Joel Franz Rosell
consacre uniquement à l'écriture. On lui doit en France, Cuba, destination trésor paru l'année dernière chez Hachette, ainsi que Les Aventures du cerf-volant en 1998.
Ricochet : Joel Franz Rosell, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Joel Franz Rosell : Je suis né à Cuba en 1954, dans une petite ville de l’arrière-pays nommé Cruces, ce qui veut dire "Croisements" ou "Carrefours". Même si ce nom fait, à l’origine, allusion aux nombreux chemins de fer qui se croisent dans ce fief de l’industrie sucrière, il évoque avec pertinence le métissage sur lequel s’asseoit l’identité de Cuba. Parmi mes ancêtres, on trouve des blancs espagnols, des noirs africains, des aborigènes et même des chinois! Cependant le métissage est si profond dans mon pays qu’il est difficile de percevoir, en tout cas en littérature, les différentes composantes isolées. Ainsi, dans mon écriture on ne trouve généralement pas de marques explicites des cultures d’origine.
J’étais un écrivain assez connu quand j’ai quitté Cuba en 1989 pour rejoindre mon épouse française. Je l’ai ensuite accompagnée partout où sa profession l’a conduite: au Brésil, au Danemark, en France, et finalement en Argentine. Cela a enrichi mes textes avec d’autres expériences géographiques, culturelles et personnelles, rendant mon écriture, me semble-t-il, plus universelle.
Ricochet : Vous avez travaillé pendant plusieurs années comme animateur littéraire pour le Ministère cubain de la culture, qu'est-ce que vous a apporté cette expérience ?
Joel Franz Rosell : L’événement majeur de l’histoire récente de Cuba c’est la révolution castriste. Je n’avais pas plus de trois ans quand Fidel Castro s’empara du pouvoir et commença à redessiner la societé cubaine. J’ai été éduqué dans les principes "révolutionnaires" et je pense même que probablement je ne me serais pas consacré à la littérature pour la jeunesse sans un tel changement politique. Avant 1958, il n’y avait pas une seule maison d’édition digne de ce nom à Cuba et très peu de livres avaient été publiés pour les enfants.
Dès le début des années 1970, l’un des objectifs clés de la politique culturelle révolutionnaire a été de développer la pratique, par le peuple, de l’art et de la littérature. Les ateliers d’écriture se sont énormement développés dans les années 70 et 80, et avant d’en devenir animateur, j’en fis partie comme "apprenti" écrivain. L’expérience a été riche. J’y ai appris qu’un texte n’est jamais fini, qu’il faut toujours le tester avec les autres, que la critique est toujours un enseignement...
Pour orienter ce mouvement de masse on engageait des diplômés de lettres. J’ai travaillé comme animateur littéraire, successivement, à Santa Clara, à Santiago de Cuba (deux des plus grandes villes de Cuba) et à La Havane. J’ai été animateur de terrain et aussi responsable départemental pour les animations littéraires. Cela m’a permis de parcourir le pays et de rencontrer des gens de talent divers mais toujours passionnés de littérature: des écrivains professionnels, des jeunes talents qui par la suite ont connu la renommée et d’autres personnes qui sont restés amateurs. J’ai aussi travaillé avec des enfants qui écrivaient et qui lisaient très bien. Ils ont eu beaucoup d’influence dans l’aboutissement de celui qui devint mon premier livre publié.
Ricochet : Vous avez également enseigné la littérature latino-américaine à l'Université de Marne-la-Vallée, pensiez-vous à cette époque être publié en France ? Comment s'est fait ce cheminement ?
Joel Franz Rosell : Un écrivain veut toujours partager son travail avec les gens qui l’entourent (c’est vrai qu’on écrit d’abord pour soi-même, mais on publie toujours pour les autres). S’il y a une chose qui me plaît c’est de traîner dans les librairies... et trouver au hasard mes livres parmi les autres! On raconte certaines anecdotes à propos d’écrivains qui surveillent les premier pas de leurs livres dans les librairies. Et bien, je suis sûr qu’il n’y a pas d’écrivain qui n’ait pas fait cela!
