Quand les romans se créent en famille
Chez les Vuataz, les histoires se conçoivent à quatre mains: Nadine, la maman, écrit les aventures passionnantes et mouvementées des jeunes héros Sibelle et Arthur. Son fils Lucas se charge d’illustrer ses récits et d’apporter une identité visuelle aux personnages. C’est ainsi qu’après Disparitions à Villeneuve et Coups de maîtres à Lausanne, le duo planche maintenant sur un troisième tome, encore tenu secret.
Chez les Vuataz, les histoires se conçoivent à quatre mains: Nadine, la maman, écrit les aventures passionnantes et mouvementées des jeunes héros Sibelle et Arthur. Son fils Lucas se charge d’illustrer ses récits et d’apporter une identité visuelle aux personnages. C’est ainsi qu’après Disparitions à Villeneuve et Coups de maîtres à Lausanne, le duo planche maintenant sur un troisième tome, encore tenu secret.
Il a fallu dix ans avant que Nadine Vuataz ne se décide à soumettre le manuscrit de son premier roman jeunesse. Et seulement une courte journée avant que les éditions Favre ne l’acceptent. «J’ai toujours aimé écrire, et déjà quand mes enfants étaient petits, j’avais inventé pour eux un roman fantastique qui s’appelait Un monde de lumière, se souvient l’autrice vaudoise, qui est également enseignante au collège du Lac, à Villeneuve, pour des enfants de 6 à 8 ans. Puis, comme je faisais beaucoup d’activités à Villeneuve et que j’avais envie d’écrire un récit sur une ville, j’étais allée visiter la cité et avais ensuite créé une histoire dans la foulée, en me basant sur toutes les informations recensées dans mes carnets de notes.»
C’est en 2020 – ses enfants ayant grandi et disposant ainsi de davantage de temps – que la jeune femme se décide à envoyer son texte à une dizaine de maisons d’édition. «C’était pendant les relâches, raconte-t-elle. On était partis faire de la raquette en famille quand j’ai reçu la réponse de Favre, qui voulait commencer immédiatement le travail de collaboration. J’ai cru que je rêvais!» Et d’ajouter modestement: «Je pense qu’on a eu la chance d’arriver au bon moment: les éditions Favre voulaient justement lancer une collection jeunesse, et Disparitions à Villeneuve correspondait à leur concept.»
Un récit bien mené et documenté
Et pour cause: le roman, destiné aux lecteurs et lectrices dès 9 ans – «mais amusant aussi pour les adolescents et les parents», est-il spécifié en-dessous du résumé –, allie de nombreux atouts: en sus de héros sympathiques, d’un récit haletant et bien mené et de décors familiers des Romands (l’île de Peilz, Villeneuve et ses environs), le livre s’enrichit également de passionnants compléments didactiques, illustrés de divers documents historiques. C’est qu’étant enseignante, Nadine Vuataz ne se voyait pas proposer une histoire sans la compléter avec un supplément d’informations! «J’aime aussi glisser ici et là dans le récit quelques pistes de débat liées aux thématiques que j’entends à l’école et lors de nos discussions en famille, sourit-elle. Par exemple, que le salaire doit être attaché à la formation et à l’expérience, non pas au genre…»
L’union de deux créativités
Mais Disparitions à Villeneuve présente aussi un autre intérêt majeur: les illustrations ont toutes été créées par Lucas, le fils de Nadine, et apportent une identité visuelle unique et une attractivité supplémentaire au récit. Quand je souligne ce fait, deux mêmes sourires de fierté fleurissent sur le visage de mes interlocuteurs, creusant des fossettes semblables. «En ressortant le texte en 2020, je n’ai pas eu besoin de beaucoup le modifier, remarque l’enseignante. J’ai juste changé l’ordre de certains événements, sur conseil d’un collègue qui m’a dit qu’il n’y avait pas forcément besoin de respecter l’ordre chronologique du récit pour des jeunes de cet âge. Ça m’a libérée! En parallèle, j’ai demandé à Lucas s’il ne serait pas d’accord de faire quelques portraits des personnages pour la maison d’édition.» Le jeune artiste de 22 ans complète: «De mon côté, j’ai toujours beaucoup dessiné. Après mon gymnase, j’ai décidé de commencer l’EPAC (école de bande dessinée et game art), à Saxon. Ma mère m’a proposé de faire les illustrations alors que j’effectuais mon service civil et que j’avais encore un peu de temps libre avant de commencer ma première année de bachelor en art. J’ai trouvé l’idée super cool, alors elle m’a donné le manuscrit et j’ai regardé les passages qui m’inspiraient le plus, et qui permettaient de bien séquencer le texte.» Ses sources d’inspiration? «Le manga, mais aussi les jeux vidéo. Je n’aime pas dessiner des visages trop réalistes, et ce que je préfère, c’est esquisser les ombres et les lumières.»
