Mario Ramos
Ricochet : Quel est votre rapport au livre?
Mario Ramos : J'étais un enfant très turbulent et la seule chose qui me calmait, c'était quand on me donnait un livre. J'ai vraiment la passion des livres. Je les achète vraiment pour mon plaisir, j'en ai énormément chez moi et je suis tout le temps plongé dedans. J'aime lire aussi les livres sans image, les romans aussi, cela me nourrit beaucoup.
Ricochet : Vous avez commencé par être illustrateur pour d'autres, maintenant vous réalisez vos propres livres. Ce sont des démarches différentes ?
Mario Ramos : Au début, j'étais plutôt dessinateur. Je faisais des dessins dans les journaux uniquement, des affiches. Je rêvais de faire des livres, mais il me manquait du temps. Pour commencer, j'ai travaillé alors avec d'autres gens parce que c'était plus facile et que je n'arrivais pas à bloquer mon temps pour faire un livre pendant plusieurs mois. Mais le but, c'était de vraiment raconter mes histoires évidemment. Puis, dès que j'ai pu faire mes livres, et comme ils ont eu du succès, j'ai à chaque fois investi dans le temps pour en réaliser d'autres. Et comme ils se vendent bien, j'ai eu la chance de pouvoir continuer. Je me rends compte que, chaque fois que je faisais un dessin, une affiche ou un dessin de presse, cela racontait une histoire. Même si c'était un seul dessin, l'histoire était là tout le temps.
Ricochet : Comment travaillez-vous? Qu'est-ce qui passe en premier, l'histoire ou les dessins?
Mario Ramos : Dans un livre, ce qui m'intéresse, c'est ce que je vais communiquer aux autres. Après, les couleurs, le format, les dessins, tout cela c'est de la " décoration". L'important, c'est le message ou plutôt ce que je vais raconter et ce que les gens vont en retirer. C'est ce qu'on te raconte, qui fait qu'un livre reste, même chose pour un film, ou pour un bouquin. On est des raconteurs d'histoires et pas des artistes-peintres. C'est essentiel ! Quand je fais un livre, je soigne très fort les histoires. Pendant longtemps, je cherche l'histoire et je mets à peu près cinq ou six mois pour réaliser un livre. Ce qui passe en premier, cela dépend des livres. Par exemple, dans " Le monde à l'envers ", c'est un dessin à l'envers qui a été la source de mon inspiration. Dans " Le petit soldat ", c'est très clairement le texte, c'est plus littéraire, je voulais parler de la guerre, j'ai commencé par le texte mais très vite, je passe aux dessins. Il n'y a pas un élément qui passe avant l'autre, c'est une dynamique en fait. Les deux racontent l'histoire, c'est pour cela que je fais les deux d'ailleurs.
Ricochet : La plupart de vos livres mettent en scène des animaux. Ce sont les interlocuteurs privilégiés des enfants?
Mario Ramos : J'utilise des animaux parce que c'est ce que j'aime bien dessiner. Et on ne fait bien que ce qu'on aime bien. D'abord, je n'ai rien inventé, ce sont des animaux aux attitudes humaines, le principe des fables de Lafontaine. Et puis cela parle très bien aux enfants aussi, cela permet une distance qui met de l'humour. Dans "Quand j'étais petit ", j'ai choisi de dessiner un lion qui mendie dans la rue plutôt que de dessiner un homme ou une femme, ce qui serait un peu scabreux et, comme c'est un lion et que le lion est le roi des animaux, tout de suite cela passe. Je ne dessine pas de personnages, sauf quand c'est absolument nécessaire. Dans "Au lit de petit monstre", là il me fallait des parents humains. Je préfère dessiner les animaux, ils ont des formes extraordinaires, ils me fascinent et puis j'ai toujours adoré les croquer.
Ricochet : Quand on va voir sur votre site, on voit que chaque livre développe un thème, parfois plusieurs. Quels sont ceux que vous préférez ?
