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Numérisation des images et problèmes de copyright

Mis en ligne le 3 mars 2010
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La justice américaine se penche sur le projet de numérisation de livres




La justice américaine doit se pencher jeudi sur le projet de numérisation de millions de livres par le géant d'internet Google, dont l'accord conclu avec des éditeurs et des auteurs suscite la controverse. Le juge fédéral Denny Chin, chargé d'établir si cet accord est "juste", doit entendre à New York des arguments pour et contre.



Dans le camp des critiques, le ministère américain de la Justice estime que, même amendé ces derniers mois, l'accord "va trop loin" et reviendrait à "permettre à l'entreprise d'être le seul acteur sur le marché numérique avec les droits de distribution et d'exploitation d'une grande variété de contenus dans de multiples formats".



La semaine dernière, Google a répliqué que "des concurrents comme Amazon font état d'inquiétudes sur la part de marché potentielle de Google, mais ils ignorent leur propre domination sur le marché".



Amazon, Microsoft et Yahoo! font partie des concurrents de Google qui ont rejoint le groupe "Alliance pour un livre ouvert", opposé à l'accord.



A l'issue de poursuites intentées en 2005 par le syndicat des Auteurs et l'Association des éditeurs américain (AAP), Google s'était engagé en octobre 2008 à verser 45 millions de dollars pour rémunérer les auteurs et éditeurs dont les oeuvres auraient été numérisées sans autorisation, et à établir un fonds doté de 30 millions de dollars pour assurer un revenu aux ayant-droits acceptant que leurs livres soient numérisés.



Les principales objections de l'admnistration portent sur les oeuvres épuisées dont les ayant-droits ne peuvent pas être identifiés et les oeuvres étrangères, et visent à ce que Google n'accapare pas des droits d'auteur indus.



Le ministère estime aussi que les concurrents de Google doivent avoir accès aux ouvrages dans les mêmes conditions que Google.



Les principaux éditeurs français ont également fait part de leurs objections au juge, comme le Syndicat français de l'édition (SNE) qui considère l'accord "illogique, injuste et discriminatoire" et a déjà fait condamner Google pour "contrefaçon" en décembre à Paris.



"Il aurait été plus équitable que la portée (de l'accord) soit limitée aux éditeurs américains, avec la possibilité pour les autres de s'engager s'ils le souhaitent", a indiqué le SNE.



Le co-président de l'Alliance pour un livre ouvert, Peter Brantley, ne s'attend pas à une décision cette semaine, mais pense que Google demandera au juge de suggérer des solutions. "Cela pourrait lancer un nouveau cycle de négociations sur la forme finale d'un accord", explique-t-il à l'AFP. Le juge "pourrait aussi fixer une date pour un procès".



Le projet Google Books correspond à la vision qu'ont les fondateurs de Google, Larry Page et Sergey Brin, de rendre l'intégralité du savoir humain accessible sur internet.



La noblesse de cet objectif n'est pas contestée par le ministère américain de la Justice, selon lequel "un règlement correctement structuré offre le potentiel d'importants avantages pour la société".



L'accord est également soutenu par les grands noms de l'édition américaine, qui ont hâte que Google offre "de nouvelles façons de distribuer leurs oeuvres".



Pour l'analyste Allen Weiner, du cabinet spécialisé Gartner, Google "fera tout ce qu'il pourra pour faire aboutir" ce projet car le géant de l'internet doit pénétrer ce marché au plus vite s'il veut pouvoir faire aboutir sa vision d'une offre totale de médias numériques avant qu'Apple et Amazon ne s'assurent définitivement la part du lion.



Outre les auteurs et les concurrents de Google, les autorités de plusieurs pays, en particulier la France et l'Allemagne, ont critiqué l'accord de règlement.



par Chris Lefkox

(AFP – mardi 16 février 2010)



http://www.afp.com



Numérisation des livres

Report de la décision de justice dans l'affaire Google




A l'issue de l'audience tenue, jeudi 18 février à New York, concernant la plainte contre l'accord passé, en octobre 2008, entre la société californienne Google et des éditeurs et auteurs américains déposée par Microsoft, Yahoo!, Amazon et plusieurs éditeurs, agents littéraires, associations culturelles et de consommateurs, dont certains non américains - une plainte à laquelle s'est jointe la justice américaine - le juge fédéral Denny Chin a reporté sa décision afin de garder "l'esprit clair" pour le rédiger. Mais il a donné un aperçu de ses convictions - et elles ne semblent pas favorables au géant de l'Internet.



