Yves Pinguilly
Yves Pinguilly, Verdun et les tirailleurs sénégalais
Ricochet - Dans votre roman " Verdun 1916. Un Tirailleur en enfer ", vous retracez le destin d'un jeune homme africain engagé malgré lui sur le front français pendant la Première Guerre mondiale. Ce sujet est longtemps resté tabou, notamment dans les manuels d'histoire, pour quelles raisons, selon vous ?
Yves Pinguilly - Les Tirailleurs Sénégalais, sont effectivement bien oubliés… et mis à part les spécialistes, peu de gens savent leur histoire et l'importance qu'ils ont eu dans de nombreux combats de la Grande Guerre. Cela est dû à l'histoire coloniale. Ces hommes étaient peu considérés, même si les militaires apprécièrent leurs qualités guerrières et leur courage face à l'ennemi.
L'entre deux guerres allait être le moment le plus exécrable de la colonisation. Si la France avait reconnu tous leurs talents elle aurait porté un autre regard sur le fait colonial… Aujourd'hui encore ils restent assez oubliés. La France a enfin revalorisé la pension d'ancien combattant de ces soldats, mais cette pension n'est toujours pas à la hauteur ! Entre autre, elle serait revalorisée non pas de manière unanime, mais en tenant compte des différences de niveau de vie dans chaque pays d'Afrique d'aujourd'hui.
Les manuels d'histoire ne parlent pas des tirailleurs, mais les manuels d'histoire sont très oublieux en ce qui concerne l'époque coloniale. Ils ignorent, me semble-t-il, les tueries de Sétif comme les tueries de Madagascar. Et, ce n'est pas demain qu'un manuel expliquera en long et en large la tragédie du camp militaire de Thiaroye, au Sénégal, en 1944, quand furent fusillés des Tirailleurs Sénégalais pour avoir osé seulement réclamer leur solde aux autorités coloniales françaises.
Ricochet - Aujourd'hui, près d'un siècle plus tard, pensez-vous que la France se soit acquittée de son devoir de mémoire envers les 78 000 soldats africains qui ont laissé leur vie en France sur les champs de bataille ?
Yves Pinguilly - La France ne s'est pas acquittée de son devoir de mémoire, pas encore. J'espère qu'un roman comme le mien y contribuera beaucoup… En effet, je suis un auteur français mais mon passé africain, ma connaissance de l'actualité et de l'histoire africaines, m'ont permis de faire œuvre imaginaire en racontant une histoire du point de vu des héros tirailleurs, des héros africains. Cela n'avait jamais été fait, même à l'époque coloniale où l'on a pu lire quelques mauvais romans avec des héros tirailleurs.
Ricochet - A votre connaissance, existe-t-il des romans pour la jeunesse ayant abordé, de près ou de loin, le sort de ces " tirailleurs sénégalais ", comme on les a appelés ?
Yves Pinguilly - A ma connaissance il n'existe aucun roman pour la jeunesse ayant abordé ce sujet. Les Tirailleurs Sénégalais sont peu présents dans la littérature et le cinéma. Quelques œuvres africaines effleurent le sujet, mais jamais d'œuvres pour la jeunesse.
Ricochet - Vous êtes un grand connaisseur de l'Afrique, en particulier du peuple peuhl de Guinée, avez-vous eu l'occasion de recueillir, de la part de ces hommes, des témoignages sur ce chapitre douloureux de l'Histoire africaine ?
Yves Pinguilly - En Afrique, j'ai souvent entendu parler des tirailleurs, mais je n'ai jamais recueilli de témoignages de première main. "Mes" tirailleurs, ceux de mon roman, sont des soldats de 14/18. Aujourd'hui, tous ont disparu. Mais, j'ai eu des conversations avec des fils de ces soldats… même ici, chez moi, dans les Côtes d'Armor, où réside un poète Sénégalais dont le père a été tirailleur pendant la Grande Guerre.
Si mon héros est peul de Guinée, c'est bien sûr parce que je connais très bien cette ethnie… depuis longtemps. Ce n'est pas la première fois que j'ai des héros guinéens en général ou peuls en particulier. Je montre aussi, ainsi, que ces tirailleurs appartenaient à l'Afrique en général et pas à la seule région devenue le Sénégal d'aujourd'hui.
Ricochet - A en croire la liste de vos ouvrages pour la jeunesse, vous semblez intarissable sur l'Afrique, on vous surnomme d'ailleurs " L'Africain ". Qu'est-ce qui vous inspire autant, d'un point de vue littéraire, sur ce continent ?
Yves Pinguilly - C'est vrai que je semble intarissable sur l'Afrique et c'est vrai que l'on me nomme "l'Africain". Depuis trente cinq ans je fréquente l'Afrique ! J'ai actuellement une vingtaine de titres en librairie qui disent l'Afrique d'une manière ou d'une autre… contes, romans contemporains ou romans historiques, albums. Mes trois prochains titres à paraître à la rentrée 2003 seront trois albums (éditions Autrement et éditions du Sablier) qui diront eux aussi l'Afrique.
Pour moi, l'Afrique a été un piège amoureux, comme l'ont été certaines de mes lectures. J'écris ces mots en pensant à Roland Barthes qui a une actualité importante ces dernières semaines. C'est lui qui disait que " tant que l'œuvre sera un piège amoureux on peut espérer que la littérature durera…" J'ai lu l'Afrique comme une œuvre littéraire s'ajoutant aux lieux de mon enfance et j'ai laissé cette œuvre là ensemencer mon écriture comme mon enfance.
Ricochet - La collection des " Romans de la mémoire ", chez Nathan, repose sur une collaboration avec le Ministère de la Défense, ce qui est un gage de crédibilité pour le contenu historique des ouvrages. Souhaitez-vous que votre roman soit lu et étudié dans les collèges ? Avez-vous envie de vous déplacer vous-même dans les classes pour échanger avec les enseignants et les élèves sur votre roman ?
Yves Pinguilly - Je souhaite que mon roman soit lu au collège… au lycée et partout ! Au collège bien sûr puisque la Grande Guerre est au programme des classes de troisième. J'ai très envie de me déplacer pour en parler aux élèves et à d'autres publics. En ce qui concerne les élèves, je crois qu'une œuvre littéraire qui comme la mienne ne relève pas du tout de la pédagogie, pas du tout du documentaire, peut en apprendre plus sur les réalités de la guerre ; ici plus particulièrement sur la vie et les combats des Tirailleurs Sénégalais qui furent les premiers Africains à partager la vie des hommes blancs dans d'autres conditions que celles imposées en Afrique par l'ordre colonial.