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Quatuor accorde : l’édition jeunesse chez Bayard Canada Livres

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Lurelu et Isabelle Crépeau
15 mai 2012


Elles étaient toutes les quatre réunies pour un lancement de Bayard Canada Livres. L’occasion était belle pour rassembler autour d’une table les quatre directrices de collection, toutes auteures et créatrices par ailleurs, et leur permettre de partager leurs visions du livre et de l’édition.


Andrée-Anne Gratton


Paule Brière


Caroline Merola


Carole Tremblay 



À quatre temps

Chez Bayard Canada Livres, Andrée-Anne Gratton gère la collection de petits romans «Cheval masqué» et les collections de documentaires «Sans limite» et «Petit monde vivant». Elle est aussi coordonnatrice de l’équipe jeunesse. C’est elle qui représente le joyeux quatuor au comité éditorial de Bayard : «Elle est le fouet!» disent les autres en riant.

«Disons que je ramasse les problèmes, répond-elle, et que c’est moi qui fais l’appel! Mais le plus clair de mon temps, je le consacre surtout à diriger “Cheval Masqué”… en plus d’être auteure.»

La collection «Cheval masqué» propose des petits romans pour les 6 à 10 ans, classés selon trois niveaux de lecture suivant l’appétit de chacun : «Au pas», «Au trot», «Au galop». L’objectif de la collection est de permettre aux jeunes lecteurs de s’initier graduellement à la lecture autonome et de les aider à passer, avec plaisir, de l’album au roman. La directrice de la collection m’explique : «Les histoires sont choisies pour plaire à ce groupe d’âge. La mise en pages est pensée pour faciliter la lecture. Et si on choisit de mettre certains mots en couleur, dans le texte, on ne le fait pas au hasard. Les mots sont choisis pour donner à l’enfant des repères dans la lecture. Cette fonction nous a été confirmée par des orthopédagogues, ce n’est donc pas fait à la légère.»

Paule Brière ajoute : «Nous connaissons les visées pédagogiques qu’il y a derrière ces mots en couleur, mais le but, ce n’est pas que l’enfant le remarque; c’est de rendre l’expérience de la lecture plaisante et agréable. Les connaissances se transmettent mieux dans le plaisir! Et les enfants sentent le plaisir qu’on a aussi à faire des choses pour eux : que ce soit conter des histoires, les écrire ou concevoir des livres pour eux.»



La médaille du dragon; Nancy Montour et Benoît Laverdière; "Raton laveur"




Paule Brière et Caroline Merola dirigent la collection «Raton laveur» : «Au départ, c’est moi qui assumais seule “Raton laveur”, explique Paule, en plus de diriger alors toute l’équipe d’édition. À un moment donné, j’ai eu besoin d’aide, j’ai délégué certaines tâches. C’est là que Caroline Merola est entrée dans la cabane du Raton laveur!»

En raison de son expérience comme bédéiste, Caroline s’est d’abord vu confier les albums de bandes dessinées, comme la série «Ernest». Elle gère maintenant une bonne moitié des nouveaux titres du «Raton laveur». Auteure et illustratrice, elle était toute désignée pour comprendre la nature particulière de la collection d’albums : «Les “Raton laveur” peuvent être lus au préscolaire et j’en vois aussi dans les classes de deuxième et troisième année. Les enfants aiment les albums : c’est une lecture sans pression, ils peuvent finir tout un livre en peu de temps. Ce n’est pas une lecture lourde, c’est amusant, distrayant, et on a une belle variété dans la collection. Certains albums intègrent la bande dessinée, il y en a qui sont drôles, d’autres plus éducatifs, d’autres qui traitent davantage de conscience sociale. On a de tout!»



