Vedrana Donic’
Diplômées de l'Ecole de l'Image d'Épinal, Ursulla Pinon et Vedrana Donic’ ont créé Vedrulla Editions « une maison d'édition alternative et indépendante qui offre une vision sensible et poétique du rapport texte-image ». Depuis ce mois de mars, les premiers livres sont imprimés et ces deux jeunes illustratrices et éditrices s’apprêtent à les présenter au public lors du Salon du Livre de Paris. Nous leur avons demandé de nous présenter leur projet et revenir sur les étapes de la naissance de Vedrulla Editions.
Vedrana Donic’ : Avec Ursulla Pinon, nous nous connaissons depuis l'enfance et sommes diplômées de l'Ecole de l'Image d'Épinal (octobre 2004). Cette école nous a incité à développer chacune notre propre style graphique, à trouver notre sensibilité et la retranscrire.
Ursulla Pinon l'a retranscrite sur papier en réalisant divers récits. Ces récits portent en eux une dimension métaphorique, ses images s’en font l’écho dans l’espace de la page. Les sens se croisent et s'emmêlent. Ses histoires peuvent s'apparenter à des contes surréalistes où chacun peut en tirer sa propre impression, émotion, conclusion. Étant intéressée par le médium vidéo, j'ai d'abord réalisé plusieurs films d'animations à partir d'images dessinées, photographiées et filmées, avant de revenir sur le support traditionnel. Ce qui m'intéresse surtout dans le travail audiovisuel, c'est de créer des décalages entre le texte, le son (musiques crées et textes lus en voix off) et les images. L'important, comme dans un livre, est de trouver un rythme et des jeux de question-réponse entre l'image et le texte grâce au montage pour dégager une idée, une impression, un sentiment. Réussir à surprendre, interroger, en ne donnant pas toutes les clés dans l'ordre au téléspectateur.
Réussir à surprendre, interroger, en ne donnant pas toutes les clés dans l'ordre au lecteur. On retrouve ces idées dans Vedrulla Éditions, c'est dans la continuité de notre travail. Nous avons déjà travaillé ensemble sur divers projets et avons des références communes.
Durant les deux années qui ont suivi l'école, nous avons démarché des boîtes d'édition et appris à connaître le monde de l'édition.
Nous avons remarqué plusieurs choses qui ne nous plaisaient pas dans l'édition actuelle : les livres véhiculant les mêmes types de codes (graphismes, typos, thèmes etc...), les attentes éventuelles et hypothétiques des éditeurs suivant leurs besoins, bref nous n'aimions pas certains codes actuels des livres ni dépendre des autres éditeurs. Nous avons alors décidé de monter notre propre maison d'édition.
Dans un premier temps, nous éditerons nos propres livres d'illustration, puis si possible nous serons ravies d'accueillir d'autres auteurs et illustrateurs.
Nous avons déjà créé des liens avec certains auteurs et illustrateurs au cours de rencontres diverses.
- Ricochet : Vous proposez des livres d'illustrations. Comment faut-il le comprendre ?
Vedrana Donic’ : Nous proposons des livres d'illustration, c'est à dire des livres d'images autour des thématiques du symbole, de la métaphore, et de la poésie.
- Ricochet : Les deux premiers titres sont donc vos propres créations ?
Vedrana Donic’ : Effectivement. Le premier titre disponible de la Collection Piment s'appelle "La Mère des Poissons Abandonnés" créé par Ursulla Pinon. C'est un livre contant l'histoire d'un endroit, un point de rencontre de plusieurs personnages et symboles. Chacun a une raison d'y venir ou de s'y trouver ainsi que d'en partir. Il y a des souvenirs, des poissons, des oiseaux tournant en rond...
Pour la « Collection du Chapeau », l’ouvrage se nomme "L'Amant de Saint Jean" et j’en suis l’auteur. C'est un recueil amoureux. Il évoque des sentiments difficiles à exprimer : la passion présente constituant deux êtres, le quotidien du couple, l'instant, et l'émotion unique. C'est un travail de forme, représentant une femme et un homme aux corps démesurés sans recherche d'esthétique particulière, des couleurs qui débordent des traits, des corps grossièrement dessinés, des collages de matériaux récupérés au jour le jour, de petites phrases sensibles telles des images à part entière. Ce sont des moments personnels et communs à chacun à la fois. Ces livres se prêtent à tout individu, adultes comme enfants. Un public éclectique. Nous avons pris le parti de ne pas nous attacher à un type de public précis (jeunes, retraités, différentes classes sociales etc...) pour pouvoir ainsi expérimenter l'illustration et la mise en page à différents niveaux.
- Ricochet : Pourriez-vous présenter vos collections ?
Vedrana Donic’ : Dans la collection Piment dirigée par Ursulla Pinon, figurent des histoires de mer agitées remplies de poissons abandonnés, de barrière franchissable (mais seulement avec un parapluie), d’usines à cœur ... Réécrire des histoires à travers des symboles, une mise en page, un trait. On retrouvera surtout une recherche du symbole dans cette collection, comment utiliser un symbole pour faire passer un message, comment s’approprier un symbole.
La seconde tenue par Vedrana Donic' s’appelle la Collection du Chapeau. Sous un trait faussement naïf, avec des images plus abstraites et un travail de la matière, utilisant des éléments de récupération intégrés dans les images (un vieux papier, un pétale de fleur ramassé au détour d'une rue...), cette collection est basée sous la thématique de la poésie et ne narre pas forcément des histoires avec des actions, mais davantage des recueils d'impressions.
- Ricochet : Quel est votre regard sur le marché de l'édition aujourd'hui ? Etes-vous confiantes ?
