Le si gentil monsieur Henry

Camille, 10 ans, prend des cours de chant avec Monsieur Henry, que sa mère adore. Seulement voilà, Monsieur Henry est aussi un homme brutal et pervers, et Camille n’est pas la seule à appréhender les leçons avec lui. Sa mère, accaparée par un nouveau travail, ne voit rien. Un jour, elle rencontre James, chaleureux couturier qui va aussi chez Monsieur Henry. Petit à petit, il apprivoise Camille. Pour la pièce de théâtre de fin d’année, la fillette propose une histoire transparente… Sa mère ne peut plus ne rien voir.

La petite narratrice Camille est sensible et mature ; elle comprend que la situation est anormale, sans toutefois oser aller jusqu’à dénoncer clairement les abus moraux et physiques dont elle est victime. Elle sait analyser ses réactions, se rend parfaitement compte ce qu’elle fait en essayant de tourner Monsieur Henry en ridicule, en s’opposant à lui par le tutoiement, et elle se sent devenir agressive avec ses proches (« J’étais devenue une autre avec mes parents. Une zombie. Et ce que je devenais, je ne pouvais l’arrêter. C’était plus fort que moi, cette envie de me venger sur eux de Monsieur Henry. », p. 66). Les adultes, piégés dans leurs occupations et leurs préjugés, sont comme trop souvent aveugles et rejettent tous les signaux d’alarme de Camille. C’est pourtant inconsciemment qu’elle invente l’histoire de Chat Gris qui mange les animaux venus lui rendre visite : trop jeune, son malaise n’a pu s’exprimer que par des voies détournées, heureusement enfin entendues. Le sujet est grave, difficile à traiter dans la fiction jeunesse sans mièvrerie ou crudité. Clotilde Bernos l’a rendu accessible à tous avec une histoire pudique qui montre l’essentiel, une écriture simple et mordante à la hauteur des dix ans de son héroïne. Ce petit ouvrage qui fait mouche pourrait bien devenir un indispensable de fond de librairie ou de bibliothèque.