L'après-monde; Camille Bouchard; "Zèbre"




C’est à Carole Tremblay qu’on a confié la toute nouvelle collection «Zèbre», qui vise les jeunes de 10 à 14 ans. Chacun des romans de la collection offre une expérience de lecture originale grâce à l’ajout de suppléments et de capsules, à une mise en pages innovatrice, à des sujets populaires et actuels, et à un contenu interactif. Carole Tremblay a aussi signé le texte d’un des trois titres : Le mystère des jumelles Barnes, une intrigante aventure de géocaching! Toute pétillante d’entrain, elle présente la nouvelle collection avec fierté : «Le but était de trouver les moyens et de développer les stratégies pour attirer les jeunes non-lecteurs et pour rendre la lecture stimulante. La présentation, le graphisme sont très importants. Il fallait que ce soit dynamique, autant dans le contenu que dans la présentation. Il ne s’agit pas de faire de la décoration autour d’un texte, mais vraiment de développer une nouvelle approche. Ces romans ne sont pas conçus pour être lus linéairement de la première à la dernière page. Ils ont tous un aspect ludique, exploratoire. On propose plusieurs accroches au lecteur : un petit encadré drôle qui va attirer son regard, une information scientifique qui va l’intéresser. Les non-lecteurs, souvent les garçons, ont parfois de la difficulté à entrer dans la fiction et l’intrigue du roman. Il s’agit de leur en donner le gout. Pour les auteurs, il y a aussi l’idée de créer de nouvelles formes et de sortir du récit linéaire. On est habitué d’écrire une histoire avec un début, un milieu et une fin, mais là, on a une liberté d’aller ailleurs et de penser le récit sous de nouvelles formes. C’est très stimulant.»



La soupe de grand-papa; Francine Labrie et Marc Mongeau; "Cheval masqué"



 
Quadraphonie

Chacune dirige ses projets, mais toutes les quatre collaborent régulièrement en ayant recours au regard de l’une et de l’autre aussi souvent qu’il le faut. «Tous les textes circulent…, lancent-elles. On se donne des conseils, dit Paule. De bon conseils, renchérit Caroline. Parce que l’une va voir quelque chose que l’autre n’a pas vu.»

On sent bien la joyeuse connivence et la complicité heureuse entre elles. Elles partagent une vision commune qui fait aussi la couleur de Bayard Canada Livres. C’est Paule Brière qui résume : «Puisque je suis la doyenne, le discours Bayard, c’est moi qui suis censée l’avoir intégré! Comme je suis aussi du côté des magazines Bayard [J’aime lire, Pomme d’Api] depuis près de vingt ans, je suis bien placée pour en parler. La première chose qui définit la lecture pour les enfants chez Bayard, c’est le plaisir. Après, on va parler de lisibilité, mais il ne s’agit pas de faire du livre scolaire, même si on vise les lecteurs débutants, avec «Raton laveur» et «Cheval masqué», ou qu’on souhaite rejoindre les enfants plus vieux mais rébarbatifs à la lecture, avec «Zèbre». On se donne toutes sortes de moyens et de stratégies pour intéresser les enfants à la lecture. Mais donner le gout de lire, ce n’est pas une affaire de technique, c’est d’abord avoir un bon texte à la base. Le plus important reste le plaisir de lire.»



Po-Paul et le contrôleur de chiens; Carole Jean Tremblay et Frédéric Normandin; "Cheval masqué"




Caroline affirme en complétant : «Il faut que les lecteurs se sentent rejoints et concernés. Si moi je suis obligée de relire deux fois la même phrase pour comprendre, les jeunes lecteurs risquent de décrocher.»

C’est leur préoccupation pour chaque collection : trouver des textes qui rejoignent les enfants. Paule précise : «Un adulte lecteur peut se laisser séduire par le beau style, mais si le récit n’intéresse pas l’enfant, ça s’arrête là. Il faut plus parler d’un style efficace que d’un beau style.»

