quoi alimenter de nouveaux récits durant de nombreuses années!