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Date

Simon Kroug

1 juin 2003



Entretien avec Simon Kroug





Simon Kroug est un jeune illustrateur suisse qui commence à se faire un nom. Dans son dernier album, qui a pour cadre un Maroc plutôt intime, il surprend par ses illustrations monochromes, rouges, et parvient à installer un ton et une atmosphère singuliers. Simon Kroug nous explique ce qui l'inspire autant dans les paysages du sud…






Ricochet : Vous vivez en Suisse, à Lausanne, et parmi les pays que vous avez visités, je crois que vous avez une prédilection pour les pays méditerranéens. Votre album " La Rumeur " a pour cadre le Maroc, est-ce par goût du contraste avec les paysages suisses ?


Simon Kroug : J'ai certainement une envie de contraste! Mais il faut reconnaître qu'il y a ici en Suisse des paysages, des villages et des figures qui auraient très bien fait l'affaire pour une histoire de rumeur! Mais nous aurions versé dans le côté "cancan de concierge" ou "ragot de village"… Il se trouve qu'en effet, j'ai plus de plaisir, pour l'instant, à dessiner des ambiances ou des images des pays que j'ai découverts, autour de la Méditerranée. J'aime profondément ces régions, malgré tout ce qui s'y passe. Il y a un art de [bien] vivre qui me plaît, et qui est bien loin de tous les magazines de déco que l'on peut trouver actuellement… J'aime les habitants de ces régions, leur chaleur humaine, leur générosité, leurs défauts et leur détresse aussi! Avec ce livre, je voulais montrer une certaine image du Maghreb, qui est, je l'espère, un peu en dehors des sentiers battus. Je souhaitais offrir aux enfants une autre Algérie, un autre Maroc, une autre Tunisie que ce que les médias veulent bien montrer…

Ricochet : Vos illustrations accompagnent le texte d'Anne Salem-Marin en monochrome, dans une couleur rouge proche du sépia, donnant l'impression de vieux clichés usés par le temps. C'est un choix plutôt audacieux, en quoi s'accorde-t-il, selon vous, avec la tonalité du texte ?


Simon Kroug : Je suis très intéressé à créer des ambiances avec mes images, en me détachant un peu du texte. Le choix de la couleur, s'il a été discuté avec l'auteur, est surtout en rapport avec la géographie du récit: initialement, j'ai travaillé ces images à l'encre bleue, et cette couleur ne correspondait pas vraiment avec l'ambiance nord-africaine que je voulais donner. Je suis conscient que cette couleur ocre rouge donne un côté "vieux cliché", mais elle apporte aussi de la chaleur, un peu semblable à une fin d'après-midi dans ces pays… C'est comme si j'avais utilisé la terre de ces pays pour dessiner.




Ricochet : Votre album se feuillette aussi comme un carnet de voyage composé d'esquisses saisies sur le vif : scènes d'intérieur, gros plans sur un visage, sur des pieds… Tout semble observé du point de vue d'un étranger, vos voyages vous ont-ils donné cette faculté de saisir les petits détails riches de sens ?


Simon Kroug : Les voyages sont une formidable école, à tous points de vue. On apprend beaucoup de choses, en particulier sur soi-même. Ce projet de livre est né au Maroc, alors que suivais des cours à l'école des Beaux-Arts de Casablanca. J'avais beaucoup de temps pour flâner, non seulement dans la ville même de Casa, mais aussi ailleurs au Maroc. Bref, j'étais dans des conditions de voyage idéales. J'ai en effet compris que l'œil d'un voyageur remarque beaucoup de choses simples et quotidiennes et que les autochtones semblent être parfois aveuglés par l'habitude. Chez moi, je suis aveugle: de retour en Suisse, j'ai tenté de retrouver ce regard de voyageur, mais c'est très difficile!

Pour en revenir aux images du livre, elles sont nourries des souvenirs de ce séjour marocain. Je les ait faites de mémoire et d'imagination mélangées, le soir, dans ma chambre d'hôtel, en essayant de revivre les impressions vécues au fil de mes journées.

