Le sens de l'honneur

Yvan, amateur de boxe, a tué Sandra. En deux coups de poings et une tête rebondissant sur le goudron, à la sortie du collège. Pourquoi ? Pour l'honneur de sa sœur Pauline, dont le petit ami Thomas fricotait avec Sandra. Cette dernière sollicitait largement le garçon, et par ailleurs elle avait déjà battu la jeune Pauline. Quant à Thomas, il n'a pas grand-chose à dire présentement, si ce n'est qu'il n'aimait pas prendre des décisions...
Les voix alternent entre le trio Yvan (en garde à vue) / Pauline / Thomas. Le frère et la sœur racontent l'absence du père et l'alcoolisme de la mère, la fierté mal placée de cette dernière dans le fameux « honneur » de sa famille. Le lecteur soupçonne assez vite autre chose, un non-dit qui est même évoqué par Pauline et Thomas : qu'a dit Sandra avant de mourir ? La parole de cette dernière intervient enfin, pour confirmer notre petite idée ou nous surprendre, c'est selon. Encore une histoire d'honneur...

En moins de cent pages et un petit format, Roland Godel dresse une lourde intrigue de reproduction sociale (à la Zola), avec des codes arbitraires capables d'entraîner des destins à la dérive. Il nous parle peut-être aussi d'adolescence, temps des extrêmes. Mais comme l'exprime finalement Sandra, « Ce sont les adultes qui nous bassinent avec le sens de l'honneur, la vengeance, les règlements de comptes. Nous, on est des enfants, avec nos joies, nos peines et nos envies. Des enfants devenus trop vite ados, qui ne savent pas ce qu'ils font. » (p. 82)
On aurait la tentation de voir une histoire de banlieue, mais aucun indice ne nous y rattache, et le cliché d'une ruralité perdue s'impose tout autant. Épuré, violent dans son contenu et ses phrases courtes au présent qui ressassent les mêmes menus événements à travers les différents protagonistes, Le sens de l'honneur suscite une myriade de réflexions sur la société, les instincts et le sens de la vie...