Sans un Cri

Dans un petit village irlandais, Shell élève son petit frère Jimmy et sa petite sœur Trix du mieux qu’elle peut, ne pouvant compter sur un père alcoolique et violent depuis la mort de sa mère. Elle trouve un réconfort en Jésus, en la présence amicale du jeune Père Rose, et dans les attentions très poussées du jeune Declan. Ce dernier parti aux Etats-Unis, Shell découvre qu’elle est enceinte. Elle cache sa grossesse et accouche d’une petite fille mort-née. Au même moment, un bébé mâle est découvert mort dans une grotte : tout accuse Shell…
Avant d’être un très beau roman personnel, Sans un Cri est une dénonciation forte de la vie provinciale et de la foi catholique irlandaises, en décalage total avec le monde actuel. Tout se sait et se raconte de mille façons déformées à Coolbar, et l’Eglise omnipotente préfère fermer les yeux sur ce qui la dérange. Nous sommes au milieu des années 1980 : les comportements obscurantistes pourraient être ceux d’un XIXième siècle. Rien d’étonnant alors à la crise mystique du Père Rose, à la déchéance du père de Shell : la foi « institutionnelle » n’apporte plus aucun réconfort ; la jeune fille et ses visions naïves de Jésus ou de sa mère sont beaucoup plus sincères et apaisants. Personnage principal extrêmement attachant, l’adolescente est dépassée dans un rôle de mère qu’elle n’a pas voulu, mère à la fois de ses petits frère et soeur qu’elle nourrit, habille, emmène à l’école et soigne, et de son enfant né dans des conditions sanitaires exécrables (la scène de l’accouchement, en présence des aimants et maladroits Jimmy et Trix, est particulièrement émouvante). Courageuse et cherchant à tout prix un nouvel équilibre familial, Shell ne faillira pas, jusque dans les démêlés judiciaires finaux où le père s’auto-accuse d’inceste. Ces épisodes policiers apportent par ailleurs une touche de « suspense » à un ouvrage psychologique d’une grande finesse, qui décrit sans misérabilisme mais avec justesse et détails le dur quotidien de la pauvreté rurale. La langue est simple, épurée ; on pense à l’Angleterre de Ken Loach, au film Magdalene Sisters de Peter Mullan. Et si la réalité dépasse la fiction, on apprendra sans surprise que ce premier roman d’un écrivain engagé pour les droits de l’homme est tiré d’un fait divers réel… (S.P.)

Seconde critique :
A Coolbar, petit village irlandais, le temps semble s’être arrêté, la vie est réglée par les saisons, les messes et les on-dit. Shell, jeune fille de quinze, a perdu sa mère et tente de mener sa vie de lycéenne, tout en s’occupant de ses petits frères et sœurs, et de son père, alcoolique et violent. Elle retrouve la foi en Dieu et la force d’avancer grâce à un jeune curé, le Père Rose. Tiraillée entre de trop lourdes responsabilités et l’insouciance de son âge, Shell batifole dans les champs avec le séduisant Declan, et tombe enceinte. Enfant dans un corps de femme dont elle ignore tout, elle nie puis cache au mieux sa grossesse aux regards curieux et médisants du village. Après un accouchement sordide, Shell vit un double traumatisme, qui précipite le dénouement de ce roman dans l’horreur et la tragédie.
Entre chronique de la vie quotidienne et roman noir, ce récit excelle dans la description de l’environnement : les champs et les chemins balayés par la pluie et le vent, la robe rose de la mère décédée, tous ces détails campent l’ histoire dans un réel bien trop rude pour un jeune fille.
La personnalité de Shell, touchée par la Grâce, pleine de force dans un tel quotidien, est très touchante.
Ce souci de réalisme frôle le misérabilisme, on se surprend à soutenir Shell de toutes nos forces pour que la situation s’arrange, mais elle empire à chaque page.
L’écriture est très juste, ni froide ni mélodramatique, et permet de garder un équilibre, un souffle dans cette descente aux enfers.
Inspiré de faits réels, ce roman sombre évoque des thèmes très durs (l’infanticide, l’alcoolisme, le deuil) à travers le quotidien d’une jeune fille et d’un village. Terrible mais majestueux. (C.L.)