L'île

La Compagnie créative nous revient avec un album formidable. Cette « histoire de tous les jours » signée Armin Greder, auteur-illustrateur d’origine suisse allemande, émigré depuis plusieurs années en Australie, est un vrai bonheur graphique. Une histoire de tous les jours, une histoire de rien, qui devient bien vite, par les jeux de mots et des images, un récit d’horreur et de terreur. Voici île où, un beau matin, les habitants découvre un naufragé, homme nu, sans histoire et sans destin. Chacun a sa réponse sur cet inconnu, mais, sur l’avis du pêcheur, les habitants décident de l’accueillir. On le cloisonna d’abord dans une table, puis l’homme arriva au village. Et cela déclencha une émeute, les craintes ressurgissent, la peur devient plus profonde. L’étranger sème l’inquiétude. La peur dut si grande que les habitants de l’île s’emparèrent de l’homme et le poussèrent à la mer. Le bateau du pêcheur fut brûler, les mouettes et les cormorans tués et l’on construisit un mur tout autour de l’île. Une histoire ordinaire donc, mais une histoire de vie de plus en plus présente, celle de la crainte de l’étranger, celle du repli sur soi, celle de la force sournoise contre ce qui n’est pas compris. Armin Greder donne ici un récit simple aux phrases courtes et au vocabulaire direct. Mais c’est aussi les images, en noir et blanc, au crayonné à peine coloré, qui fait naître une impression d’angoisse. Les non-dits sont bien là, des gestes du quotidien, des regards furtifs, des fourches qui se lèvent… pour bientôt vouloir la mort des autres. Les références sont sans équivoque : on croise ici Le Cri d'Edward Munch, on devine l’influence des dessins de Bruno Schulz. L’univers créé par Armin Greder est peuple d’ombres chaotiques et d’êtres fugitifs, presque instables, comme s’il craignait de trop dire les choses, comme si son discours se devait d’être en perpétuelle recherche. La Compagnie Créative, par une mise en page parfaite, nous donne une des vraies surprises de cet automne. Un album qui donne à voir autant qu’il interroge. Et c’est là l’essentiel.