Marie Colot: «Tous mes livres viennent de quelque chose qui me touche.»
Ricochet a rencontré Marie Colot, une autrice belge qui brillait déjà… avant que son album Mori ne soit sacré Pépite fiction junior 2024 au dernier salon SLPJ de Montreuil.
Ricochet a rencontré Marie Colot, une autrice belge qui brillait déjà… avant que son album Mori ne soit sacré Pépite fiction junior 2024 au dernier salon SLPJ de Montreuil.
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Une pépite, explique le dictionnaire Larousse, est une «chose dont l’exceptionnelle qualité attire l’attention». Mori, le roman graphique écrit par Marie Colot et illustré par Noémie Marsily, a été jugé meilleur livre de l’année dans la catégorie fiction junior au dernier salon SLPJ de Montreuil. Venir d’un pays pluvieux n’a nullement empêché l’autrice Marie Colot de se faire, depuis une quinzaine d’années, une belle place au soleil dans la littérature jeunesse francophone. Le 5 novembre dernier, Norbert, son quarantième livre, a été publié. La pépite fiction junior 2024 est venue consacrer une voix littéraire qui avait déjà remporté maintes distinctions, et pas des moindres. En 2020 par exemple, Deux secondes en moins (écrit à quatre mains avec Nancy Guilbert) était lauréat des «Incorruptibles», du «Farniente» et d’une dizaine d’autres prix, tandis que Jusqu’ici tout va bien recevait le «Victor».
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Un botaniste japonais et des micro-forêts
Mori est l’aboutissement d’une proposition de l’éditrice (française) Odile Flament, directrice littéraire de la maison d’édition (belge) CotCotCot. «Nous avions travaillé ensemble sur Des mots en fleurs, un roman pour petits écolo-poètes sur un jardinier qui cultive des mots», raconte Marie Colot, «et j’avais publié 113 raisons d’espérer chez Magnard, un livre qui traite de l’éco-anxiété. Quand Odile m’a proposé d’écrire sur le botaniste japonais Akira Miyawaki, l’inventeur du principe des micro-forêts, je n’ai pas hésité une seconde». La «méthode Miyawaki» est une technique de reboisement particulièrement efficace qui peut être utilisée sur de très petites surfaces de plantation. Elle permet notamment de créer des mini-forêts urbaines qui constituent de vrais réservoirs de biodiversité.
D’habitude, Marie Colot préfère éviter les commandes, mais ce cas-ci était différent: «Tous mes livres viennent de quelque chose qui me touche», explique l’autrice, «et Mori fait définitivement partie de cette catégorie». L’illustratrice Noémie Marsily, belge également, avait déjà fait ses preuves en BD et en cinéma d’animation. «L’éditrice et moi aimions beaucoup son travail, notamment sur la BD Memet», commente Marie Colot, avant de s’exclamer: «Son travail d’illustration pour Mori est tout simplement fantastique».
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L’autrice qui ne s’est jamais rendue au Japon n’a-t-elle pas craint de raconter une histoire se déroulant à Tokyo? «L’accompagnement de l’éditrice, qui connait le Japon, a été précieux», répond Marie Colot. «Elle a proposé d’ajouter des mots et des onomatopées qui montrent la saveur de la langue japonaise. Et Morgane Laborde, spécialiste du Japon, a relu le texte». «Quand on écrit», conclut une Marie Colot philosophe, «on apprend à recevoir tous types de retours de la part des lecteurs et lectrices et à être confronté à des critiques».
«Je crois au pouvoir des histoires»
Le botaniste japonais qui a développé les mini-forêts a réellement existé, mais Marie Colot a préféré en parler par le biais d’une fiction: «Je crois au pouvoir des histoires, même pour raconter des choses bien réelles», explique-t-elle. Une suite bien réelle de l’existence de l’album: Akira Miyawaki est décédé en 2021, mais l’activiste Nicolas de Brabandère, créateur des premières micro-forêts en Belgique, a profité d’une rencontre avec l’assistante du botaniste japonais en octobre 2024 pour lui remettre un exemplaire de Mori. «Elle souhaiterait que l’album soit traduit en japonais», se réjouit Marie Colot. Autre fruit bien concret de la publication de Mori: «En février l’association Boomforest nous invite à Joinville-le-Pont, pas seulement pour des rencontres scolaires mais aussi pour planter des arbres pour donner naissance à une micro-forêt».
