Ce que j'étais

Au cœur de l’Angleterre du début des années 60, un jeune garçon est envoyé, après deux renvois, au pensionnat de la dernière chance, Saint Oswald. Spécialisé dans le « sadisme architectural », cet établissement offre une cuisine répugnante et des professeurs au bout du rouleau. Notre héros se sent à l’écart des autres pensionnaires, il ne supporte pas cette vie carcérale, rythmée par des cours inutiles et des brimades entre garçons. Au cours de ses promenades au bord de la mer, il rencontre Finn. Ce jeune garçon vit seul, dans une petite maison entourée par l’eau. Notre héros voue une admiration sans bornes à Finn et à sa vie de Robinson. Pendant les cours, il étudie les marées et élabore des stratégies pour rejoindre celui qu’il rêve être son ami. Finn tolère à demi-mot la présence de l’autre, il vit seul depuis si longtemps que la conversation est un art qu’il ignore. Enfin, les congés de Carême permettent aux jeunes garçons de passer plusieurs jours ensemble. Le quotidien met le héros à l’épreuve : nager, grimper les falaises, relever les paniers de crabes tout en restant digne de l’amitié (et de l’amour à peine avoué) de Finn est une véritable épreuve de force. Au fil des jours, les garçons s’apprivoisent, jusqu’à atteindre un état de grâce. Mais la double menace du pensionnat et de la nature gronde…

Après Maintenant, c’est ma vie et Si jamais…, Meg Rosoff livre un nouvel OLNI (Objet littéraire non-identifié) à la littérature jeunesse. Ce que j’étais évite les courants réalistes et fantastiques pour remonter aux sources : la robinsonnade. Le héros abandonne toutes ses certitudes sur le monde, la société, et même sur sa sexualité à la porte de la cabane de Finn. « Ce n’était même pas tant que je désirais le revoir qu’être lui » affirme le narrateur. Le désir profond, originel de retrouver cet état de grâce naturel, cher à Rousseau, incendie le héros, et est incarné par Finn. L’écriture aussi travaillée que naturelle de l’auteur insuffle une douce poésie dans ce duo de Robinsons.
Un fragile équilibre se construit entre les deux mondes. D’un côté, la réalité du pensionnat, où les heures passent lentement, où le trivial prend le pas sur la connaissance. De l’autre, la cabane de Finn, monde hors du temps comme l’île de Jamais-Jamais. Petit à petit, la réalité rattrape la cabane, sous la forme de la maladie, puis de la mer. Mais ces quelques mois ont profondément changé le narrateur, sa vision du monde et de l’avenir, et en cela la cabane de Finn vivra toujours en lui.
Au-delà du motif de la robinsonnade, le thème de l’admiration résonnera sans doute dans le vécu des jeunes lecteurs. Le héros voue un véritable culte à la personnalité de Finn, le désir de l’impressionner, de gagner, de mériter son amitié, voire son amour, en font un ami aveugle et servile. Aucun jugement n’est porté sur cette relation, qui fut aussi évoquée dans Le Grand Meaulnes, et qu’on observe souvent à cet âge.
Meg Rosoff n’a pas son pareil pour écrire des romans incroyablement originaux autant qu’universels. Malgré des passages crus, une légèreté et un bien être se dégagent de ce roman initiatique. Chaque lecteur trouvera sans doute sa propre cabane de Finn, un jour ou l’autre pour les plus jeunes ; au creux de leurs souvenirs pour les autres.