Fais ce qu'il te plaît !

Ce tout petit ouvrage de 10,5 cm sur 15 cm, de la collection Mouchoir de poche aux éditions møtus, est un grand plaisir de lecture. En effet, Michel Boucher, illustrateur inspiré et poète, offre aux jeunes lecteurs·trices une série de planches illustrées très originales, et l’atmosphère de l’ouvrage s’en trouve tout à fait singulière. Le trait blanc du dessin se détache sur un fond noir comme sur une plaque de linogravure, ou un photogramme ; les éléments de décor – un banc, une petite voiture, un landau, une trottinette – ressemblent à des images découpées dans d’anciens catalogues, comme les têtes des animaux anthropomorphes qui tiennent lieu de prescripteurs ou d’interlocuteurs à un petit garçon jovial et décontracté. Même si le livre est soumis aux critères de la collection : quel dommage que ces splendides illustrations soient aussi petites ! Mais c’est sûr, on a très envie d’essayer !

Car voilà : en rouge comme le trait oblique qui barre le O de « møtus », apparaît sur la couverture uniquement la phrase qui donne son titre au livre « Fais ce qu’il te plaît ! ». Et le principe se répète tout au long du livre. Les mots sont enchâssés dans une prescription, une recommandation ou une menace qui apparaît dans une bulle au-dessus de la tête des personnages, puis qui est reprise dans la page de droite ; là, tous les mots superflus sont biffés de gris effaçant, et ne ressortent que les mots qui permettent à l’enfant d’exercer son esprit critique et sa liberté de penser.

« Tu te fais plaisir avec ce livre ? Il est temps qu’il soit fermé même si ça te déplaît ! » devient ainsi « //// fais /////////// ce //////////////// qu’il ///////////////// te //plaît ! »

Ha ! Quelle surprise ! Suit toute une série de sombres préconisations, en ces temps de pandémie, elles résonnent particulièrement, toutes aussitôt transformées par l’oreille du petit futé qui ne garde que ce qui l’intéresse. L’idée est ludique et ô combien subversive, mais apprendre aux petits à réfléchir avant d’obéir, de se soumettre ou de subir ne peut pas être plus néfaste que toutes les injonctions intolérantes et malveillantes que Michel Boucher détourne dans cet ouvrage. Proposé à celles et ceux qui apprennent à lire, il permet de découvrir une fonction essentielle de l'écrit : s'approprier les mots pour s'en faire des idées. Un projet autrement plus stimulant que le déchiffrage, non?