Panique organique

Je me souviens avoir vu, il y a très longtemps, un film de science-fiction qui m’avait très impressionnée et fait rêver aussi. Il s’agit du Voyage fantastique, réalisé par Richard Fleischer en 1966. Pour sauver un chercheur célèbre très gravement blessé au cerveau, une équipe de scientifiques américains décide d’utiliser son procédé de miniaturisation, se fait réduire et injecter dans le corps du malade, afin de pouvoir intervenir en direct. Commence alors un fabuleux voyage à l’intérieur du corps humain, dans un décor magnifique et impressionnant ! Le film est devenu culte, a remporté un Oscar des meilleurs effets spéciaux, a donné lieu à des novélisations (dont une écrite par Isaac Asimov), à des œuvres dérivées et à un remake, L’Aventure intérieure, un film américain de Joe Dante, sorti en 1987, moins bien mais récompensé également pour ses effets spéciaux.
Ce qui est bien avec la bande dessinée, c’est que l’on peut imaginer des univers fabuleux, des décors éblouissants, des monstres impressionnants, sans avoir besoin d’une équipe de techniciens high tech et de milliers de dollars ! Il suffit d’une auteure créative et talentueuse, équipée d’une main, de papiers et de couleurs ou d’une palette graphique, sachant raconter une histoire. Ce qui est bien aussi avec la bande dessinée, c’est que l’on n’a pas besoin de technologie. On ouvre le livre tout simplement et l’on s’embarque malgré tout pour un voyage fantastique. Marion Montaigne fait tout aussi bien que Richard Fleischer ou Joe Dante ! Elle nous entraîne dans le corps humain, celui de Stiveune, un ado de treize ans, qui engloutit chaque matin sa dose de Chocomiams. Mais ce matin-là, mal réveillé sans doute, Stiveune avale en même temps que les dites céréales le sous-marin miniature offert en prime dans le paquet. Cela tombe bien car Pistou et Chimou, les deux véritables héros de cette aventure intérieure hors du commun, gentilles bactéries de leur état, trouvent le submersible crashé au fond de l’estomac, et partent à l’aventure. Finie la routine et place à l’exploration du corps de Stiveune ! Mais Pistou et Chimou ne savent pas ce qui les attend : ils doivent échapper aux globules blancs qui ont vite repéré les intrus et organisent la riposte dans la salle de congrès du rein droit pour éviter l’infection ; il leur faut aussi chasser un horrible virus qui parvient à s’échapper des geôles rénales et qui a très faim, faire un bout de chemin avec deux testostérones égarées et trouver une sortie en évitant les pièges et les dédales organiques. Le tout le plus vite possible parce qu’il y a urgence : on est à quelques jours de la puberté de Stiveune !
Voici un album indispensable, drôle, inventif, qui devrait figurer dans les programmes de biologie ! Parce qu’on comprend tout ! Grâce aux personnages créés par M. Montaigne, qu’il s’agisse de ce duo de bactéries rigolotes, la grande maigre et le petit gros (comme dans Laurel et Hardy), ou de l’armée des globules blancs, les gendarmes du corps, personnifiés aussi (l’un s’appelle Jean-Jacques, l’autre Jean-Philippe !), on se fait une idée très exacte de ce qui se passe à l’intérieur du corps (balisé dans l’album par une série de panneaux indicateurs bien utiles), du rôle de chacun, de la manière dont une bactérie peut provoquer une infection, de l’importance des globules blancs qui doivent repousser les assauts des intrus afin de maintenir l’individu qui les héberge en bonne santé. Le récit est vivant, très dynamique, grâce au dessin tonique et aux dialogues pleins d’humour. Bactéries et globules s’expriment comme vous et moi et certaines situations ne manquent guère de piquant !
Après le récit proprement dit, quatre planches précisent les choses de manière plus documentaire et donnent quelques conseils de base aux lecteurs. Nul doute qu’après la lecture de cet excellent album, les mangeurs de céréales ne verront plus la vie sous le même angle !