Mario Ramos : J'ai des thèmes que j'affectionne particulièrement, comme jouer avec le loup et les trois petits cochons. C'est quelque chose que l'on a tous en tête, cette histoire on la connaît tous. En jouant avec cela, je pense faire réfléchir sur des sujets par rapport à notre vie actuelle. Le thème de la différence aussi, celui d'être grand, d'être petit. Qu'est-ce que l'on a perdu, qu'est-ce qu'on a gagné et toute la nostalgie qui existe par rapport à cela. Taquiner le pouvoir aussi, pourquoi on a cette fascination du roi, des reines, des ministres et des gens qui sont à la télé. J'aime bien introduire une distance par rapport au pouvoir, dire aux enfants qu'on est tous aussi importants les uns que les autres et qu'il n'y a pas de personnages plus importants que les autres. Le tout, c'est d'être correct avec nos principes et d'être chouette dans la vie. L'esprit de compétition est aussi un thème que j'exploite, comme avec le loup dans "C'est moi le plus fort". Ce sont des choses qui reviennent tout le temps. On est toujours plus fort que quelqu'un et il y a toujours quelqu'un de plus fort que nous. Cela dépend toujours à qui on se compare. Ce sont tous des thèmes qui m'obsèdent.
Ricochet : Parmi les thèmes que vous développez, on trouve aussi le mensonge, les apparences, le problème de l'identité, les peurs, le fait de grandir, la guerre... Est-ce important pour vous de parler aux enfants des côtés "moins positifs", voire des petites difficultés de l'existence ?
Mario Ramos : Cela fait partie de la vie. Je crois que les enfants comprennent et savent beaucoup plus de choses que ce que l'on croit. Souvent je leur fais confiance et je suis très étonné. D'abord il faut les remuer, je crois que c'est bon. Regardez une cour de récré, il n'y a pas plus cruel que des enfants. Je n'idéalise pas du tout l'enfant. J'adore cette période de la vie parce qu'elle comporte une énorme sincérité. Une sincérité que l'on perd un peu après parce que l'on vit dans un monde d'adultes et on ne pourrait pas vivre autrement. Ce que je remarque lorsque je suis devant un public d'enfants, c'est que tout de suite vous savez si cela fonctionne. Un public d'adultes, c'est plus difficile de savoir si vous les passionnez ou si vous les embêter. En fait, c'est une sincérité que l'on perd tous, moi je l'ai perdue aussi et j'adore cela. C'est pas mal de les secouer et de les mettre devant le monde les yeux ouverts tout en disant que l'on peut rire de tout, tout dépend de la qualité du rire. Quand j'anime les livres, les enfants savent les trucs quand je cache ma voix, que je la change, ils savent très bien que c'est moi qui fais la voix, mais ils y croient au moment où je le fais. C'est la même chose quand ils jouent avec les peluches : quand ils vont jouer avec une peluche, c'est un vrai animal quand ils jouent mais pourtant quand tu leur demandes si c'est un vrai animal, les enfants ne sont pas fous. Ils rentrent à fond dans le jeu mais ils le savent bien.
Ricochet : Vous utilisez l'humour pour parler aux enfants. Quelle est la force de ce moyen?
Mario Ramos : L'humour, c'est quelque chose de très important chez moi, d'abord parce que c'est comme cela que j'aime parler. Cela fait partie de ma vie. Dans les moments les plus durs, je m'en suis toujours sorti grâce à l'humour. Je pense que l'humour, c'est la politesse du désespoir. Je pense que c'est quelque chose de très riche et que je valorise beaucoup. Je parle du bon humour qui est quelque chose de très fort, car l'humour c'est toujours un peu sur une corde raide. Cela peut devenir vulgaire et être n'importe quoi. Je crois qu'avec un bon humour, on peut affronter les pires choses dans la vie, les pires situations et les pires personnages peuvent être démolis avec un humour bien tapé, bien choisi. Et puis, c'est aussi quelque chose que l'on partage tous. Quand je vois un parent qui rit avec son enfant autour d'un livre, je crois qu'il y a quelque chose qui se passe, quelque chose de magique. On établit un contact quand on rigole ensemble. J'essaie en fait de faire rire sur des sujets graves. Je ne fais pas des livres pour rire, mais j'utilise l'humour pour raconter des histoires qui me touchent très fort pour parler de la différence, de la guerre, etc.
Ricochet : Vous pouvez nous donner un exemple?
Mario Ramos : Dans "Le petit soldat", par exemple, c'était important pour moi que le petit soldat se retrouve en caleçon à un moment de l'histoire. Ce qui fait rire tous les enfants, évidemment. Ce n'est pas anodin. La guerre, c'est la fierté de l'uniforme et si les armées étaient en caleçon, elles auraient moins envie de se battre. Dans le "Le roi est occupé", un livre qui aborde le pouvoir, l'histoire se termine avec le roi aux toilettes. Cela peut faire rire simplement, et puis cela démystifie quand même l'image du pouvoir. Le roi va aussi aux toilettes. Dire cela aux enfants, c'est important. Ce n'est jamais gratuit chez moi. Je crois vraiment à la force de l'humour, et puis cela ne s'oublie pas. Déjà quand je faisais un dessin de presse, j'essayais de faire passer une idée forte en faisant rire parce qu'en faisant rire, l'idée passe mieux. Et puis c'est comme cela que je m'exprime, je ne me force pas. On est quand même là pour s'amuser aussi.