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Lorsque les élèves d’une classe de CE2 du Lycée Français de Francfort[1] lui demandent d’où elle tire l’inspiration de ses histoires, la réponse de Marie Colot fuse: «Du quotidien et du monde qui nous entoure». Avant de préciser: «À un moment, je vais voir ou entendre quelque chose qui va m’interpeller et me faire réfléchir. Les idées sont partout». Les enfants ont lu Sa maison en carton, l’histoire d’Ernest qui, sur le chemin du retour de l’école, croise une femme sans domicile fixe accompagnée de son chien.
Une «rencontre manquée», point de départ d’un album
«J’habitais à Bruxelles à proximité d’une grande gare et je croisais des SDF quotidiennement», raconte Marie Colot. «Un jour, une femme à l’air désorienté m’a touchée, pourtant, j’ai passé mon chemin, comme la plupart des gens. Rentrée chez moi, mon inaction m’a mis en colère contre moi-même». La décision d’écrire une histoire qui se passerait dans la rue est venue de cette «rencontre manquée» mais aussi de la réflexion d’une enfant. L’album Sa maison en carton est dédié à Romane: «Il s’agit de la fille de mon mari qui avait alors votre âge», raconte Marie Colot aux élèves. «On avait discuté du sans-abrisme et elle m’avait dit son souhait d’ouvrir plus tard un hôtel gratuit pour pouvoir les accueillir. Du haut de ses neuf ans, elle avait en quelque sorte trouvé sa solution. Cela m’avait impressionné d’autant que je n’avais pas trouvé la mienne».
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Même si la publication de Sa maison en carton ne va pas régler le problème des SDF, l’album permet de sensibiliser le jeune public. À Francfort, les élèves du Lycée Victor Hugo n’ont pas seulement reçu Marie Colot, mais également des membres d’une association qui vient en aide aux personnes en situation de précarité. Une collecte a été organisée au sein de l’école et une aide logistique apportée. Cet exemple montre comment des livres de fiction sont capables de faire bouger les lignes concrètement auprès de leurs lecteurs et lectrices.
Des tatouages et des voyages
Lors de la rencontre au Lycée Français, Marie Colot enlève son pull afin de satisfaire la curiosité des élèves pour les tatouages qui recouvrent l’entièreté de son bras gauche. On y retrouve pêle-mêle une poupée russe, une plume, une pièce de puzzle, une baguette magique… Chacun a une histoire, que l’autrice raconte volontiers à la classe fascinée. Pas sûr que les parents apprécieront autant.
Elle est pour la première fois à Francfort et elle trouve cela formidable que ses livres la fassent voyager. «L’an dernier j’ai eu l’opportunité de passer deux semaines à Kinshasa dans le cadre de la Fête du livre. J’y ai rencontré des enfants et des adolescents dans des écoles congolaises et internationales, et j’ai pu échanger avec plusieurs artistes africains, c’était passionnant».
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Et si ça existait a été traduit en allemand, et certains de ses livres comme Ma musique de nuit et Mamie, ça suffit! sont lisibles en chinois ou coréen. Une traduction récente de Dans de beaux draps, un livre sorti il y a près de dix ans, fait actuellement vivre à cette histoire de Marie Colot une seconde vie au Brésil.
Laisse-t-elle trop peu de liberté à ses personnages?
Lors d’une autre rencontre organisée à Francfort dans la bibliothèque «Au plaisir de lire» avec une classe d’adolescents et adolescentes, une collégienne interroge Marie Colot sur la relation qu’elle entretient avec les personnages de ses histoires. «Nous sommes très proches», répond l’autrice qui écrit souvent à la première personne. Si proches qu’elle se demande parfois «si je leur laisse suffisamment de liberté», sourit Marie Colot, qui explique écrire à la fois pour oublier qui elle est mais aussi pour se retrouver. «Au lieu de Marie Colot, Belge âgée de quarante-trois ans, je peux devenir Mikiko, Japonaise âgée de quatre ans».
«Ce qui rend un personnage réel et vivant», poursuit Marie Colot, «c’est quand comme nous tous il fait des choses contradictoires». Ce qui est sûr, c’est que ses projets de livres ne démarrent pas avec une idée, mais avec un ou une protagoniste: «Il me faut nécessairement un personnage et la justesse de ses émotions pour débuter», explique-t-elle.
