Le temps des mots à voix basse

La belle collection « Encrage » de l’éditeur suisse La Joie de Lire réédite deux textes sensibles d’une grande dame de la littérature francophone, disparue à Neuchâtel en 2010.
Le Temps des mots à voix basse, paru pour la première fois en 2001, a été traduit et largement récompensé (Prix Saint-Exupéry 2001 ; Prix Sorcières 2002).
« Mon père et Anton, le père d’Oskar, étaient les meilleurs amis du monde. Depuis tout petits, comme Oskar et moi, " Amis de toujours ", disait mon père. Amis comme les dix doigts de la main, rajoutait le mien. Je sentais bien qu’il y avait quelques chose qui clochait dans ces dernières affirmations, mais comme chacun alentour avait l’air d’approuver … »
Ainsi commence cette nouvelle, dont le narrateur, Benjamin, nous raconte comment la folie des hommes brisa deux amitiés profondes : celle des pères, tout d’abord, Anton et Heinzi, le « poète-comptable » et « l’épicier-poète » ; celle des fils, ensuite, Oskar et Benjamin.
Car nous sommes dans une petite ville allemande à la fin des années trente. Le temps des mots à voix basse est arrivé, celui de la liberté perdue, des persécutions, de l’embrigadement. Oskar est tout d’abord renvoyé de l’école puis son père ne peut plus travailler. Les juifs deviennent la cible de toutes les haines. Benjamin constate cela mais ne comprend pas. Les deux pères souhaitent pourtant rester amis dans cette tourmente. Mais comment trouver le moyen que ces amitiés perdurent ?
La narration procède par petites touches, dans des chapitres courts mais denses en émotions. Sans que jamais ne soient prononcés les mots « Hitler » ou « nazi », on comprend ce qui se passe, on devine entre les lignes et les mots toujours justes. Magnifique.
Le second texte, Du mal à une mouche , est plus léger. Il met en scène un greffier fort consciencieux qui fait le bilan de la vie d’une vieille dame qui vient de mourir et qui n’a sans doute pas fait de mal à une mouche. Et pourtant ! Le greffier, impitoyable, dresse la liste de tous les êtres auxquels la défunte a ôté la vie.