Ricochet : Vos illustrations sont toutes de format identique et semblent cadrées par l'objectif d'un appareil photo. Est-ce volontaire ?


Simon Kroug : C'est vrai qu'elles ont une dimension photographique, par leur format et leur cadrage: j'aime bien travailler des points de vue inhabituels, couper des visages, etc… Je m'imagine souvent derrière un appareil photo ou une caméra lorsque je souhaite dessiner d'un certain point de vue. Cet aspect photographique vient peut être aussi du fait qu'avant de me sentir capable de croquer sur le vif, quand j'étais ados, je prenais beaucoup de photos en voyage. J'étais vraiment déçu du résultat de mes dessins de voyage, qui ne correspondaient pas du tout à ce que je voyais. C'est peut-être normal, à 14 ans! Donc je me suis contenté de prendre des photographies et par ce moyen, j'ai pu expérimenter le cadrage. Aujourd'hui, mes carnets (de voyage) mélangent des croquis pris sur le vif et des dessins d'inspiration.

Mais par contre, les illustrations de "La Rumeur" sont travaillées de mémoire. Les lieux qu'elles représentent sont imaginaires et comportent des détails qui m'ont frappé et qui existent. Les personnages sont nés eux aussi de tous les visages que j'ai pu croiser pendant ce séjour. Dans ce sens-là, elles ne sont pas photographiques: ce n'est pas exactement la réalité....

Ricochet : Vous êtes un jeune illustrateur (vous êtes né en 1977), avez-vous l'impression, avec cet album par exemple, de chercher de nouvelles voies, de nouvelles techniques, d'un album sur l'autre ?


Simon Kroug : Oui, bien sûr, cet album représente une nouvelle expérimentation sur le plan technique. L'éditeur a osé prendre le risque de publier un travail monochrome. Je lui en suis très reconnaissant. Je ne pense pas que la couleur soit nécessaire pour "accrocher" un jeune lecteur. J'espère que ce que je dis là se vérifiera… Je n'ai aucun moyen de le savoir d'ailleurs et heureusement!

J'éprouve beaucoup de plaisir à chercher puis à expérimenter de nouvelles techniques (je veux dire: nouvelles pour ma pratique personnelle). Si en plus elles ne sont pas "déjà vues", j'en suis heureux!

Je suis tenté de transformer mon trait en fonction du sujet. Je ne sais pas encore si c'est une bonne chose ou non. Je n'ai pas la réponse à cette question. Mais ce qui est certain, c'est que je ne souhaite en aucun cas m'enfermer dans une technique particulière. Je n'hésiterai pas à revenir à un dessin plus proche de celui de mon premier album, si un texte l'exigeait à mes yeux.




Ricochet : Les différents auteurs avec lesquels vous avez collaboré aux éditions de La Joie de lire vous ont-ils donné envie de vous frotter à l'écriture ?


Simon Kroug : Oui bien sûr. Je rêve de pouvoir écrire moi-même les textes de mes albums. Pour "La Rumeur", Anne Salem-Marin et moi avons vraiment collaboré. La construction de cette histoire fut une belle aventure et j'ai appris beaucoup. Il faut dire que pour cet album, nous sommes partis de la plupart des images pour construire l'histoire. Ce sens de construction n'est pas facile! Nous avons commencé par étaler toutes les images devant nous pour trouver un fil conducteur qui nous permette de passer de l'une à l'autre. Mais nous nous sommes vite rendu compte qu'il nous fallait oublier ces images. Tout à coup, elles ont pris trop de place! Il a fallu trouver un sujet relativement éloigné de ce qu'évoquaient mes dessins. Après quoi, elles se sont imposées dans un certain ordre et le texte s'est composé en fonction de ces images d'une part, et d'autre part par rapport aux idées qui nous venaient au fur et à mesure! Anne Salem Marin est très douée pour amener ces idées. Mon amie en a également proposé une que nous avons retenue.

