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Menaces sur l'avenir du prix Bernard Versele

Mis en ligne le 8 juillet 2012
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Le Prix Bernard Versele est une de ces spécialités belges que le monde nous envie, à raison. Que certains tentent de copier, sans jamais y arriver. Est-il voué à disparaître? L'inquiétude est grande en Belgique, et en France, où non seulement il est également organisé mais d'où sont originaires de nombreux lauréats.





Le prix Bernard Versele est un prix de littérature de jeunesse qui existe depuis plus de trente ans, le  prix « chouette »  a-t-on longtemps dit. Il appartient à la Ligue des familles, une association sans but lucratif belge active dans le domaine familial.





Il est né en 1979, année internationale de l'enfant, sous l'égide de Jacques Zwick. Son nom est l'hommage que le directeur de l'époque a voulu rendre à un jeune psychologue mort accidentellement l'année précédente.

Bernard Versele s'intéressait aux enfants dès la crèche et à la culture qui pouvait leur être proposée. Il avait travaillé et réfléchi sur la création d'un label de qualité pour les jouets et les livres d'enfants. Lui et une petite équipe avaient formé ce pari un peu fou : chaque année, faire voter les enfants pour leurs livres préférés. A ce moment, c'était suffisamment rare pour être remarqué et encouragé, ce que la Ligue fit remarquablement. Le destin lui a coupé les ailes. Mais son nom demeure, associé à une entreprise de qualité qui a aujourd'hui dépassé les trente ans!

La principale particularité du prix Bernard Versele est qu'il compose le plus grand et le plus jeune jury littéraire de l'univers. Les années fastes, 60.000 enfants entre 3 et 13 ans y ont pris part.

Mais chacun est libre de lire dans la catégorie d'âge qu’il souhaite, ce qui a permis de jolies scènes de découverte tardive de la lecture : un "grand" de 12 ans, rebelle aux livres, apprenant par exemple tout d’un coup les lettres pour lire tout haut des livres aux petits en maternelle.

L'exercice 2012, qui a souffert comme les quatre précédents, de restrictions diverses, alignait quand même plus de 45.000 votants! Pas mal même s'il y en avait 2.000 de plus l'année avant! Car on peut estimer à plus du double le nombre d'enfants qui lisent les livres sans prendre part au vote. Faute de temps, par négligence, oubli, désintérêt, ou parce qu'ils n'ont pas trouvé l'accès au vote en ligne sur le site de la Ligue des Familles. Ce dernier point, on ne peut le leur reprocher, tant nous avons souvent peiné à nous y retrouver.


Le plus simple serait évidemment de prévoir un onglet et un lien Prix Bernard Versele dès la page d'accueil du site de la Ligue, www.citoyenparent.be. Une demande répétée avec insistance depuis des mois si pas des années et qui semble s'être en ce moment concrétisée. En page d'accueil, un fil info tout neuf présente les résultats du prix Bernard Versele 2011-2012! On verra si, à la rentrée, le 2013 sera mis en avant de la même façon.




L'autre particularité de cette manifestation qui couvre toute l'année scolaire, c'est que les vingt-cinq titres actuellement présentés aux enfants (c'était trente jusqu'à il y a quelques années), cinq pour chacune des cinq catégories d'âge, sont choisis par plusieurs centaines de bénévoles tout au long d'un processus démocratique s'étendant sur plusieurs années. Les canaux de diffusion des titres sont multiples, bibliothèques publiques ou des établissements scolaires, achats par les écoles ou par les profs, par les parents parfois ou par les librairies jeunesse qui prêtent ou louent les sélections.


Exemple. Nous sommes en juillet 2012. En septembre, l'édition 2012-2013 deviendra effective. Les enfants auront à leur disposition les titres sélectionnés. Mais c'est de justesse cette fois-ci: la commande vient seulement d'être passée en librairie. Comme si on pouvait, sous prétexte d'efficacité et de budget limité, songer en juin à faire un appel d'offres pour cette édition-ci.

Tout au long de l'année scolaire, les enfants sont invités à lire les titres sélectionnés, dans leur catégorie d'âge ou dans une autre, et à voter pour leurs préférés. Des bénévoles sont bien sûr encore là en soutien, quelle énergie, toutes ces petites fourmis! C'est une très belle mise en contact avec une littérature de jeunesse de qualité et un apprentissage de la démocratie, le vote de l'un n'étant pas forcément le vote de l'autre.

Fin avril, les votes sont clôturés et les décomptes livrent leur verdict.


La proclamation du palmarès du prix Bernard Versele a été pendant de très nombreuses années un événement culturel et festif particulièrement original: les auteurs des livres primés étaient invités début juin à Bruxelles à assister à la mise en scène théâtrale que différentes classes proposaient de leurs albums ou de leurs romans.


En 2007, c'était Chocotoff, une radio d'enfants qui avait superbement animé la cérémonie.



