Guy Jimenes
Ricochet : Guy Jimenes, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Guy Jimenes : J'ai 46 ans. J'écris depuis l'âge de 10-11 ans. L'envie d'écrire plus spécialement pour la jeunesse m'est venue voilà une vingtaine d'années, par le biais de ma formation de bibliothécaire, et ne m'a pas quitté.
Ricochet : Racontez-nous votre enfance, était-elle déjà bercée par la lecture ?
Guy Jimenes : Les livres tenaient assez peu de place dans ma culture familiale. Je suis issu d'un milieu modeste de Français d'Algérie. A Rio-Salado, près d'Oran, mes loisirs consistaient à jouer avec les gamins du quartier, le plus souvent dans la rue. Il y avait une certaine insouciance, beaucoup de gaieté, un mode de vie assez particulier, très espagnol, que je peux retrouver dans les villages de l'Andalousie. Et dans le même temps, il y avait cette insécurité terrible liée à la guerre : les enlèvements, les attentats, le bruit des armes, et tout ça a laissé des traces.
Ricochet : Avez-vous suivi des études littéraires ou bien votre fureur d'écrire est-elle innée ?
Guy Jimenes : Je n'ai jamais eu d'approche théorique de l'écriture. Je pourrais dire que j'ai écrit malgré l'école ou contre mes études littéraires (suivies d'assez loin...), mais ce serait incomplet et même injuste : le contact avec les textes au programme a été déterminant et j'ai eu la chance de croiser quelques enseignants remarquables qui m'ont transmis leur passion. Des camarades de classe aussi qui m'ont ouvert des horizons littéraires.
Ricochet : Quels sont les personnages ou les évènements qui ont marqué votre vie d'écrivain ?
Guy Jimenes : La première personne c'est Isabelle Jan. J'avais repéré son nom et sa fonction de directrice de collection sur les livres de la Bibliothèque internationale chez Nathan, et c'est à elle que j'ai adressé mon premier manuscrit. Elle ne l'a pas retenu mais m'a encouragé à écrire et a publié mon premier livre, Le Grand Réparateur.
La parution de Signé James Collas à L'école des loisirs a été bienvenue, à un moment où mes manuscrits semblaient ne plus intéresser personne.
Autre encouragement : le Prix du roman pour la jeunesse, jury des adultes, pour le manuscrit de La Protestation, et la rencontre, dans la foulée, avec Germaine Finifter directrice de la collection Les uns les autres...
Ricochet : Comment naissent vos histoires ?
Guy Jimenes : Elles ne naissent pas finies, si je puis dire... Elles s'élaborent dans l'écriture, je les sens toujours en devenir. Je travaille sans plan, je ne sais pas très bien où je vais. Je m'attache beaucoup à mes personnages, je me projette en eux, j'essaie d'être précis et juste, de sentir où cela m'emmène et si j'ai vraiment envie d'y aller... Dans un second temps, j'adore réécrire, retravailler mes textes, surtout ceux qui jouent sur l'humour, la verve, les dialogues, le rythme, tout ça me passionne. Mais il faut bien s'arrêter. Quand le contrat est signé avec l'éditeur, quelque chose se fige. Il y a un moment de vide, et puis je réinvestis un nouveau projet.
Ricochet : Monsieur Boniface a été l'un de vos héros fétiches, puis a disparu de vos oeuvres, pourquoi ?
Guy Jimenes : Monsieur Boniface n'a été mon héros fétiche que le temps de trois livres. J'aurais aimé qu'il le reste pour d'autres aventures, j'étais prêt à en écrire au moins deux autres, mais l'éditeur a retardé la parution et l'a étalée sur 4 ans. J'ai mal vécu cela. Ce personnage, je l'aimais beaucoup, mais je m'en suis senti dépossédé et je suis passé à autre chose.
Ricochet : Lorsque vous publiez un livre, comment accueillez-vous les critiques de vos jeunes lecteurs ?
Guy Jimenes : Les enfants touchent souvent très juste. Je suis intéressé à connaître leurs avis, en même temps je ne crois pas que cela change grand-chose.
Ricochet : Vous vous rendez souvent dans des écoles pour rencontrer vos lecteurs, sont-ils pour vous une source d'inspiration ?
