La reine et les trois sœurs

Subitement, Franca est prise d’une drôle d’impression. Ne parvenant pas à expliquer cette sensation à ses sœurs, Carmela et Tomasina, Franca évoque son rêve de la nuit dernière : une reine habitait dans la forêt au fond de leur jardin. Et si elles allaient voir ? Peut-être que l’impression disparaîtrait ? Sur le chemin, les deux cadettes suivent Franca l’aventurière aussi vaillamment que possible ; les sons rassurants de la forêt s’évanouissent au profit d’un silence de plomb, annonciateur de leur entrée dans un monde fantastique. L’émerveillement des premières rencontres de personnages hauts en couleur (comme Grand-Maman Araignée) se dissipe peu à peu, remplacé par un malaise grandissant au fur et à mesure que les créatures et sorcières prennent une allure de plus en plus inquiétante. Les trois sœurs découvriront alors la reine de la sombre grotte, mais elle ne leur est pas inconnue : une « Franca pas-Franca », une Franca double, sauvage et libre, les attend.

Touchante et singulière allégorie de la fin de l’enfance, La reine et les trois sœurs illustre la perte douce-amère de l’innocence et les premiers pas de l’éloignement du cocon familial, bouleversant ici les sœurs de Franca qui doivent construire un nouvel équilibre avec une aînée toujours familière, mais pourtant si différente. Une évolution que l’autrice-illustratrice met en évidence au travers des attitudes et des réflexions des deux fillettes : Tomasina, la cadette, veut impérativement rentrer à la maison retrouver la douceur des habitudes (les lasagnes et le cake au citron) ; Carmela, la deuxième, déchirée entre l’envie de rejoindre Franca dans ce qui semble une aventure excitante et la peur de l’abandonner en quittant la grotte, est représentée avec un pied encore ancré dans l’enfance et l’autre sur le point d’en sortir. Telle une Alice tombant dans le terrier pour atterrir au Pays des merveilles, Franca reviendra transformée de sa sortie nocturne : c’est le début de son émancipation.

Constellé de petites étrangetés d’inspiration folklorique et littéraire ainsi que d’anecdotes puisées dans le vécu de Júlia Sardà, le travail illustratif, magnifiquement détaillé, se révèle bel et bien unique : les références présentes mais si savoureusement distillées qu’elles illuminent le récit, un équilibre réussi entre hommage et création personnelle. Un joli coup de cœur pour cette petite pépite d’album, bravo !