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Quel chantier !

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Claude-Anne Choffat
3 mars 2015




Ambiance « marteau piqueur et bulldozer» sur le chantier pharaonique de la 31ème Fête du livre de Saint-Paul-Trois-Châteaux.






 

Les amoureux du livre d’enfance ont pu s’étonner d’avoir à franchir clôtures métalliques et autres rubans protecteurs qui jalonnaient l’accès à la 31ème Fête du livre jeunesse de Saint-Paul-Trois-Châteaux. Rassemblés à l’occasion des journées professionnelles organisées du 28 au 30 janvier 2015 dans une Drôme provençale parée de son doux costume hivernal, bibliothécaires, enseignants et acteurs de l’édition jeunesse perçurent, dans cette mise en scène appropriée, des facettes peu courues de la « construction ». Il fut question, au fil des débats et rencontres, de lecteurs en devenir (davantage que d’engins mécaniques !), de travaux préparatoires à la réalisation d’un livre – assimilés pour l’occasion aux étapes d’édification d’un prestigieux monument –, alors qu’on salua la réinvention perpétuelle des réalisations artistiques, littéraires et éditoriales destinées aux plus jeunes. Les principales rencontres, filmées dans leur intégralité, sont mises en ligne régulièrement sur le site de la manifestation.



 



Rapprochement attendu de tous dans le message d’accueil adressé par les maîtres d’œuvre de cette vaste organisation, l’atteinte à la liberté d’expression – fort heureusement moins assassine que celle qui habite les esprits depuis le 7 janvier mais dont pâtit aussi la littérature de jeunesse l’an dernier – fut dénoncée avec détermination. L’aspiration commune des professionnels du livre à s’unir dans la défense des valeurs qui leur sont fondamentales amplifia encore la résonance de ce rendez-vous annuel de passionnés.



Coup de projecteur sur une affiche en chantier



 




Symbole particulièrement réussi du chantier créatif permanent dans lequel évoluent les artistes, l’affiche que Laetitia Devernay conçut pour la manifestation représente un bâtiment aux contours esquissés par des acrobates en mouvement, sur fond de nuit hachurée dont la linéarité rappelle les plans d’architecte. La jeune illustratrice, fervente de cinéma muet, inspirée par Matisse et l’affichiste Paul Colin, manie avec talent le papier découpé qu’elle préfère au crayon, pour le message efficace que l’économie de tons lui permet de véhiculer (une technique mise en œuvre dans le jeu d’analogies graphiques de son récent Bestiaire mécanique). Avec l’élégance qu’on lui connaît, Laetitia Devernay parvint ainsi à faire rimer, en parfaite harmonie avec la thématique des journées professionnelles, chantier et humanité.



   



Dans l’atelier de Laetitia Devernay





A l’instar des carnets de croquis ou des manuscrits raturés révélant l’intention première des créateurs, les esquisses que l’artiste dévoila aux participants permirent à ces derniers de saisir la genèse de son visuel, d’en mesurer la réflexion préalable :



    


Travaux préparatoires à l'affiche de la Fête du livre

© Laetitia Devernay





Laetitia Devernay expliqua aussi, lors de sa présentation, que la technique qu’elle choisit d’adopter pour ses ouvrages se doit d’apporter du sens à la narration : on se souvient de son remarquable Diapason dont le trait précis et maîtrisé d’encre de Chine travaillée au Rotring évoque toute l’exigence de la musique classique, le noir et blanc rappelant le nœud papillon des musiciens sur leur chemise immaculée. Be bop !, réalisé en linogravure, distille, quant à lui, une ambiance chaleureuse et vibrante, empruntant ses caractéristiques au monde du jazz qu’il dépeint.



 


Laetitia Devernay, en compagnie de Yann Nicol





Aussi modeste qu’attachante, l’illustratrice semble avoir posé, dans ses premiers albums édités à La Joie de lire, les fondements d’une œuvre virtuose.



Des souvenirs à déclarer…



 



Les discussions, conférences et débats – riches, inspirants, faisant écho à d’inoubliables images – sauront sans aucun doute nourrir la pratique quotidienne des participants aux journées professionnelles. Zoom sur quelques instants saisis pour être emportés jusque dans le décor enneigé du nord de la Suisse :



Un « savoir-lire » en construction


Les « premières lectures », souvent mal considérées par une critique leur témoignant un relativement faible intérêt, représentent pourtant un véritable enjeu pour la littérature de jeunesse : ce sont, en effet, par ces textes que les petits « déchiffreurs » acquerront leur autonomie de lecteurs (à 5, 7, 9, 13 ans… selon le parcours de chacun et ses expériences préalables d’écoute). Bernard Friot, qui ne limite évidemment pas ce secteur éditorial aux courts romans, évoqua les contraintes d’écriture qu’il importe de respecter pour garantir lisibilité et densité au message véhiculé. On retiendra de son intervention, un encouragement à favoriser la transmission dans les actions de promotion de la lecture et à ré-impliquer les familles et l’entourage des enfants pour créer un environnement propice à l’acquisition de leur indépendance de jeunes lecteurs.



Le livre en fabrication


Christine Morault - dont les initiales « Mo » associées au « Me » d’Yves Mestrallet formèrent, il y a 20 ans déjà, le nom des éditions Memo – ouvrit son propos par un joli clin d’œil à la thématique retenue : « chez nous, pas de grue, mais des gens avec des pelles et des pioches ! », en allusion à la petite équipe engagée dans l’édification d’un catalogue de grande exigence. La fabrication minutieuse, dans le respect le plus strict de l’œuvre originale des créateurs, est au cœur de chaque projet de l’atelier qu’elle co-dirige. Admirables sont les éditeurs qui vouent une telle passion aux livres, à leur qualité matérielle… A propos du premier titre publié par Memo (Indiennes de traite à Nantes, 1993), Christine Morault confia : « Ce livre contient en germe tout ce qu’on a voulu faire ensuite : […] en passant la main dessus, on éprouve autant qu’à la vue ». Et l’éditrice de conclure, amusée : « On nous a beaucoup copiés, c’est bon signe » !    



Un être en devenir


« Le tout petit enfant se construit à l’écoute de ceux qui l’entourent. Lui lire des textes à voix haute facilitera son appropriation d’un lexique riche et varié et participera à son développement psychique, cognitif et culturel ».

Evelio Cabrejo-Parra, dans une magnifique conférence tenue le 29 janvier, loua l’importance des livres pour donner à l’enfant la musicalité de la langue, dont chaque écrivain interprète à sa manière la complexe partition. Pour le psycholinguiste, le destin individuel et social de l’humain se joue dans le vocabulaire qu’il acquiert durant ses cinq premières années de vie. Peu importe que le bébé ne saisisse pas chaque terme d’un texte qu’on lui lit, il parviendra à construire du sens à sa manière.








Pour aller plus loin :

Site de la Fête du livre de Saint-Paul-Trois-Châteaux
Programme complet de la Fête du livre de Saint-Paul-Trois-Châteaux
Programme des journées professionnelles de la Fête du livre de Saint-Paul-Trois-Châteaux



10 mars 2015