La Rumeur

Au printemps 2002, paraissait le premier livre de Simon Kroug, Les Rêves d’Angèle Molinot. Déjà la thématique abordée était inédite, celle de deux personnes âgées, complices au fil du temps, rêvant de voyages extraordinaires. Aujourd’hui, ce jeune illustrateur suisse nous revient, dans la nouvelle collection de La Joie de Lire (Minidrame) avec un très bel album sur un thème très peu traité en littérature de jeunesse, la rumeur. A chaque page, une seule image comme tirée d’un livre de l’ancien temps. En dessous, une phrase d’Anne Salem-Marin, juste et conditionnelle. Nous sommes ici dans un souk marocain (à Marakech ou ailleurs). Le bracelet en or de Madame Malika vient d’être volé au Hammam. Et, en ville, la rumeur va bon train. Un chien aurait rapporté les babouches du voleur. On dit que c’est l’étranger qui aurait pu commettre ce larcin. Dans la médina les gens s’épient. Un ministre exagère l’affaire auprès du prince. Et il faudra attendre le soir, la brise fraiche venant de la mer, pour cette rumeur disparaisse doucement.

Si l’on pourrait tout naturellement comparer ce bruit public au « téléphone arabe », ce petit album rend compte aussi d’autre chose. Ici Simon Kroug n’utilise qu’une seule couleur, le sépia, joue sur le blanc, interroge les cadrages, les intérieurs et l’extérieur chargé de soleil. En imposant un style qui lui est propre, en jouant de la craie grasse, en alternant l’ombre et la lumière, ce livre est aussi un album de voyage, presque photographique. Le dessin marque l’instant, laisse passer les mots et la vérité, comme pour mieux nous donner à voir des impressions d’ailleurs. On plonge dans cet univers digne des Mille et une nuits avec bonheur. On s’amuse de ces enfants accrochés aux arbres ou cachés derrière le linge qui sèche, et surtout, face à ce « minidrame » on se garde bien de juger. Tel est bien l’essentiel de cet album, l’illusion n’est pas là où on pourrait le croire. Si la rumeur se pimente de mille nouveaux détails, les rêves des enfants restent encore le bien le plus précieux. Une rare finesse, un graphisme inédit, pour un album très réussi.