Vedrana Donic’ : Confiantes est un grand mot. Nous savons que ce marché est difficile. Mais nous avons l'avantage de le connaître. Nous devons être présentes dans les librairies appropriées. Bien sûr que c'est inquiétant en tant qu'éditrices et illustratrices car nous ne connaissons pas encore l'accueil qui nous sera fait.
- Ricochet : Pensez-vous être novatrices ?
Vedrana Donic’ : Novateur, dans un sens oui, si une personne a l'habitude d'aller dans des librairies qui ne prennent pas de risques, elle n'aura peut être jamais vu de telles images. C'est davantage une question de diversité que de nouveauté. Nous pensons que nous développons une approche différente et nous pensons que beaucoup de gens qui ont une vision nouvelle du livre, qui ont un véritable talent, n'ont simplement pas de porte d'accès dans le milieu.
Ce qui est dommage. Fromage. Garage.
Vedrulla Editions est une maison d'éditions placée sous le signe de la nouveauté. Le quotidien, les sentiments, l'humour, le questionnement, les rencontres sont des éléments forts qui inspirent l'originalité de nos livres, au travers de narrations diverses. Nos livres offrent une vision sensible et poétique du rapport texte-image. Ils les confrontent en leur donnant un troisième sens. Incitant ainsi le lecteur à s'interroger sur le sens de l'image, le sens du texte, amenant en conséquence une triple lecture. Dans les deux collections, nous poussons le lecteur à trouver, lier et relier les éléments pour constituer lui-même sa lecture, créant ainsi un nouveau langage.
- Ricochet : Créer une maison d'édition relève-t-il du parcours du combattant ? Pourriez-vous revenir sur les grandes étapes de cette construction ?
Vedrana Donic’ : Les grandes étapes, il y en a beaucoup. Un grain ici, un rocher par-là. Le chemin est long. Tout dépend du temps et de l'investissement de chacun. Ca prend énormément de temps pour s'informer sur les démarches administratives à connaître obligatoirement etc. Il faut avoir la patience, l'envie, la motivation pour pouvoir sortir un livre. (Il faut savoir ne pas s'énerver avec une personne de bureau qui se fiche de vous au téléphone). Dans une grande maison d'édition, chaque tâche serait déléguée à une personne différente.
Avec Vedrulla Éditions, nous faisons tout toutes seules. À priori, oui c'est très dur. Il faut être organisé, créer des liens avec des personnes du milieu qui ont la même philosophie que la vôtre. En tant qu'éditrices qui investissent, c'est un risque financier. Il faut s'en donner les moyens. Il faut connaître le milieu, savoir où se trouve son public et pleins de choses encore. Il faut s'identifier et être identifier de suite.
Vedrana Donic’ apprécie le travail de Jacques Prévert, Raymond Queneau, Shiki, Serge Gainsbourg, Eugène Guillevic, mais aussi Cy Twombly, Jean-Michel Basquiat, Joan Miro', Sophie Calle, ainsi qu' Anne Herbauts, Kitty Crowther, Charlotte Mollet, Hélène Riff, Les Chats Pêlés etc...
- Ricochet : Je crois savoir que vous avez reçu l’aide d’une bourse Défi-jeune pour créer votre maison d’édition….
Vedrana Donic’ : Avec Ursulla, nous avons bénéficié de diverses aides. Je mentionnerai tout d'abord des conseils d'éditeurs déjà sur le marché (L'Oeil D'Or Éditions, Zinc Éditions, Benoît Jacques, Ritagada...). Nous avons aussi reçu une aide financière pour pouvoir assurer les premières impressions, grâce à une bourse Défi-Jeune en Bretagne (qui fut un gros dossier à compléter). Enfin, il y a aussi eu le soutien de nos amis proches que nous remercions encore.
- Ricochet : Chanceuses alors ?
Vedrana Donic’ : Je dirai que c'est un banc sur notre chemin. Ils ont aidé le parchemin à s'écrire. Ils ont vu que l'on a travaillé pour, ils nous font confiance, ils croient en le projet, et ils ont vu que nous sommes préparées. Sinon pourquoi nous titrer "coup de coeur" et nous porter vers la bourse nationale?
- Ricochet : Quelles sont vos principales difficultés ? Et vos souhaits proches et lointains par rapport à Vedrulla Editions ?
Vedrana Donic’ : La principale difficulté a été financière. Les impressions coûtent très chères et la bourse n'a pas tout couvert. Maintenant la diffusion aussi sera rude. Nos souhaits seraient de créer une concentration avec d'autres boîtes d'édition ayant une philosophie proche. Cette entente nous permettrait d'assurer notre présence aux principaux salons, se joindre au mouvement alternatif, dégager des synergies, créer des alliances et des regroupements ponctuels entre petites maisons d'éditions (monter des expositions avec les planches originales dans des galeries et structures culturelles, des projets éditoriaux entre différentes éditions, des soirées lectures, faire des soirées super 8 etc..., présenter des films d'animations et leurs créateurs ainsi que divers types d'artistes, organiser différentes rencontres avec le public). Nous souhaitons de même créer un atelier traditionnel et artisanal qui réunirait différentes techniques d'édition : sérigraphie, gravure etc.... Ces livres ne pourront être publiés qu'à tirages limités (livres rares et précieux, livres d'artistes). Ceci fera redécouvrir au public "l'objet livre" dans son ensemble (typographie à l'ancienne, papiers...). Nous envisageons de créer une troisième collection, en relation avec le travail d'autres auteurs et illustrateurs suivant nos rencontres ludiques et/ou littéraires.