Fugue majeure

Une superbe couverture habille cette Fugue majeure. De dos, une adolescente en robe rouge regarde un horizon ouvert, bleu parme et orange, mer et crépuscule. Dans son dos avance de profil, comme si elle flottait, une femme, parme et orange aussi. Dans le ciel quelques nuages, sur la robe quelques oiseaux… Cette illustration raconte à sa manière l’essentiel de ce roman : deux itinéraires de femmes s’entrecoupent, l’une grandit, l’autre s’en va.


Un dimanche midi, toute la famille réunie attend Mamie afin de fêter ses 70 ans. Ce repas d’anniversaire revêt une importance exceptionnelle. Mamie doit être opérée. Tout le monde craint une maladie grave mais Mamie ne veut pas être opérée, en dépit des tendres recommandations de ses proches et des avis médicaux. L’heure avance, Mamie n’arrive pas. Inquiétudes, recherches, à l’évidence, elle a pris la route avec son antique deudeuche, une deux chevaux, pour une destination inconnue. Une tendresse particulière lie la grand-mère et sa petite fille : un coup de fil affirme la liberté de la première et engendre la décision de la seconde, « je vais chercher Mamie à la mer ». Le roman familial se mue en road movie : sur la mobylette et avec le cuir de son frère, un sac à dos avec pomme et gruyère, Ninon part à la recherche de la fugueuse.


La simplicité du contexte et sa vraisemblance nous touchent. Ninon, 15 ans, lycéenne à Amiens, se découvre jeune fille, vient de rompre avec Léo, peine à s’imaginer plus tard. Ninon, commence à ouvrir les yeux sur le réel, à voir ce qu’elle ne voyait pas, elle éprouve l’étonnement d’être fille : règles, accouchement « cadeaux que la nature nous réserve ». Elle saisit la douleur vécue par sa grand-mère. Douleur de la perte, du deuil mais aussi douleur physique : « il paraît que les choses douloureuses ont leur utilité, qu’elles nous aident à grandir et à réfléchir »[…] « ô Dieu s’il te plaît arrête ! Tu n’as pas le droit de faire souffrir les gens comme ça ! Pas le droit ! » « Mais pourquoi Dieu serait-il bon ? S’il a fait l’homme à son image, c’est que l’homme lui ressemble et alors… alors, c’est effrayant, parce qu’il est capable de tout ! ». Elle apprend que « ça fait peur la douleur de l’autre qu’on ne peut pas soulager »


Roman à la première personne, roman de l’aube et du crépuscule, autour de l’axe « à quoi ça sert de grandir », ce roman existentiel (existenciel ! – tant est grande l’importance des nuages et du temps qui passe) évoque la transmission de la parole, de l’expérience. Sans morbidité aucune, le récit de Mamie emprunte la parabole de « souris des bouleaux », conte indien, où la souris se dépouille peu à peu et accède à l’autre vie, libre et heureuse. Un récit tout en émotions, en impressions, en révolte et sourires, une réédition nécessaire et bienvenue !