Pendant mon séjour au Brésil, j’ ai publié mon troisième livre -traduit en portugais-, mais je ne suis pas parvenu à me faire traduire au Danemark. Les éditeurs contactés m’ont répondu que mon monde était trop différent de celui des enfants danois ou que ma façon de mélanger réalité et imaginaire n’était pas du goût des jeunes Danois. En conséquence, mon désir de voir mes livres traduits n’était que plus fort quand je suis arrivé en France en septembre 1995. J’ai commencé tout de suite à envoyer mes manuscrits à différents éditeurs, mais ce n’est qu’en novembre 1998 que Hachette a sorti mon premier titre en français.
A la même époque je finisais ma collaboration de trois ans avec l’Université de Marne-la-Vallée. Il n’y a donc eu aucun rapport entre mon activité d’écrivain pour la jeunesse et mon activité de professeur... et cela à mon regret.
Le statut de la littérature de jeunesse dans le monde universitaire, en France comme en Amérique Latine et en Espagne, est loin d’être satisfaisant. Sauf dans quelques cas exceptionnels, la littérature pour la jeunesse n’est pas enseignée dans les facultés de lettres, mais dans les instituts pédagogiques... et encore!
On accepte volontiers l’idée d’offrir aux instituteurs une formation élémentaire en littérature pour la jeunesse, mais il est moins évident d’introduire des textes pour la jeunesse quand il s’agit d’un programme censé présenter le meilleur de la littérature d’un pays, d’une région ou d’une époque. Je m’en suis toujours voulu de ne pas avoir su introduire, entre les grands auteurs que j’ai présentés à mes étudiants (Octavio Paz, Nicolás Guillén, Mario Vargas Llosa, Cabrera Infante...) quelques-uns des grands auteurs latino-américains pour la jeunesse: José Marti, Horacio Quiroga, Gabriela Mistral et tant d’autres.
Si je reprends un jour l’enseignement je ne manquerai pas de payer cette dette. Surtout parce que mon expérience universitaire, elle, a laissé des traces dans mon travail d’écrivain. Mes articles sur le livre pour la jeunesse (une petite partie a été réunie dans un volume publié récemment en Argentine) ont beaucoup gagné grâce à mon passage à l’Université, mais ce qui est plus important, la lecture "savante" d’auteurs comme Octavio Paz et Cabrera Infante a enrichi ma façon de traiter la langue dans mes écrits pour la jeunesse.
Ricochet : Comment en êtes-vous arrivé à l'écriture pour les jeunes ? Est-ce que cela à toujours été votre souhait ?
Joel Franz Rosell : Je ne peux pas comprendre qu’on écrive pour la jeunesse parce qu’ il le faut, parce que les jeunes en ont besoin, ou parce que "un jour, ma petite fille était malade et pour l’amuser...". Je sais que ce sont des raisons ou circonstances qui ont amené au livre pour la jeunesse beaucoup d’écrivains... y compris des écrivains à succès et des auteurs de prestige. Mais je n’imagine pas Proust avouant qu’il écrivit A la recherche du temps perdu parce qu’un jour sa pauvre mère malade s’ennuyait, ou Cervantes nous confiant qu’il a écrit son Quichotte parce qu’un éditeur sagace lui en a fait commande! Pour moi, on est amené à écrire de la littérature de jeunesse comme on est amené à écrire de la poésie ou du théâtre: parce c’est avec les moyens propres à ce "genre" qu’on est capable de raconter ce qu’on ne peut pas s’empêcher de partager avec les autres. Pour moi c’est quelque chose qu’on ne choisit pas, comme on ne choisit pas de respirer.
J’ai commencé à écrire à douze ans. J’écrivais pour moi-même d’abord, puis pour ma petite soeur et ses amis. J’ai commencé en écrivant pour la jeunesse de façon très naturelle et mon style s’est façoné à l’intérieur de ce "genre". Jusqu’à présent, hormis dans le domaine de la critique et l’essai, je n’ai pas ressenti le besoin d’écrire pour les adultes... En fait, on peut parler de tout aux enfants. Et les possibilités stylistiques qu’offre la littérature pour la jeunesse sont, pour moi, beaucoup plus intéressantes. Au début je n’écrivais que des romans policiers ou d’aventure, de style réaliste, dans une prose directe. Mais progressivement je me suis intéressé à l’imaginaire, à l’univers du conte. J’ ai enrichi mon écriture avec des ressources poétiques et des jeux de mots, avec la parodie, les meta-langages, l’intertextualité et autres techniques contemporaines.
Ricochet : Comment naissent vos histoires ?
