Extra-va-gant

Un œil, une main gantée, sont les protagonistes de cette histoire. « Il était une fois un OEIL, une MAIN, et un GANT » comme l’annonce le texte calligraphié en écriture cursive, légère dans la page blanche. Cette redondance entre le texte et l’illustration surprend parce qu’on voit bien un œil énorme au milieu d’une page rouge pour regarder une main gantée, rouge au milieu d’une page jaune. Cette vivacité des formes et des couleurs crée un sentiment d’étrangeté : un œil, une main ne vivent pas leur « vie » de manière indépendante mais incarnés. Or ici, tout est découpé en morceaux. Les aplats roses ou beige de la main, la fourrure agressive du gant retourné, le binôme œil-main qui parcourt le visage, le corps démembré, créent une surprise, voire un malaise, manifesté par le texte « une CHOSE, un TRUC ». Une larme, un affolement dans la recherche tâtonnante s’apaisent lorsque la main retrouve son gant. Extra-va-gant est une ballade dans les sensations. Une araignée retire le gant de la main et partant de là, l’œil et la main découvrent les cinq sens, nez et oreille essentiellement jusqu’au moment où ce qui était séparé se recompose sous la forme d’un homme à chapeau, l’allure élégante et décidée… Betty Bone rend ainsi transparente l’allusion à L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau d’Olivier Sacks. C’est lui qui a donné naissance à cette variation sur les sens dissociés, réconciliés.

Un album déroutant au parti-pris graphique et textuel qui questionne : pour les petits, une façon singulière d’aborder la découverte sensorielle et pour les plus grands, une belle tentative pour donner forme plastique à des questions aussi complexes que le fonctionnement du cerveau.

Un pari redoutable et réussi !