La tentation des ténèbres

Antoine est invité à jouer par un chien à long bec coiffé d’un entonnoir. Jouer à quoi ? A un divertissement terrifiant qui l’emmène dans un monde apocalyptique, peuplé de créatures surnaturelles d’autant plus terrifiantes qu’elles empruntent à des animaux ou des objets connus. Antoine chevauche une grenouille géante, tombe au milieu de nulle part, croise sa famille devenue zombie, rencontre son meilleur ami qui veut l’attraper, et chemine avec la jolie Louna contaminée par la décomposition ambiante… Antoine se réveille.

Reconnaissables entre tous, les dessins de Jérôme Bosch sont ici mis au goût du jour, avec un poisson aux cheminées en forme de cigarettes, un ordinateur à l’œil protubérant, des zombies tout verts aux membres tronçonnés, etc. Antoine (comme Saint-Antoine, et le triptyque La tentation de Saint-Antoine de Bosch) évolue dans cet univers à la manière d’un jeu vidéo où il faut se protéger des méchants pour progresser. L’aventure n’est présentée que comme un mauvais rêve, mais le réveil dans la chambre sera troublant de similitude avec le début de l’album…

Rémi Saillard et Christine Beigel ont réussi l’improbable défi de « contemporanéiser » les angoisses évoquées par Bosch dans ses peintures tordues et grimaçantes sur fond de religion. Au XV^e siècle, le diable issu de l’enfer faisait peur. Au XXI^e, ce sont les zombies, créatures tout autant symboliques. De fait, le message voulu par Bosch passe très bien auprès des jeunes lecteurs interpellés. Les enfants aiment frissonner, n’est-ce pas… Une initiation intelligente à une œuvre demeurée originale dans l’histoire de l’art.