Aller au contenu principal
Espace publicitaire
Fermer

Rechercher un article ou une interview

Date

«Ouvrez ou fermez»

mais ne restez pas là planté comme ça, entre deux portes!

main article image
Claude Lapointe
3 septembre 2010


L’illustration est habituellement accompagnée d’un texte.

Un dessin est rarement «sans paroles».

Aussi, la plupart du temps, le dessin n’a la nécessité d’être très précis, d’être monosémique. C’est tout à fait compréhensible, tout à fait normal.

Le texte a son rôle à jouer dans la lecture de l’image.

Très souvent le rôle d’en fixer le sens.


Pourtant plus l’image porte un sens précis, plus elle est claire et plus elle peut jouer avec le texte, le relancer, le contredire, être en décalage.

Et puis un illustrateur, pour son propre bagage, peut vouloir affiner, préciser son vocabulaire, sa grammaire graphique personnelle.

Et puis certaines images, dans certains cas, dans certaines circonstances, comme le dessin dit «sans parole», se doivent d’être précises, d’être monosémiques.


Comment apporter cette qualité au dessin ?

A partir d’un vocabulaire graphique des plus simples j’ai trouvé d’excellents sujets pour traiter le problème en proposant aux jeunes illustrateurs de représenter ces gestes qui portent d’emblée une ambiguïté, facilement interprétables de deux manières quasiment opposées. Tels que : mettre ou enlever sa veste, lacer ou délacer ses chaussures. Comme ouvrir ou fermer une porte, par exemple ici.




Vous êtes bien d’accord, ce dessin peut vouloir dire ouvrir ou fermer.

La preuve, quand le texte propose un sens, le dessin apparaît tout à coup comme évident.





On peut affirmer dans ce cas que le texte fait lire avec précision un dessin ambigu, lui enlève sa polysémie.

Quoi faire pour que le dessin seul, soit plus exact, plus pertinent ?


Je me souviens de l’exercice traitant de ce problème que j’avais donné en atelier, en choisissant un autre geste de cette catégorie à double lecture : poser ou prendre un objet.

Sans donner l’objectif final de l’exercice, j’ai demandé aux étudiants de représenter «Un personnage posant un colis sur une chaise».

La grande majorité des dessins produits ont été de la nature de celui-ci.





On s’aperçoit très vite que ce geste peut exprimer tout autant «prendre un colis» que «poser un colis». Et comme dans l’exemple précédent, avec la porte, quand le texte est associé au dessin, l’ambiguïté est levée.





Par quel bout prendre ce dessin pour être plus précis ?

Après avoir vérifié et admis la polysémie de l’image, l’étape suivante de l’exercice a été de déterminer les points sur les quels l’illustrateur peut agir.

Nous avons pointé :

l’attitude générale

la position des bras et des mains

la position des pieds et des jambes

la position du buste

l’axe de la tête

l’orientation du regard

la lumière et les ombres

le choix du moment du geste

sur le graphisme

sur l’expression, éventuellement





La discussion sur ces points générera deux dessins très différents, l’un pour poser et l’autre pour prendre.

Pour «poser», le regard (donc la tête, le buste) vise l’endroit où déposer le colis, les mains laissent glisser l’objet, le graphisme affirme la chaise, le moment se situe juste avant la pose, le corps «tombant» un peu vers l’avant, la lecture de gauche à droite, etc.

Pour «prendre», le regard (donc la tête, le buste) anticipe vers le trajet à faire, les mains prennent le colis par dessous, un pied est déjà orienté vers le trajet à faire, le cadrage ouvre l’espace à droite, le graphisme atténue la chaise, etc.

Voici les deux dessins réalisés après l’analyse des gestes.

La précision sur le sens est indéniablement plus grande.





À partir de là, les jeux avec le texte sont plus riches, plus variés. Un exemple :

si au deuxième dessin ci dessus, qui exprime prendre, vous accolez un texte donnant le sens de poser, alors vous créez un effet menant le lecteur à se demander pourquoi le personnage agit ainsi, semblant s’interroger, être inquiet. Cette lecture voulue ou fortuite peut être créative, décalée, surprenante, ou gênante.

En revanche, et plus classiquement, si l’image précise est accompagnée d’un texte précisant le même sens, la possible redondance qui en découle est à prendre en compte selon les objectifs de lecture que l’on se donne. Là on peut être amené à élaguer le texte.


Pour revenir au sujet, il faut noter que cette recherche de précision du dessin est indépendante du trait, du style graphique. Un style réaliste ou un style peu réaliste, très graphique, peuvent bénéficier de la même démarche.





Bien sûr, pendant la réalisation d’une illustration, on ne va pas se poser à tout moment la recherche de l’exactitude du dessin. Elle gênerait sans doute le travail, elle ferait perdre de la spontanéité chez ceux qui en ont le besoin. Et puis comme je le disais au début, le texte donne souvent le sens.

Dans certains contextes pourtant, la démarche vers la précision devrait être nécessaire et obligatoire : pour éviter que les bricoleurs ne hurlent devant leurs modes d’emploi incompréhensibles, pour éviter les cris des dames offusquées de voir arriver dans leurs toilettes un homme qui a confondu les pictogrammes homme et femme.


Allez, c’est quand même mieux de savoir ouvrir ou fermer sa porte !

A moins d’aimer le dérapage, le doute, le trouble...


Claude Lapointe
27 août 2010