Joel Franz Rosell : Tout écrivain répondra que chaque histoire naît d’une façon différente. Dans mon enfance, le titre ou le lieu de l’action me suffisaient pour développer une histoire. Mon premier roman publié naquit d’un fait banal, qu’on pourrait même qualifier de préjugé esthétique: le dégoût qui me causait le port, par certains individus, de dents d’animaux utilisées comme pendentifs. J’ai imaginé un groupe de voyous qui utilisaient ces dents comme signe d’appartenance à une bande et j’ai fini par concevoir un complot international avec des agents de la C.I.A., etc. Ce roman s’appela Le secret du croc suspendu (El secreto del colmillo colgante) et il eut un énorme succès à Cuba: 50 000 exemplaires épuisés en une année.
Pour sa part, Les aventuriers du cerf-volant, mon premier livre traduit en France, n’était à l’origine qu’un conte paru dans un autre livre. La phrase finale promettait à mes personnages d’autres aventures, mais ce n’était qu’un jeu de mots, une jolie formule pour la chute de l’histoire. Pourtant je suis tombé dans mon piège et quelques mois plus tard mes personnages restaient si vivants dans mon imagination que j’ai dû écrire la suite de leurs aventures: un roman qui fut finalement publié à Cuba, en Espagne et en France, et qui fut désigné par la Bibliothèque Internationale de la Jeunesse, de Munich, comme un des meilleurs livres publiés dans le monde en 1996.
Je répète, une histoire n’emprunte jamais le chemin suivi par une autre. Souvent, des expériences réelles viennent se greffer sur des personnages et des situations complètement imaginaires, ou inversement. C’est le cas de Malicia Horribla Pouah, la pire des sorcières (mon dernier livre publié, en France, toujours au Livre de Poche Jeunesse de Hachette, puis en Espagne). Dans ce roman je mélange des images de La Havane d’aujourd’hui et des motivations propres au critique littéraire que je suis également. Je m’étais lassé de lire toutes ces histoires de sorcières gentillettes qui inondent le marché et j’ai décidé d’écrire l’histoire d’une sorcière vraiment méchante, tricheuse et dégoûtante, même si à la fin (m’aura-t-elle ensorcelé?) elle ose rêver à une autre vie.
Ricochet : Vous avez publié en 2000, Cuba, destination trésor, une enquête, presque policière, dans votre pays natal. C'est en somme une enquête journalistique dans la Cuba d'aujourd'hui ?
Joel Franz Rosell : Même si j’ai excercé le journalisme pendant des années (à Cuba, puis à Radio France Internationale, notamment), en littérature j’ai du mal à me borner à la représentation fidèle de la réalité. Mon roman s’ alimente, certes, de l’ image que m’ont laissée mes quatre retours à la Cuba contradictoire des années 90, mais il se nourrit également de quelques souvenirs de jeunesse et des ressources d’un certain type de roman d’aventure.
Cuba, destination trésor a été très long à aboutir et il a eu une destinée un peu singulière: ne paraître en espagnol que deux ans après sa publication en français. La première version du manuscrit je l’ai terminé en 1991, au Brésil. Deux ans plus tôt, j’avais quitté Cuba et, pour des raisons jamais éclaircies, je n’arrivais pas à obtenir la permission pour revenir à mon pays (il m’en fallait une à cette époque). Cuba me manquait cruellement et je supose que j’ai eu besoin de faire le voyage en rêve.
Cette première version n’eut aucun succès auprès des éditeurs brésiliens et espagnols auquels je l’ai adressée. Quelques années plus tard l’île était devenue très à la mode et l’image stéréotypée que je découvrais dans des nombreux récits me laissait assez peu satisfait. Alors, je repris mon idée de raconter aux enfants d’autres pays la découverte de Cuba, à travers les yeux d’une fillette espagnole qui aurait était chargée par un arrière grand-oncle de trouver le trésor qu’il avait laissé enfoui dans la maison qu’il habitait autrefois sur l’île. Plus que le trésor, ce que découvre mon héroïne est la réalité de Cuba, qu’on peut diviser schématiquement en deux: la merveilleuse île tropicale qui reçoit les touristes, et le pays sous-dévéloppé où les Cubains s’efforcent de sauver quelque chose de leur rêve égalitaire.