Guy Jimenes : Ecrire est une activité tellement solitaire. J'ai besoin de voir à l'autre bout de la chaîne comment mes histoires ont été reçues. Je prends plaisir à ces rencontres. Cependant je ne crois pas que les enfants me soient une source d'inspiration. Par exemple, je ne "teste" jamais un de mes manuscrits en cours d'écriture, cela n'aurait aucun sens pour moi. Je dois être un des premiers, peut-être le premier, en 1990, à avoir publié une histoire racontant la visite d'un écrivain à l'école (Signé James Collas). Depuis, le genre s'est développé ! Là, l'inspiration paraît évidente. Et en même temps, je pense que j'aurais pu écrire à peu près le même livre sans avoir mis les pieds dans une classe en tant qu'écrivain. Mais je me trompe peut-être.
Ricochet : Lisez-vous les livres de vos confrères ? Si oui, quels sont vos auteurs jeunesse préférés ?
Guy Jimenes : L'exercice du métier de bibliothécaire et mon goût personnel m'ont amené à lire pas mal de livres pour la jeunesse. Parmi les titres qui m'ont marqué ces dernières années, je citerai spontanément au risque d'en oublier : Fais-moi peur et Sombres citrouilles de Malika Ferdjoukh, La guerre d'Eliane de Philippe Barbeau, Le roi de la forêt des brumes de Michael Morpurgo, Lettres d'amour de 0 à 10 de Susie Morgenstern, Le lapin Valentin d'Odile Hellman-Hurpoil, A la vie à la... de Marie-Sabine Roger... J'ai aimé aussi Les crétins punis d'Evelyne Reberg, et Peur sur la ferme de Sophie Dieuaide qui m'ont beaucoup fait rire. Je ressens d'ailleurs une espèce d'injustice dans le paysage critique : les livres d'humour et les textes pour les très jeunes sont peu valorisés. Ce sont pourtant les plus difficiles à réussir, me semble-t-il. Ah, j'oubliais ! – au risque de contribuer à l'hystérie commerciale ambiante – ... Harry Potter !
Ricochet : Avez-vous déjà écrit pour les adultes ? Si non, pourquoi ?
Guy Jimenes : Quelques-uns de mes textes sont à la lisière de l'écriture pour adultes. Il se trouve que l'édition est structurée et compartimentée de telle façon qu'ils ont trouvé un débouché dans des collections pour adolescents. J'aime particulièrement écrire pour la jeunesse, mais je ne suis pas sectaire : j'écris aussi de temps en temps des nouvelles pour les adultes publiées dans une revue de littérature policière. Il n'est pas exclu que j'écrive un jour un roman pour les adultes, mais je n'en ai pas le projet dans l'immédiat.
Ricochet : Que pensez-vous des nouvelles technologies ? Sont-elles une menace pour le livre de jeunesse ?
Guy Jimenes : Une menace pour le livre de jeunesse ? Peut-être, je n'ai pas la compétence pour en juger et je n'exprimerais que mes fantasmes... Les nouvelles technologies, je m'y adapte. Un de mes fils âgé de 16 ans m'a construit l'architecture d'un site personnel consultable sur le Web. Il y a ce côté fascinant, ce nombre d'informations traitées en si peu de temps, si on m'avait dit cela quand j'avais 10 ans, j'en aurais rêvé, et voilà : Bill Money Gates l'a fait... et on est bien avancés !
Ricochet : Etes-vous vous-même un adepte de la souris ou bien préférez-vous le papier crayon ?
Guy Jimenes : Souris, papier, crayon, tout est bon. L'ordinateur rend bien des services. Je n'ai pas oublié l'époque héroïque où je copiais-collais à la main, ciseaux et rouleau de scotch, condamnés à retaper au propre les versions successives de mes manuscrits. Mais je relativise facilement tout ça. Je pourrais décrocher très vite. C'est d'abord dans sa tête qu'on écrit, c'est là qu'est la liberté, le reste suit, on se sert de ce qui est disponible... N'était-ce pour les risques de crash d'avions ou pour les malades dépendants de la technologie, j'attendais avec une sérénité un brin goguenarde le bug de l'an 2000 et j'ai été assez déçu.
Ricochet : Est-ce qu'il vous arrive de travailler sur plusieurs ouvrages en même temps ?
Guy Jimenes : J'ai souvent plusieurs projets, mais je n'en investis qu'un à la fois.
