Couché

C’est un imagier pas ordinaire que celui de Vincent Mathy ! Le titre, l’illustration de couverture et l’orientation de lecture nous informent : dans ce livre-ci, on va explorer une position confortable en général, du plaisir en perspective sans doute ! Vincent Mathy joue d’un panel de formes géométriques évoquant un jeu d’association, une sorte de tangram aux angles adoucis, dans une palette de couleurs limitée mais pimpante, pour lister les diverses occasions d’expérimenter la chose : comment vit-on couché ? Quelles sont les occasions d’être couché ? Chaque page s’orne de l’annonce en rouge dans le coin supérieur gauche : dans un lit, seul ou à deux, dans un train couchette aussi, à la plage, dans la piscine, ou sous la mer, les occasions ne manquent pas, et elles signent plutôt plaisir et détente.

Mais lorsque Vincent Mathy prolonge le jeu, celui-ci est moins rigolo : il allonge le soldat qui vise sa cible, le sans-abri qui couche où il peut, les migrants dissimulés dans la soute des camions, mais aussi la femme qui accouche, le blessé immobilisé, le boxeur K.-O. et même le plombier sous l’évier : autant de signes de douleur que la position n’améliore pas sans doute…

Ainsi l’attention et la réflexion que suscitent l’imagier chez les plus petits auxquels il est souvent destiné, s’augmentent-t-elles d’une dimension critique, un brin sarcastique, qui retiendra les plus grands, renforcée quand Vincent Mathy associe deux situations : couché sous la tente au camping et couché dans la rue, qu’on peut conjuguer : couché sous la tente dans la rue ; couché dans le ventre d’un gros serpent qui digère et couché dans un cercueil au cimetière. Couché pour jouer ou couché pour tuer, évidemment vu comme ça, ça fait réfléchir…

Le repos se prend couché c’est vrai, mais couché n’est pas toujours synonyme de repos. Le petit ouvrage se referme par un retour sur lui-même, bébé couché, enfant couché, enfin la vision de toutes les chambres dans lesquelles on s’endormira en méditant : couché, vit-on toujours heureux ? Un imagier pour philosopher en somme.