Avec ce roman je renoue aussi avec mes débuts, non seulement par le type de roman, mais parce que la bande de jeunes Cubains que l’héroïne espagnole rencontre sont les mêmes qui ont joué le beau role dans mon premier roman publié... dix-sept ans plus tôt!
Ricochet : Y-a-t-il des thèmes que vous ne pourriez pas aborder dans vos ouvrages ?
Joel Franz Rosell : Tout thème qui ne me passionne pas m’est defendu. On ne fait pas de fiction avec des thèmes mais avec des intrigues, avec des personnages, avec des mots soigneusement choisis. Le thème ne doit jamais faire surface et ne doit pas lester l’oeuvre non plus. Sa place est celle du squelette, celle du sang. Le thème doit être intégré à la subtile structure de l’oeuvre et pour cela il faut que l’écrivain soit si imprégné du thème qu’il n’ait même pas conscience de son existence.
Il y a des sujets qui m’intéressent beaucoup sans que j’ose les aborder tout simplement parce que je ne les connais pas assez. Je pense que tout ce qui a rapport à la vie quotidienne des enfants et des jeunes –qu’ils soient Cubains ou Français- doit être discuté entre les écrivains et leurs lecteurs avec franchise et profondeur. Pourtant, le stéréotype et l’opportunisme pullulent dans l’édition pour la jeunesse parce qu’il y a des éditeurs qui veulent disposer d’un catalogue thématique complet et des écrivains qui acceptent la commande en se contentant d’un dossier sommaire pour se documenter.
Les thèmes, en général, sont les mêmes pour les enfants d’aujourd’hui ou d’autrefois et beaucoup de nos problèmes resteront pour les hommes et les enfants du futur. Finalement, il n’y a pas non plus de différences fondamentales entre les enfants qui lisent en France, à Cuba, en Espagne, au Brésil ou ailleurs (mes livres ont été lus et publiés dans ces pays et dans bien d’autres où je n’ai jamais mis les pieds). Je préfère, donc, la perspective du conte, avec ses espaces imaginaires et son intemporalité. Là, je crois pouvoir aborder des thèmes qui intéressent, qui amusent, qui inquiètent mes jeunes lecteurs, avec profondeur mais avec la distance néccéssaire pour que ce soit une expérience plus stylisée, plus générale, plus dans la durée.
Ricochet : Lorsque vous publiez un livre, comment accueillez-vous les critiques de vos jeunes lecteurs ?
Joel Franz Rosell : Formé au sein d’ateliers d’écriture et étant moi-même critique littéraire, je donne la plus grande importance à l’opinion des autres. Et surtout à l’opinion des jeunes, car j’écris d’abord pour eux. J’ai beaucoup appris et j’ apprends toujours beaucoup dans les rencontres avec mes lecteurs. Cette année j’ai eu l’occasion de rencontrer des enfants de la Guyane, du Brésil, d’Argentine et de France Métropolitaine. A Cherbourg cela a été très fort. Avec Boiry, l’illustratrice de Cuba, destination trésor, j’ai visité neuf écoles et j’ai entendu des critiques et des suggestions très pertinentes... Et tout cela a fini pour le mieux: les enfants des 30 écoles de la localité ont décerné à mon roman le Prix de la Ville de Cherbourg.
Ricochet : Vous vivez désormais à Buenos Aires en Argentine. Quel est votre sentiment sur la littérature de jeunesse d'aujourd'hui en Amérique du Sud ? Quelles sont les grandes différences que vous percevez entre la littérature de jeunesse européenne et celle de l'Amérique latine ?
Joel Franz Rosell : Bien entendu, il y a autant de diversité entre LES littératures latino-américaines qu’à l’intérieur de ce que vous avez appelé littérature européenne. Dans les littératures de pays comme le Pérou, le Mexique ou la Colombie il y a une forte composante des cultures originaires du continent. Dans le cas du Brésil il faut ajouter la composante noire, très forte aussi à Cuba (où les aborigènes ont été décimés si vite par le colonisateur espagnol qu’aucune trace de leur culture, ou presque, ne nous est restée). Par contre dans un pays comme l‘Argentine, il y a plus de traces de cultures arrivées pendant le XX siècle (italienne, juive) que de cultures indiennes ou africaines. Toute cette diversité culturelle "d’origine"se reflète dans les formes et contenus de la littérature latino-américaine pour la jeunesse d’aujourd’hui, mais à cela il faut bien sûr ajouter les spécificités régionales de la langue espagnole et les variations liées à la structure sociale, à l’histoire et à la philosophie de l’enseignement propres à chaque pays.