Le juge a repris l'idée exprimée par une plaignante, Sarah Canzeroni, de la Guilde (américaine) des livres pour enfants, selon laquelle l'objectif de Google, plutôt que de créer "une grande bibliothèque" numérique, est en réalité d'ouvrir "un grand magasin" dont il aurait le monopole. Il s'est aussi étonné que les modifications apportées aux termes du contrat par Google, suite au dépôt de plainte contre lui, portent sur son attitude dans le futur, et non pas sur les thèmes qui ont précédemment amené les plaignants à s'y opposer.



Il a ainsi noté que beaucoup de ceux qui portent plainte aujourd'hui "disparaîtront" si Google persiste à refuser de demander l'autorisation d'auteurs avant de numériser leurs oeuvres. "Je présume que Google veut mettre la main sur les livres orphelins, et que toute l'affaire est là", a déclaré Denny Chin. Les ouvrages dits "orphelins" sont ceux dont les auteurs ou les ayants droit sont aujourd'hui indécelables. Google prétend qu'il revient à ces derniers de se faire connaître.



L'accord accepté par l'Association des éditeurs et le syndicat des auteurs américains, pour un montant total de 125 millions de dollars, prévoit que Google soit autorisé à numériser plusieurs dizaines de millions d'ouvrages et à offrir aux aveugles - anglophones dans un premier temps - un accès à une version vocale (par voix de synthèse) à dix millions de livres. A cette fin, l'entreprise s'engage à verser à l'avenir 45 millions de dollars (33 millions d'euros) pour dédommager les auteurs dont les oeuvres auraient été mises en ligne sans leur consentement et à provisionner un fonds de garantie de 30 millions de dollars supplémentaires pour les ayants droit. Des sommes jugées "dérisoires" par certains plaignants.

Des représentants de grandes universités sont venus plaider en faveur d'un projet qui "sauvera" l'accès de chacun aux ouvrages de leurs bibliothèques, y compris à des livres rares qui se dégradent rapidement. Le gouvernement américain et les autres plaignants ne contestent pas le principe de la numérisation des ouvrages, mais la plupart invoquent le risque monopolistique flagrant de l'accord signé par Google et l'entorse au droit de copyright qu'il comporterait.



Google aurait un accès quasi assuré à tout ouvrage publié depuis 1923, a clamé un juriste de Microsoft, et bénéficierait par exemple d'une connaissance exclusive des goûts des internautes en matière de lecture - un avantage substantiel aux yeux des annonceurs publicitaires.



par Sylvain Cypel

(Le Monde – samedi 20 février 2010)

http://www.lemonde.fr




Ci-dessous : article publié en 2008 :


Le 27 septembre dernier, alors que les sénateurs américains virevoltaient dans leur ruche en furie, dans l'espoir de sauver Wall Street et l'économie mondiale, quelques grandes sociétés, spécialisées dans l'établissement de banques d'images, ont subrepticement fait passer par le Sénat une loi bien étrange.

Il s'agit de la loi qui régit les "images orphelines". Une image est orpheline lorsqu'il n'est pas possible d'en retrouver l'auteur. Cela peut s'appliquer à des gravures, des photos, des tableaux ou des dessins.

Cette loi est supposée faciliter l'utilisation commerciale, par des bibliothèques et des musées américains, d'images classées dans leurs archives dont on ne connaît pas les auteurs. Des milliers d'oeuvres pourraient ainsi retrouver une seconde vie.

Mais la nouvelle loi autorise toute personne qui désire reproduire, transformer, et commercialiser une image, pour peu qu'elle ait tenté, sans succès, d'en retrouver l'auteur par une recherche "de bonne foi et minutieuse".



Une photo, un tableau ou un dessin sont normalement protégés, dès leur création, pour leurs auteurs et leurs ayants droit en France, dans le reste de l'Europe, aux Etats Unis et de nombreux pays, par la Convention de Berne, signée en 1976. Ceci pour une durée de 70 ans après le décès de l'artiste.



Mais si cette loi des images orphelines, après avoir été ratifiée par le Sénat américain, l'est aussi par la Chambre des Députés, n'importe qui pourra s'emparer d'une oeuvre, déclarer qu'il l'a découverte sur Internet, et qu'il n'a pas réussi à en retrouver l'auteur, malgré tous ses efforts! Il pourra alors exploiter cette image, l'imprimer sur des T-shirts et des assiettes, ou la reproduire dans une publication sans avoir à débourser un centime.