2007, avec Radio Chocotoff.  © Le Soir




Malheureusement, depuis 2008, cette remise festive subsidiée par la Cocof Commission communautaire française) a été annulée par le nouveau directeur de la Ligue des familles, Denis Lambert.


La communication autour du palmarès, privé désormais de dotation, a depuis diminué d'année en année. Au point que plus rien n'a été signalé du tout en ce mois de juin 2012. Il a fallu guetter la liste des lauréats, apparue sans tambour ni trompette, un matin sur le site de la Ligue!


Mais reprenons notre calendrier. C'est également en septembre que les bénévoles arrêtent leurs premières présélections de seize titres par catégories d'âge pour l'édition 2013-2014. Plusieurs bibliothèques font alors l'acquisition de ces listes de livres pour les mettre à la disposition des bénévoles qui, au printemps suivant, 2013 dans ce cas, restreindront leurs choix à cinq livres seulement par tranche d'âge. Toujours le souci de faire participer le plus grand nombre.



Bénévoles au travail.  © S.V.D.L




C'est encore en septembre enfin que s'amorce le travail de présélection pour l'édition 2014-2015, le prix de vente d'un livre étant un des critères de cette opération qui veut rendre accessible au plus grand nombre une littérature de qualité.


Et c'est là que les choses coincent.


Depuis le début de l’année 2012, plus de deux cents bénévoles s’inquiètent d’éventuels changements dans l’organisation de leur prix chéri. Ils ont envoyé en avril une motion collective de désarroi aux membres du Conseil d’administration de la Ligue des familles, qui a été suivie de rendez-vous. Début juin, tous ces passeurs de livres enthousiastes ont distribué des tracts appelant les membres de l’assemblée générale à encore réfléchir.

Car ils redoutent le changement de fonctionnement envisagé un moment dans la présélection des titres : il ne serait plus fait appel à une équipe indépendante et compétente mais il serait proposé aux éditeurs de fournir une centaine d’exemplaires de titres qu’ils choisissent, sous réserve d’acceptation par un comité!

Les bénévoles craignent à raison qu’une transformation aussi radicale du prix lui fasse perdre son âme. Et eux qui sont au contact de tous les enfants de tous les coins de Belgique savent qu’une lecture de qualité, albums ou romans, passe par l’école, la bibliothèque et la famille.


De rendez-vous remis en réunion sans décision, les choses n'ont guère avancé. La prochaine édition devrait être garantie, mais les suivantes?


Les craintes se multiplient dont celle de la famille de Bernard Versele. Elle sait qu’elle n’a officiellement rien à dire mais s’inquiète par la voix de Paul Versele, frère cadet, à l’idée que Bernard Versele serait « enterré une seconde fois. Mon frère n’a rien inventé mais il s’est tourné vers l’enfance à une époque où on le faisait peu. Son geste ne peut être trahi aujourd’hui. La Ligue des familles doit protéger ce prix de culture et de démocratie. »


Questions en France aussi où on demande ce que fait le ministre de la Culture belge. Pas grand-chose parce que le contrat-programme qui lie Fadila Laanan, elle qui a créé le premier Grand prix triennal de littérature de jeunesse belge, à la Ligue des familles ne mentionne que des actions d’éducation permanente vis-à-vis des adultes. Et rien spécifiquement à propos du Prix Versele.

Mais des mauvaises langues font remarquer que le montant des subventions a été établi du temps où la Ligue avait bien plus de membres qu’aujourd’hui.


D’autres se demandent si le prix doit rester à la Ligue dans ces conditions. Denis Lambert, son directeur général, rappelle à toute occasion que « le prix Bernard Versele appartient à la Ligue des familles » mais précise qu’ « il n’a pas de ligne budgétaire spécifique pour lui ».

La Cocof (Commission communautaire française) est toujours prête à subsidier cette action qu’elle a soutenue jusqu’à l’arrivée de Denis Lambert mais ce dernier préfère ne plus rien lui demander.


Le directeur a aussi annoncé l’organisation d’une journée de réflexion, un forum, sur la place de la culture dans son mouvement le 22 septembre. C’est-à-dire au moment où se clôturent les premières présélections pour l’édition 2014 et où s’amorce le travail pour 2015. Les bénévoles et les membres se laisseront-ils convaincre de s’y rendre ? Certains chats échaudés par trop de réunions reportées craignent que ce soit une nouvelle façon de remettre des décisions cruciales à plus tard. Ou à trop tard.


Et c'est ici que les choses s'organisent.


Une page Facebook a été créée par Les amis du prix Bernard Versele avec une jolie petite chouette verte qui lit. Il serait évidemment magnifique qu'elle soit rejointe par des milliers de sympathisants, si vous voyez ce que je veux dire...

Dans le descriptif de la page, on trouve un historique du prix et un état des lieux sur les nuages qui assombrissent son avenir.

Sur le mur, des dizaines d’appels et de témoignages d’auteurs, de lauréats, de liseurs…





Une pétition a été mise en ligne sur le site www.petitions24.net, Appel pour le Versele.