«Ce qu’on raconte doit les rejoindre, lance Caroline. À la base, il faut d’abord qu’ils comprennent l’histoire et qu’ils embarquent. C’est vraiment particulier, l’univers du livre pour enfants. Il ne faut pas oublier que leur perception est différente de la nôtre. L’enfant explore souvent le livre page par page. J’essaie de me mettre au niveau de l’enfant, de voir ce qu’il voit. Sur cet aspect, j’ai été formée par Paule! Et j’entends souvent sa voix au-dessus de mon épaule qui me ramène à l’essentiel…»

Les autres renchérissent : «C’est notre fée marraine!» Elles ont déjà eu l’occasion comme auteure d’être dirigées par Paule Brière et ç’a été très formateur, au dire de chacune. Et selon elles, le fait d’écrire permet aussi de voir les choses de l’intérieur et de mettre les gants qu’il faut pour passer le message sans brutaliser les auteurs! Elles s’entendent toutes pour dire que la direction de collection s’avère aussi un travail créatif et qu’elles éprouvent une belle fierté à la sortie de chaque nouveau livre qu’elles ont aidé à mettre au monde.

C’est Paule qui résume la pensée des autres : «Comme auteure, j’ai beaucoup appris dans mon travail de directrice de collection, parce que j’ai plus de recul par rapport au texte. Ce que je vois pendant le travail de direction, j’essaie ensuite de l’appliquer à l’écriture, même si je n’ai pas toujours l’impression d’y parvenir. On n’arrive pas à avoir le même recul quand il s’agit de son propre texte.»

Andrée-Anne Gratton, elle-même auteure d’une trentaine de livres, tient à préciser : «Comme auteure, même si on est directrice de collection, on a besoin de se faire diriger aussi. J’ai eu l’expérience d’être guidée par Paule et c’est là que j’ai appris à faire un texte qui puisse plaire aux enfants. J’ai appris, comme auteure, à travailler mes textes en pensant à l’enfant qui va le lire, à ce que je veux dire bien sûr, mais surtout à la façon de le dire pour que l’enfant comprenne et aussi pour qu’il ait envie de tourner la page et de poursuivre la lecture.»



Un cadeau ensorcelé; Caroline Merola; "Cheval masqué"



Aux quatre vents…

Bien qu’elles reconnaissent les nouvelles réalités des jeunes, les quatre codirectrices restent confiantes en l’avenir du livre. Paule Brière demeure lucide, mais optimiste : «Oui, l’édition va devoir se redéfinir. Comme auteur aussi, il faudra peut-être penser à écrire pour d’autres formes… Mais ce n’est pas parce qu’apparait la «twittérature» qu’il n’y a plus de littérature… Tout ça peut cohabiter et correspondre à des désirs de lecture différents, à des disponibilités et des gouts différents aussi.»

Le livre demeure irremplaçable, en raison de son accessibilité, de sa simplicité et même en raison de la texture du papier. Caroline Merola, tout comme les trois autres, aime ce qu’il y a d’unique au livre : «Il y a un lien plus affectif avec un livre qu’avec un texte lu à l’écran. Le plaisir d’être plongé dans un livre et de tourner les pages reste particulier. Comme créatrice, explorer cet aspect me préoccupe et cela me pousse à explorer davantage le livre pour mettre en valeur sa spécificité.»

«Ce qui reste unique au livre, conclut Paule Brière, c’est qu’on se pose pour le lire. Même pour un petit album carton. Il y a vraiment une relation entre le lecteur et le livre qui crée une bulle. Et quand on lit un livre à un enfant, on est dans une bulle à deux! C’est fascinant et rare… On est ensemble, un parent, un enfant, un livre, et il plus rien n’existe autour. Pour créer ça, l’important reste une bonne histoire, travailler sur le plancher des vaches avec les auteurs et les illustrateurs et, surtout, prendre le temps de bien faire les choses.»

C’est Caroline qui place joyeusement le dernier mot : «C’est ça qui nous nourrit. Ça reste très excitant de faire des livres pour enfants!»

Elles acquiescent toutes d’un grand sourire!

 

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Site Web de Bayard Canada Livres



Cet article a été publié dans la revue LURELU et est reproduit sur ricochet-jeunes.org dans le cadre d'une collaboration régulière. La revue Lurelu existe depuis 1978; des centaines d'institutions d'enseignement et bibliothèques la reçoivent, au Québec et au Canada.



© LURELU et Isabelle Crépeau, 2012