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«Est-ce qu’elle s’identifie à Clara, l’adolescente témoin d’une agression et restée inactive dans Je ne sais pas?», veut savoir une autre adolescente francfortoise. «Oui», répond l’autrice, «mais je m’identifie également à sa mère ou au policier de l’histoire». L’inspiration pour ce roman est venue d’une étude sociologique, «l’effet du témoin», qui montre que plus on est entouré, moins on a des chances d’être aidé lors d’une agression.
Eden, fille de personne reste sa fille à elle
«Quand se fait le choix du titre?», demande un jeune. «Toujours à la fin du processus d’écriture », répond Marie Colot. «J’ai commencé une seule fois par-là, pour Jusqu’ici tout va bien et ensuite j’ai mis sept années à écrire l’histoire», explique-t-elle, «ce n’était visiblement pas une bonne idée». Eden, fille de personne devait s’appeler Fille de personne mais comme ce titre existait déjà, la maison d’édition a ajouté le prénom. Ce qui n’a nullement empêché l’histoire de trouver son public et de remporter le Prix Libbylit en 2022. «Eden reste en moi», continue Marie Colot, «je n’écrirai plus sur elle mais elle continue de m’accompagner de manière particulière».
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Les Colot sont des collectionneurs. Grâce à ce trait de famille, Marie Colot peut montrer aux élèves les livres qu’elle a confectionnés à l’âge de six ans, Minou en vacances et Adrien fait des bêtises: «Je les dictais enfant à ma maman, qui les a conservés». Son grand-père a joué un rôle dans le choix de son métier d’autrice: «Il écrivait», explique Marie Colot, «et j’en ai gardé un souvenir fantastique. C’est lui qui m’a donné le goût du bon papier, d’un beau stylo et de l’odeur des livres».
Premier manuscrit envoyé le jour de ses 30 ans
«J’ai envoyé un premier manuscrit, celui de En toutes lettres, à des maisons d’édition le jour de mes trente ans, comme si je me faisais un cadeau d’anniversaire», raconte Marie Colot. Depuis elle n’a pas chômé, publiant 40 livres en 13 années. Sans oublier que, comme elle le précise: «Toutes mes histoires ne deviennent pas des livres». «J’espère m’améliorer avec le temps», commente Marie Colot avant d’ajouter en riant: «Si je relisais aujourd’hui mon premier roman je m’évanouirais probablement».
«Je n’écris pas avec des idées mais avec des mots», précise l’autrice qui, plutôt que de donner des réponses, préfère que le lecteur ou la lectrice, quand il ou elle referme le livre, «se pose davantage de questions qu’au départ».
Elle est elle-même une grande lectrice et elle lit beaucoup de livres estampillés jeunesse – «davantage par plaisir que pour voir ce que font les autres», précise-t-elle en souriant. Matilda de Roald Dahl est son roman jeunesse préféré, ce qui ne manque pas de la surprendre: «D’habitude je préfère les histoires réalistes, mais ce livre a tellement marqué mon imaginaire d’enfant qu’il reste très important pour moi».
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Une relation particulière la lie à l’illustratrice belge Françoise Rogier avec laquelle elle a déjà fait quatre livres, tous publiés chez À pas de loups: Mamie, ça suffit! en 2020, La forêt de travers en 2021, Nos amies les bêtes en 2023 et Toute une montagne en 2024. «Nos univers se répondent bien», commente Marie Colot, «nous partageons ce goût pour l’humour et cette envie de proposer des livres avec plusieurs niveaux de lecture».
«Mes livres sont pour tout le monde»
Elle n’a pas vraiment décidé d’écrire pour les plus jeunes: «Comme mes personnages sont des enfants ou des adolescents, je suis publiée en jeunesse, mais mes livres sont – je l’espère – pour tout le monde». Marie Colot conclut qu’elle trouve regrettable que «dans les termes "littérature jeunesse", on a trop souvent tendance à oublier qu’il y a le mot littérature». Heureusement que Mori la Pépite et les 39 autres livres qu’elle a écrits sont là pour le rappeler.
[1] Marie Colot a été invitée pour diverses rencontres dans des écoles allemandes et à la bibliothèque «Au plaisir de lire» à Francfort sur le Main. Elle en a profité pour intervenir dans le cadre de l’initiative «auteurs et autrices à l’école» du Lycée Français Victor Hugo et de son association de parents UPEA. Wallonie Bruxelles International et l’Institut français Frankfurt ont rendu le voyage de Marie Colot possible.