Ton cauchemar

« […] car les cauchemars... / sont des rêves / à apprivoiser. »
Un tout petit personnage perdu dans la page crème du format à l'italienne attend. Il a peur, se recroqueville, avant de se rebeller du haut de ses quelques centimètres. Contre qui, contre quoi ? Contre l'énorme et monstrueux cauchemar mauve, grandes pattes et grandes oreilles, suggéré habilement en pointillés. L'affreux ne s'avoue pas facilement vaincu. Alors le petit bonhomme entame une opération de séduction : il parle avec son cauchemar, le flatte et l'apaise. La méthode se révèle être la bonne, puisqu'ils finissent au lit, tout endormis !
Le trait minimaliste de Malika Doray, ses petites figures stylisées si reconnaissables avec leurs oreilles en pointe, se prêtent avec pertinence au thème, en lui-même suffisamment angoissant chez un tout-petit pour qu'on ne remplisse pas la page de trop de couleurs ni de paroles. Oui, le cauchemar est beaucoup plus gros que le héros. Mais, il est effectivement rendu en petits points, pour souligner son côté irréel. Oui, on peut se laisser dominer par ses ailes de chauve-souris et ses pattes griffues. Mais on peut aussi lui faire face avec autant de rationalité que possible. Doucement, en quelques phrases bien choisies (voir aussi leur ponctuation, importante), l'auteure susurre directement des conseils à l'enfant, lui dicte un mini-discours de conciliation : notre méchant compagnon de nuit écoute, prend des mines, et enfin, attrape le dormeur dans ses bras. Le tour est joué pour ce petit album délicat d'apparence, très intelligent de contenu, autour d'une histoire pourtant vieille comme le monde...