Bref, la littérature pour la jeunesse de Cuba, d’Argentine et du Brésil –celles que je connais le mieux- sont aussi différentes, par exemple, que celles de la France, de l’Italie et de l’Espagne.
Mais, pour répondre plus précisément à votre question, je pourrais me risquer à mentioner quelques traits qui différencient les littératures latino-américaines des littératures européennes que je connais. De ce côté-ci de l’Atlantique, par exemple, on privilégie les contes, histoires et nouvelles aux romans, on trouve encore pas mal de livres de poésie et le travail sur la langue a, souvent, autant d’importance que l’histoire elle-même. Le panorama éditorial est ici loin d’être aussi rangé et compartimenté qu’en France. On remarque la persistance de quelques sujets tabous, le poids de la tradition orale, le peu de développement de la bande dessinée, le nombre réduit d’albums, de livres pour les tout-petits et de documentaires (entre autres, pour des raisons de coût).
Tout cela, des défauts et des qualités confondus, laissent la place pour encore beaucoup de découvertes, beaucoup d’inventions. Je crois sincèrement, que le livre pour la jeunesse de l’Europe Occidentale et de l’Amérique du Nord, qui donne des signes de saturation et fatigue, pourrait trouver un grand renouveau si l’on s’intéressait plus à ce qui se passe ailleurs.
Ricochet : Vous "militez" beaucoup pour faire connaître les auteurs hispano-américains...
Joel Franz Rosell : Comme je viens de dire, il y a beaucoup à découvrir dans le continent latino-américain: le Brésil est un formidable vivier de créativité, l’Argentine offre aussi des créations d’un énorme intérêt et puis il y a Cuba, avec un grand nombre de talents (en partie éparpillés un peu partout dans le monde). C’est ce que j’appelle l’"ABC" de la littérature latino-américaine, mais il y a également une richesse non exploitée au Mexique, en Amérique Centrale, dans les pays de la façade Pacifique... Il n’y a pratiquement aucun pays du continent qui ne puisse pas offrir au moins un noyau d’auteurs originaux et féconds, et partout il y a une tradition orale qui ne demande qu’à être fixée en formes littéraires.
Ricochet : Quels sont vos projets, si vous en avez, pour les prochaines années ? Si vous aviez un voeu à formuler ?
Joel Franz Rosell : Projets? Des dizaines! J’ai quatre livres en voie de publication et autant en train de prendre "consistance" entre ma tête et le disque dur de mon ordinateur. J’ai quelques projets de traduction en cours (à partir du français et du portugais), et aussi des propositions pour que le chemin soit parcouru dans le sens inverse: des livres à moi ou appartenant à des collègues latino-américains que j’ai proposés à des maisons d’édition, en France, en Italie, en Allemagne, au Brésil, en Espagne...
Si j’ai un voeu très cher, c’est que les éditeurs européens cessent de se contenter de traduire essentiellement à partir de l’anglais, et que les éditeurs des pays anglo-saxons arrêtent de croire qu’ils n’ont pas besoin de la création littéraire pour la jeunesse du reste du monde. Et que les uns et les autres comprennent que leurs formules arrivent à saturation et qu’il est temps de s’ouvrir à d’autres manières de penser et de raconter.
Une fois encore, c’est le problème de la globalisation mal comprise. Le monde est divers, chaque enfant est différent des autres enfants et il y a des lecteurs pour chaque type de livre. Malgré mon admiration pour les premiers volumes de la série de Harry Potter, le fait que de ces livres aient été vendus à plus de 100 millions d’exemplaires en quatre ans, pendant qu’il y a de centaines de titres de la même ou supérieure qualité réduits à quelques milliers d’exemplaires, est une catastrophe. Cela fait plus d’un siècle que l’on nous annonce la mort de la littérature et, comme le phénix, elle renaît toujours de ses cendres. Pourtant, aujourd’hui nous affrontons une crise réellement redoutable, qui ne vient pas de l’intérieur, mais de l’extérieur: si l’on continue à concentrer l’offre éditoriale et à "marchandiser" la littérature, l’ on finira effectivement par la tuer.