Il y a en effet des centaines de milliers de dessins et de photos disponibles sur Internet, qui ne comportent aucune mention de titre et d'auteur. Elles sont donc "orphelines".

Selon cette nouvelle loi, l'artiste ne pourra pas demander de dommages et intérêts s'il découvre la nouvelle utilisation de son oeuvre. Tout au plus il pourra obtenir en tribunal la somme qui aurait dû être versée par "un acheteur raisonnable à un vendeur raisonnable". Les frais de justice à sa charge !




Une oeuvre est normalement protégée dès le moment où elle est créée, sans que l'artiste ait à accomplir de formalité. Et actuellement l'utilisation sans autorisation d'une image peut être pénalisée d'une amende allant jusqu'à 150 000 dollars. Ce ne sera désormais plus le cas. Toute personne pourra prétendre avoir en bonne foi fait la recherche de l'auteur ou de ses héritiers.

Le seul moyen de protéger une création sera de la digitaliser à ses frais, et de la déposer, encore à ses frais, dans des banques de données privées, ce qui est en violation des conventions de Berne. Et il est probable que ces organismes privés appartiendront, en sous-main, aux grandes entreprises de banques de
données !

Imaginez que chaque artiste, peintre, dessinateur ou photographe doive digitaliser et enregistrer à ses frais des centaines, des milliers d'œuvres pour qu'elles soient protégées. Et il ne s'agit pas seulement des artistes professionnels : seront orphelines aussi les images postées sur YouTube ou MySpace.



Cette loi a été adoptée sans que chaque sénateur ait à se prononcer ouvertement, en pleine tourmente des marchés financiers, par une procédure rare dite "hotline", qui ne s'applique normalement qu'à des propositions ne rencontrant aucune opposition !




Or plus de 75 organisations, dont la liste se trouve sur cette page, s'opposent à ce projet S-2913 depuis deux ans, avec véhémence. Elles recoupent des organisations d'artistes et photographes américaines, le syndicat des écrivains, l'association nationale des professionnels de l'industrie du disque, mais aussi des associations internationales de protection des droits de 31 pays, représentant plus de 100 000 artistes. A plusieurs reprises, ces derniers mois, le projet de loi a failli passer, et à chaque fois l'intervention in extremis par des milliers d'emails auprès des sénateurs et des députés a réussi à faire dérailler le projet. Ce n'a pas été le cas le 27 septembre.



Mais qui donc va profiter de cette loi des images orphelines ? Un intense lobbying de Google a-t-il permis que cette société participe à sa rédaction? Google a même fait récemment un don de 3 millions de dollars à la Library of Congress.



Mais les agences de photos Corbis (qui appartient à Microsoft), et Getty Images pourront, elles aussi, commercialiser des images sans être inquiétées par d'éventuels ayants droit.



Certains pensent que les fondements juridiques du droit d'auteur seraient à tel point menacés que cela pourrait amener à un bouleversement des règles qui régissent tous les contrats.




La presse américaine a été singulièrement muette sur cette affaire. Le New York Times a été jusqu'à refuser récemment un article, rédigé par les avocats représentant les organisations professionnelles, pour sa page éditoriale OpEd. Le groupe Condé Nast (le New Yorker, Vanity Fair etc) impose déjà aux photographes et dessinateurs des contrats draconiens, Le Monde a déclaré ne s'intéresser au problème que lorsqu'un autre organisme de presse lèverait le lièvre!



C'est donc à Telerama, par la plume d'Olivier Pascal-Moussellard, que nous devons le tout premier article consacré à la loi S-2913 (Telerama du 6 septembre). J'ai pu rencontrer ce journaliste à New York, en compagnie de Brad Holland, un grand artiste qui a été à la pointe du combat depuis plus de deux ans, et de Ted Feder, président de l'Artists Rights Society, qui représente, parmi bien d'autres, les ayants droit de Matisse, Picasso, et Chagall.




J'espère vivement qu'en France le ministère de la Culture va se saisir du dossier, sortir de sa prudence et intervenir diplomatiquement; c'est la dernière chance pour nous autres créateurs
d'images.



Citons en conclusion les propos désabusés de l'un des membres de la Commission Sénatoriale, interrogé sur ce qu'il pensait de la Convention de Berne, signée par les Etats-Unis : "Ce n'est pas la première fois que nous la piétinons ! ..."


Etienne Delessert

Président du CIELJ