La Vallée de la Jeunesse

Eugène a une vision très claire de sa jeunesse, une vision originale à travers les objets. Indifférents, ces derniers prennent vie selon nos émotions. Eugène en a choisi vingt, pour moitié rappelant un souvenir heureux, pour moitié un souvenir malheureux. En partant de sa petite enfance, il retrace alors en chapitres courts les grands événements de son existence. Né dans la Roumanie de Ceausescu et des « voitures cubiques », il rejoint avec son frère ses parents réfugiés à Lausanne. Le quotidien devient doux pour le garçonnet voisin de Simenon, joueur au parc « la vallée de la jeunesse », juste un peu victime moquée à l'école pour sa culture différente. En grandissant viennent à la fois les problèmes de santé (des rhumatismes), les filles (en fait rarement présentes à travers ce voyage dans le passé), les choix d'orientation. Informaticien doué, son père le rêvait en scientifique. Il sera artiste, pour le meilleur et pour notre plaisir.

La promesse de ce retour en arrière pourrait paraître ennuyeuse aux moins de vingt ans, pour qui les années 1970-1980 résonnent comme la préhistoire. Mais d'abord la curiosité est forte pour des détails malins (le Rubik's Cube, la maquette de Star Wars), ensuite la vie d'Eugène le petit réfugié prend des consonances politiques pas banales, enfin l'enfance est bêtement universelle... L'auteur prend le soin délicat d'adopter le ton de son âge au fil des pages, et on passe d'un « chépa » ânonné à une conscience plus aiguë du temps qui file, des parents qui vieillissent. Le livre existe en spectacle tenu par Eugène lui-même. Chacun y projettera ses expériences, pour un « je me souviens » mi-nostalgique, mi-optimiste.