La Bête

La famille d’accueil de Stephen l’intègre mais ne lui fait pas vraiment confiance. Et ce n’est pas sans raison : l’adolescent nourrit en secret un crocodile de plus de quatre mètres de long. L’animal, cadeau de son père - un clochard alcoolique - a grossi plus vite que prévu… Sa cage sur un bord reculé du lac menace de céder. Aidé de son père, et bientôt de Carol (la fille de ses parents adoptifs, une peste), d’Eric (ferronnier sympathique qui veut bien l’employer), Stephen va déplacer « [s]on p’tit gars » dans le plus grand secret.
Ally Kennen s’est inspirée de sa propre enfance pour créer la figure du narrateur Stephen, jeune homme à fleur de peau, habitué à ne compter que sur lui. Parce que ses géniteurs sont déficients, il a été catalogué comme cas social. Sa rudesse apparente cache en fait des blessures profondes, par exemple la mort du frère par overdose, relatée partiellement en petites touches au fil du texte. Dans un univers de foyers et de maisons d’accueil, Stephen a fait de son crocodile un point de repère affectif. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard, si, à la fin du roman, il récupère un chien errant famélique, nettement moins encombrant. Le titre et la couverture accrocheuses de La Bête masquent donc un roman sensible sur un jeune qui doit se construire sans amour parental. Et en même temps, l’aventure autour du crocodile assurent un suspense au récit et l’empêchent de tomber dans un « tout psychologique » plus banal. Le ton est dynamique, Stephen n’hésite pas à s’adresser à son lecteur (« Tu le verras bientôt, t’en fais pas. J’ai des projets. », p. 40) et utilise l’humour désabusé pour décrire sa situation difficile (« -Oh, Stephen, soupire Verity. Ne t’attache pas à lui. C’est l’histoire de ma vie. », p. 64). Un premier roman très original.