Sur ses deux écrans, Lucas crée ainsi ses dessins uniquement de manière digitale, une méthode qu’il trouve plus pratique pour effectuer des retouches et ajouts – et qui permet de faire «absolument tout ce qu’on désire». «J’aime prendre mon temps pour réaliser mes dessins comme j’en ai envie.», souligne-t-il. Avant d’ajouter, avec une petite grimace amusée et un haussement d’épaules: «Mais j’ai aussi dû apprendre à faire des esquisses rapides à la main pour les dédicaces! Cela fait autant plaisir aux enfants qu’aux adultes qui veulent offrir un livre en cadeau, et on nous en demande beaucoup. J’aime bien ces moments et ce lien qui se crée alors avec le public.»
Deux romans à la suite
Car après Disparitions à Villeneuve, mère et fils ont publié Coups de maîtres à Lausanne quelques mois plus tard. «J’avais déjà l’idée en tête, explique Nadine Vuataz. Ce sont les recherches préalables qui m’ont pris le plus de temps, car je ne connaissais pas bien Lausanne, vu que je travaillais à Villeneuve. Mais après avoir réuni toutes les informations, j’ai écrit le texte en deux mois.»
Là encore, après avoir lu le récit, observé les photos prises par sa maman et effectué quelques repérages lui-même, Lucas s’est attelé à la tâche de dessiner les nouvelles aventures de Sibelle et Arthur. Avec de nouveaux défis, dont celui de permettre aux lecteurs de reconnaître facilement les personnages déjà existants et les nouveaux… «J’aime particulièrement le personnage de Frank, qui apparaît dans le premier tome. Et j’ai été content de devoir imaginer le portrait de son fils, Alex. Ce qui a été difficile, c’est de bien différencier Alex et Arthur, car ils ont à peu près le même âge et plusieurs similarités. Alors j’ai changé la couleur des cheveux d’Alex pour qu’il soit facilement identifiable. Ma mère m’a laissé très libre dans mon travail, mais ce n’est pas toujours évident, car elle a des idées très précises pour l’aspect de certains personnages et ne donne presque aucune indication pour d’autres, en décrivant davantage leur personnalité. Je l’ai d’ailleurs surprise plus d’une fois, car je n’imaginais pas du tout certains personnages comme elle!» Nadine Vataz s’enthousiasme: «C’est vrai: j’adore découvrir son regard sur les récits, et je trouve notre collaboration très chouette. On fonctionne super bien ensemble, et cela permet de créer des livres très homogènes.»
Une envie de partage
Le terme est lancé: la créativité. Car c’est bien là l’un des catalyseurs de Nadine Vuataz, partagé par toute sa famille. Il suffit de jeter un coup d’œil aux murs de leur jolie maison à Chessel (VD): tous sont ornés de grands tableaux colorés et poétiques, peints par l’autrice elle-même. Après avoir suivi des cours aux Beaux-Arts? «Non, pas du tout, je suis autodidacte, rit cette dernière. Par exemple, j’ai dessiné ce ciel étoilé après une balade à La Tour-de-Peilz avec mon mari. C’était une période où on voyait briller Vénus et Jupiter, le lac était agité et c’était comme un bout de rêve que j’ai voulu capter à la peinture acrylique.» Et d’ajouter, les yeux brillants: «Je crois que je suis beaucoup comme ça: j’aime les défis, mais aussi appréhender le monde. Quand j’écris, par exemple, j’adore être dans des lieux publics pour sentir les énergies et avoir une sensation de partage.»
C’est dans cette même idée de partage que, tout comme le premier tome, Coups de maîtres à Lausanne comporte de nombreuses annexes didactiques. «J’ai rencontré de nombreux experts pour réunir les informations, explique Nadine Vuataz. J’ai ainsi fait, entre autres, un tour en compagnie d’une guide touristique, j’ai arpenté l’Hermitage avec Sophie Rogivue et découvert les secrets du Flon et de la Louve grâce à Esteban Rosales, du Service de l’eau. C’est fou comme tout le monde est incroyablement généreux de son temps, lorsque je demande de l’aide! Mes interlocuteurs ne comptent pas leurs heures pour me donner des informations, relire ce que j’ai écrit et me fournir la documentation pour les annexes. Je leur dois beaucoup à tous.»
Un récit ancré dans la réalité
Petite surprise supplémentaire dans ce second tome: des codes QR permettant d’aller admirer immédiatement les diverses peintures citées dans le roman – et répondant bien sûr parfaitement aux habitudes des jeunes lecteurs actuels… «J’essaie toujours d’avoir des idées qui aient du sens, et c’est très important que nos histoires correspondent à leur réalité, confirme l’autrice et maman. C’est pour ça que j’ai vérifié certains mots avec ma filleule de 12 ans, pour être sûre que le vocabulaire que j’utilisais était toujours d’actualité dans la bouche des jeunes de son âge. Et ça m’a fait rire quand, en allant faire du paddle sur le lac, j’ai entendu discuter des ados allongés sur la plateforme vers la piscine de Villeneuve: leurs dialogues étaient exactement les mêmes que certains que j’ai écrits dans mon premier livre!».