Si le prix Bernard Versele n'a pas son égal en francophonie (les prix Tam-Tam français ou Enfantaisie en Suisse, également décernés par des enfants, sont bien plus petits), plein de sites français relaient néanmoins sa situation,

Claude Ponti, dans un billet plein de colère sur le site du Muz

Sophie Van Der Linden sur son site

L'école des lettres sur son blog

et d'autres...


En attendant d'être fixé sur le futur, l'édition 2013 semblant actuellement sauvée et assurée d'être organisée « à l'ancienne » (c.f. les présélections ci-dessous), voici le palmarès 2012 complet, prix et labels (45.710 votes).



 
Catégorie 1 chouette

 
Prix : Un livre, de Hervé Tullet (Bayard)





Label : Petit gorille, de Ruth Lercher Bronstein (Circonflexe)





Catégorie 2 chouettes

 
Prix : Les deniers de Compère Lapin, de Michèle Simonsen et Magali Le Huche
(Didier Jeunesse)





Label : L'écureuil et la première neige, de Sébastien Meschenmoser

(Minedition)





Catégorie 3 chouettes

Prix : Faim de loup, d'Eric Pintus et Rémi Saillard (Didier Jeunesse)





Label : Docteur Fred et Coco Dubuffet, de Catharina Valckx

(Mouche de l'école des loisirs)





Catégorie 4 chouettes

Prix : Le son des couleurs, de Jimmy Liao (Bayard)

 




Labels ex-aequo :

Le schmat doudou, de de Muriel Bloch, illustré par Joëlle Jolivet

(Syros, Paroles de conteurs-Petites oreilles)





Wa Zo Kong, de Benoît Jacques (Benoît Jacques Books)





Catégorie 5 chouettes

Prix : Les Willoughby, de Lois Lowry (Neuf de l'école des loisirs)





Label : L'enfant de la jungle, de Michael Morpurgo

(Gallimard Jeunesse)

 




Et voici les présélections pour 2013, les choix commencent à la prochaine rentrée scolaire et durent jusque fin avril.


Catégorie 1 chouette

1. Orange Book 1,2…14 oranges, de Richard Mc Guire (Albin Michel Jeunesse)

2. Où est passé papa ?, de Taro Gomi (Autrement Jeunesse)

3. Heureusement, de Remy Charlip (MeMo)

4. A-A-A-A-Atchoum !, de Philip C. Stead et Erin E. Stead (Kaléidoscope)

5. Dans l'herbe, de Yukiko Kato et Komako Sakaï (L'école des loisirs)

Catégorie 2 chouettes

1. Tétine Man, de Christophe Nicolas et Guillaume Long (Didier Jeunesse)

2. Billy le môme, de Françoise de Guibert et Ronan Badel (Thierry Magnier)

3. Préférerais-tu…, de John Burningham (Kaléidoscope)

4. Haut les pattes !, de Catharina Valckx (L'école des loisirs)

5. Sur ma tête, d'Emile Jadoul (Pastel)

Catégorie 3 chouettes

1. Hardi Hérisson et autres poésies russes, illustrées par Delphine Chedru (Albin Michel Jeunesse)

2. Les Listes de Wallace, de Barbara Bottner et  Gérald Kruglik, illustrées par Olof Landström (Casterman )

3. L'ours et le chat sauvage, de Komako Sakaï et Kazumi Yumoto (L'école des loisirs)

4. Le mouton botté et le loup affamé, de Maritgen Matter et Jan Jutte  (L'école des loisirs)

5. Ma petite voiture rouge, de Peter Schössow (Seuil Jeunesse)

Catégorie 4 chouettes

1. Le secret de Garmann, de Stian Hole (Albin Michel Jeunesse)

2. De quelle couleur est le vent ?, d'Anne Herbauts (Casterman)

3. Les enfants, le shérif et les affreux, de Mathis (Thierry Magnier)

4. Lettres à plumes et à poils, de Philippe Lechermeier et Delphine Perret (Thierry Magnier)

5. Le jeu des sept cailloux, de Dominique Sampiero et Zaü (Grasset Jeunesse)

Catégorie 5 chouettes

1. L'Arbre Rouge, de Shaun Tan (Gallimard Jeunesse)

2. Babyfaces, de Marie Desplechin (L'école des loisirs)

3. Les sorcières de Skelleftestad, tome 1, de Jean-François Chabas (L'école des loisirs)

4. Noir et Blanc, de David Macaulay (Le Genévrier)

5. Le maître des estampes, de Thierry Dedieu (Seuil Jeunesse)


 
Cet article a été publié sur le blog de Lucie Cauwe et est reproduit sur ricochet-jeunes.org dans le cadre d'une collaboration régulière. Lucie Cauwe est journaliste au Soir de Bruxelles et spécialiste de l'édition pour la jeunesse. Nous sommes très heureux de pouvoir proposer ses articles aux lecteurs de Ricochet.
 
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