C'est étonnant comme il est difficile d'écrire pour les jeunes enfants! Nous avons du écourter notre texte, synthétiser un maximum. C'est sur ce point qu'il faut que je travaille maintenant! Quelquefois, c'est un peu frustrant.

Ricochet : Vous venez de publier trois albums à La Joie de lire, c'est une belle preuve de confiance de la part de cet éditeur…


Simon Kroug : Je rectifie: pour l'instant, deux albums sont parus à La Joie de Lire. Le troisième, une BD pour enfants, sur un scénario de Sophie Clermont, devait paraître en avril. Malheureusement, "La Colline", dans la collection "Somnambule" n'est finalement programmé que pour le mois d'octobre. Que c'est loin!

J'ai beaucoup de chance d'avoir été reçu à La Joie de Lire comme je l'ai été. Cette petite maison d'édition est très sympathique et travaille depuis 15 ans déjà! L'éditrice, Francine Bouchet, est toujours à l'écoute de mes projets. Je suis content de plancher pour des gens qui ont un esprit d'ouverture et de grandes exigences.

Ricochet : Vous exposez actuellement, jusqu'au 5 juillet 2003, les originaux de " La Rumeur " dans votre atelier à Lausanne. Est-ce un lieu dans lequel vous souhaitez aussi promouvoir l'illustration pour la jeunesse en Suisse ?


Simon Kroug : Il s'agit d'abord de mon atelier. Mais puisque dans cette profession, on a (j'ai?) tendance à s'(m')isoler, je voulais que mon espace de travail soit un lieu ouvert, dans lequel je puisse de temps à autre soumettre mon travail aux yeux du public. Et par la même occasion, vendre deux ou trois images pour payer le loyer… J'ai donc pignon sur rue, au centre de Lausanne. En fait, j'ai pensé que je pourrais fonctionner comme un illustrateur public (soit l'équivalent d'un écrivain public, mais pour les dessins). Le concept n'étant pas encore très acquis, je ne fais pas vraiment de grosses affaires! Ce qui m'intéresse surtout, c'est le contact avec les gens, mais peu de passants osent pousser la porte...

J'aimerais bien pouvoir présenter le travail de collègues (jeunes et moins jeunes) mais je n'ai pas encore une liste d'adresses suffisante pour prétendre à une "promotion de l'illustration" en Suisse romande. Dans cette région, l'illustration est d'ailleurs peu utilisée, que ce soit dans la presse, les musées ou pour des particuliers. Elle est aussi très peu montrée, en tout cas du côté de Lausanne.

Je vous invite à faire un saut au "Poisson Volant" (c'est ainsi que j'ai baptisé l'atelier), qui se trouve à la ruelle de Bourg 5, dans le chouette quartier du Rôtillon. Mais mieux vaut me téléphoner avant de passer, puisque mes horaires sont très variables!

Ricochet : Quels sont vos projets ?


Simon Kroug : Sophie Clermont, qui a écrit le scénario de "La Colline" m'a envoyé de très jolis textes de sa plume. Nous nous entendons vraiment bien et je crois que nous allons essayer de concocter un livre de nouvelles illustrées pour les adultes. D'ailleurs, l'un de mes souhaits est que ce genre de livre se développe beaucoup plus. Pourquoi les lecteurs adultes n'auraient-ils pas droit aux images eux aussi?

Et puis j'ai du travail aussi pour Les Belles Histoires de Bayard Presse, qui m'ont proposé un très joli texte. Là encore, c'est une belle aventure qui s'annonce et qui devrait se concrétiser au printemps 2004.

Enfin, j'aimerais reprendre l'idée du carnet de voyage pour les enfants. J'aimerais beaucoup partager ce que j'ai vécu dans certains pays d'Afrique, que j'ai eu la chance de visiter accompagné par mon "frère" burkinabé.

J'ai aussi envie de faire une BD pour adultes. Je manque d'expérience dans ce domaine, mais il faut bien commencer une fois, n'est-ce pas?

Bon, au boulot!





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