Deux projets à venir
Non contente d’avoir publié deux romans jeunesse en deux ans, Nadine Vuataz joue avec deux nouvelles idées pour la suite des aventures de Sibelle et Arthur. Dont l’une est déjà bien avancée… «On garde l’endroit secret pour l’instant, me recommande-t-elle après que j’aie repéré des brochures touristiques sur son bureau. Mais on peut déjà dire qu’il y aura quelques nouveaux personnages et que nos héros grandiront peu à peu au fil des récits. J’ai d’ailleurs fait un tableau avec leur passé, leur date d’anniversaire, auquel je me réfère pour que l’histoire reste fluide et logique.» Et le fils de compléter: «Ce sera aussi un joli défi de réfléchir à la manière de leur donner peu à peu une apparence plus mûre. Je n’ai pas eu à le faire pour les deux premiers tomes car les récits se suivaient, mais il faudra que je trouve des astuces pour donner une apparence légèrement plus âgée à chacun, tout en ne les transformant pas.»
En pleine période de préparation d’examens, Lucas commence à montrer des signes de fatigue: c’est le moment de prendre congé. On redescend prudemment l’escalier qui mène du bureau aménagé sous les combles à la porte d’entrée. «Oh, mais c’est trop chou, Aurore a déjà commencé à préparer le repas!», s’exclame l’autrice vaudoise, en voyant sa fille s’affairer à la cuisine. L’esprit de famille ne règne visiblement pas que dans le domaine des livres, chez les Vuataz…
Questionnaire à deux voix
Quand on crée ensemble, mieux vaut être sur la même longueur d’ondes. Afin de vérifier que c’est le cas de Nadine et Lucas Vuataz, je les ai soumis à un questionnaire de Proust, basé sur différentes thématiques récurrentes dans leurs ouvrages. Le résultat? Davantage de complémentarité que de similarité – l’idéal pour publier des livres dont récit et illustrations s’entrelacent harmonieusement.
Si vous étiez…
Une peinture ?
Nadine Vuataz (NV): Chagall, pour le mouvement, la couleur et la joie de ses œuvres.
Lucas Vuataz (LV): La Nuit étoilée de Van Gogh, dont j’apprécie particulièrement l’aspect très coloré.
Une heure de la journée ?
N.V: L’aurore, dont j’aime le calme et qui est le moment où la vie reprend.
L.V: Je dirais 22h-23h car je préfère le soir, surtout en été: c’est le meilleur moment de la journée, où je peux travailler en toute tranquillité en n’étant pas encore trop fatigué.
Un lieu insolite à Villeneuve ?
N.V: J’aurais dit l’île de Peilz, si je n’en avais pas autant parlé dans notre premier livre… alors je vais plutôt mentionner la grotte paléolithique au-dessus de Villeneuve, un endroit magique que j’ai beaucoup aimé.
L.V: C’est vrai que l’île de Peilz est un lieu très particulier, avec son grand arbre dont les branches descendent très bas… Pour ma part, je mentionnerai la réserve des Grangettes, où j’ai fait des courses d’orientation étant enfant, et que j’ai souvent traversée à vélo électrique. L’endroit est magnifique, il y a une jolie plage, c’est assez paradisiaque.
Une héroïne/un héros de roman ?
N.V: Lyra, de la trilogie À la croisée des mondes. J’ai souvent lu ces livres à mes enfants, et j’aimais bien cette héroïne.
L.V: La magicienne du Donjon de Naheulbeuk, qui m’a beaucoup accompagné durant mon adolescence.
Le goûter idéal ?
N.V: Un afternoon tea, avec les gâteaux et les thés servis au Jardin des Thés à Saint-Triphon.
L.V: Un carac avec une bonne tasse de thé, ça passe bien....
Un musée lausannois ?
N.V: Forcément l’Hermitage, parce que je l’aimais déjà énormément avant d’en parler dans mes livres, et je trouve que c’est un endroit totalement magique.
L.V: Moi, j’aime beaucoup la Collection de l’art brut. J’y suis allé quelques fois et je n’aime pas tout, bien sûr, car c’est extrêmement varié, mais je trouve l’endroit très intéressant car on y voit des choses qu’on ne voit pas forcément ailleurs.
Une chanteuse ou un chanteur ?
N.V: Noa et Peter Gabriel, qui sont mes deux phares depuis l’adolescence.
L.V: Actuellement, j’écoute beaucoup de Lady Gaga, que j’apprécie beaucoup pour son côté pop et électro.
Un personnage de série, ou une série ?
N.V: Sherlock, bien sûr, que j’ai de nouveau regardé l’autre jour!
L.V: J’hésite… mais je dirais Stranger Things, dont j’attends la dernière saison avec impatience.
Une couleur ?
N.V: Bleu-vert, couleur Léman.
L.V: J’adore le violet!
Un jeu de société?
N.V: Je dirais Blast, que j’aime bien parce qu’il faut déduire, mémoriser, et il est hors-norme au niveau du design.
L.V: J’aime beaucoup les jeux de société de style casse-tête avec des tonnes de règles à apprendre, et où on s’assied pour des parties de trois heures ou plus… mais en ce moment, j’ai commencé à pratiquer le jeu de rôle Donjon et Dragons avec des amis, alors je vais plutôt dire ça.
Une émotion ?
N.V: La joie.
L.V: La mélancolie – une émotion que je trouve très belle.