Bras de fer

Beau garçon sûr de lui, champion de natation, follement amoureux de Leïla, Julian se heurte pourtant au silence de son père, homme taiseux attaché plus que tout à son engagement syndical. Julian va avoir dix-huit ans, et, tradition familiale, espère enfin battre son père au bras de fer : il y gagnerait de surcroît son rêve, une moto. Mais Julian perd, monte alors désespéré sur l'engin d'un ami et s'enfuit dans la nuit... C'est le drame, il se réveille amputé d'un bras.
Ses projets d'études d'infographie s'écroulent et Julian ne parvient pas à refaire surface, malgré la présence apaisante de Leïla. La jeune fille abandonne elle ses études afin de payer la location d'un petit appartement, et se dévoue à redonner une joie de vivre à Julian. Ce dernier finit alors par découvrir la drogue. Il n'a aucune idée de l'engrenage dans lequel il met le doigt...

On n'oubliera pas facilement ce roman dur, hyper-réaliste, qui montre l'enfer de la drogue (à avaler, injecter, fumer...) dans ses moindres détails. Julian est bien sûr au centre de cette descente monstrueuse, dont rien ne nous sera donc épargné : douleurs physiques liées au « Manque », nuits dans la rue, honteux mensonges, prostitution, etc. C'est aussi atroce que vraisemblable. Les proches du jeune homme seront également touchés... En première ligne se trouve Leïla, au passé un peu mystérieux, qui pense pouvoir sauver celui qu'elle aime et ira jusqu'à se vendre pour lui offrir un hypothétique voyage salvateur au soleil. Et puis, rarement présent mais en filigrane constant du roman, le père ne peut nier une certaine responsabilité quant au caractère entier de son fils, à la fois secret et radical.
Dans les premiers temps après l'amputation, quelques éclaircies laissent entrevoir une issue heureuse : sortie à la piscine, nuit d'amour intense, réussite sur un site d'infographistes... Mais peu à peu, dans un art consommé et subtil du rythme et de la construction, la tendance s'inverse inexorablement, avant une accélération finale douce-amère : l'espoir est là, mais fait-il encore envie ? Assumé par un narrateur externe, usant d'italique, de gras et d'accents divers, le récit explore les états d'âme des personnages avec un détachement parfois troublant en ce qui concerne Julian, comme distancié de son propre corps, et une émotion à fleur de peau à propos de Leïla et ses illusions.
Evidemment, le père ne s'exprimera jamais, mais la relation à son fils se sublime et se complexifie dans le fait que lui aussi, a connu un grave accident à un bras, et a su en faire, contrairement à Julian, une marque de fabrique et une force... Bras de fer est un grand roman comme on en fait peu, intensément vivant, sachant évoluer sur un fil dans un marasme de misère morale et physique, et toujours juste dans le glauque... A lire le cœur (très) bien accroché.