Ricochet : Pensez-vous que l'illustration d'un ouvrage soit aussi importante que l'histoire par elle-même ?
Guy Jimenes : Oui, quand c'est, par exemple, François Place pour Les derniers géants ou L' Atlas des géographes. Oui dans le cadre d'un album pour les très jeunes, quand c'est par exemple Anne Brouillard ou Michelle Daufresne. Lorsqu'il s'agit de textes illustrés "après coup", il me semble que l'histoire domine, même si l'illustration est déterminante.
Ricochet : Lorsque vous écrivez, pensez-vous à l'illustration qui pourrait accompagner votre texte ?
Guy Jimenes : Non, je ne pense quasiment jamais à l'illustration. Cela a pu m'arriver, il y a des années, pour la Sorcière au scooter. J'imaginais cette histoire illustrée par Mette Ivers et c'est ce qui a fini par se réaliser, l'éditeur ayant suivi ma proposition. En ce moment, j'écris une suite à Lace-moi les baskets et c'est donc Christophe Besse qui l'illustrera. Comme j'ai vraiment apprécié son travail sur le premier titre, j'y pense avec un plaisir anticipé, presqu'une gourmandise, sans que cela influence l'histoire que je raconte ni ma façon d'écrire.
Ricochet : Avez-vous votre mot à dire lors du choix de l'illustrateur et travaillez-vous en collaboration ?
Guy Jimenes : Non. Par contrat, le choix de l'illustrateur reste le plus souvent la prérogative de l'éditeur. Je peux le comprendre. Je n'écris pas des livres, mais des textes, et le métier de l'éditeur consiste précisément à réaliser un livre à partir d'un texte. Si j'écrivais pour de très jeunes enfants, je ressentirais différemment les choses, j'éprouverais sans doute de la frustration, et je souhaiterais qu'on m'associe davantage.
Ricochet : Avez-vous déjà travaillé pour la presse de jeunesse ?
Guy Jimenes : Oui : des piges pour des histoires complètes dans J'aime lire. J'ai eu la chance que certains de ces textes, ceux finalement auxquels je reste le plus attaché, trouvent une nouvelle vie dans l'édition.
Ricochet : Vos textes sont souvent empreints d'étrange et quelquefois de merveilleux, êtes-vous un éternel rêveur ?
Guy Jimenes : C'est curieux, ce n'est pas tout à fait ainsi que je me vois !... Le merveilleux, je l'apprécie beaucoup, je l'admire, il me fascine, par exemple dans les classiques anglais pour la jeunesse, mais j'échoue, en tant qu'écrivain, à l'aborder de front. J'ai eu des velléités : L'Arche du diable, Le Grand Réparateur ou même Basket balle mettent d'abord en jeu du surnaturel, mais c'est plus fort que moi je retourne à une résolution rationnelle, les pieds sur terre. Nôar le corbeau est une exception, la seule de mes histoires où l'on reste dans le merveilleux... Sur l'étrange, je vous rejoins davantage : je suis très attiré par le "réalisme fantastique", le léger décalage... ça ne donne pas pour autant des livres sérieux ni graves. L'humour c'est aussi un décalage, une façon de ne pas prendre la vie au tragique. Les phobies, les obsessions d'un personnage peuvent être irrésistibles.
Ricochet : Quel est l'ouvrage dont vous êtes le plus fier ?
Guy Jimenes : Il y en a deux ou trois dont je suis assez fier, et Chlaganoir, écrit en collaboration avec Evelyne Reberg, en fait partie.
Ricochet : Avez-vous des livres en cours actuellement ?
Guy Jimenes : Je viens de terminer l'adaptation pour le théâtre de La protestation, qui sera montée en 2002. Et il y a cette suite à Lace-moi les baskets (le titre n'est pas encore arrêté...), à paraître en août.
Ricochet : Quels sont vos projets pour ce nouveau millénaire ?
Guy Jimenes : J'ai eu la chance d'exercer pendant plus de 20 ans un métier passionnant, celui de bibliothécaire. Depuis peu, j'ai choisi de me mettre en disponibilité complète pour me consacrer davantage à l'écriture. Les projets ? Ainsi que j'ai toujours essayé de le faire, ne pas trop tendre l'oreille à l'air du temps mais rester à l'écoute de ma propre musique.