Ricochet : Quel est votre album préféré?
Mario Ramos : C'est le nouveau, "Mon Œil !". On espère à chaque fois faire mieux que les autres. C'est un peu le bébé que l'on est en train de porter. Mais, honnêtement, j'ai aussi un petit faible pour le tout premier " Le monde à l'envers", car il est très simple et très fort. C'est un livre à l'envers qui parle du fait d'être mal dans le monde qui nous entoure. Je crois que dessiné comme cela, avec le monde à l'envers, tout le monde s'identifie au petit héros qui se sent mal dans le monde qui l'entoure. Il n'y a presque pas de texte et je crois que cela dit beaucoup de choses. Ou sinon, je les aime tous pour des raisons différentes. Certains ont plus de succès, ce n'est pas nécessairement ceux que je préfère même si cela me fait énormément plaisir. Je les fais tous avec la même sincérité. Quand un livre a beaucoup de succès, je prends cela comme un cadeau. C'est que j'ai " tapé juste ", que j'ai rejoint la préoccupation des gens.
Ricochet : Vous réalisez des animations, qu'est-ce que cela représente pour vous?
Mario Ramos : C'est vraiment une partie importante de mon métier, je continuerai toujours à en faire. Et puis j'adore rencontrer mon public, parce que cela me nourrit et puis c'est important de garder le contact avec les enfants puisqu'ils ne sont pas les mêmes que quand j'étais petit. Ils n'ont pas les mêmes sujets de préoccupation. J'adore les taquiner sur ce qu'ils regardent à la télé, c'est un de mes grands dadas.
Ricochet : Est-ce que vous y pensez quand vous réaliser vos livres?
Mario Ramos : Non pas du tout. Par exemple le dernier, " Mon œil ", ne passe pas bien en animation alors qu'il plaît beaucoup. Quand je fais une animation, c'est plutôt une récompense. Je fais fonctionner les livres et je vois tout de suite si cela marche ou pas. Quand je fais un livre, j'essaie d'abord de faire des livres qui m'amusent. Le seul critère, c'est cela. Si cela m'amuse, je me dis que cela amusera d'autres personnes. J'essaie surtout de ne pas faire deux fois la même chose. Mais je ne teste pas mes livres sur les enfants. D'abord parce que je suis dans les "affres" de la création, c'est-à-dire, j'hésite, je me pose des questions jusqu'au bout, et c'est vraiment trop des questions de cuisine interne pour demander à l'extérieur. Ce sont souvent de petits détails et puis, quand je vois sur quoi j'ai buté, les gens ne comprendraient pas. Mais ce sont des petits détails qui font qu'une fois le livre terminé, il coule de source. Et comme j'essaie de simplifier au maximum, c'est paradoxalement beaucoup de travail.
Ricochet : Pouvez-vous nous donner quelques réactions d'enfants qui vous ont étonné?
Mario Ramos : Oui beaucoup, je peux vous raconter celles que j'ai souvent en animation. " Quand j'étais petit" est un livre animé, sans texte où l'on voit l'animal quand il est grand et quand on soulève, on le découvre quand il était petit. Par exemple, on voit un singe fâché, assis sur son rocher, et lorsque l'on soulève, on découvre un singe qui gambade dans les arbres et qui fait des grimaces. Alors je demande comment un singe qui était content quand il était petit peut-il devenir un grand singe qui fait la tête? Les réponses que j'ai habituellement, c'est "c'est à cause du travail". Et le plus souvent, ils me disent soit "il a trop de travail", soit "il n'a plus de travail". C'est génial, ce sont les deux problèmes de notre société, et ils le comprennent bien les enfants! Ou encore quand je leur demande pourquoi le gentil petit louloup devient un méchant loubard, ils me disent "c'est ses parents qui lui ont dit d'être méchant", donc mauvaise éducation, ou encore "ce sont les autres qui ont une mauvaise influence sur lui", ou bien encore "c'est l'âge bête cela va lui passer". Tout ce que les enfants vivent ressort à ce moment-là. Cela s'exprime à travers le livre!
Ricochet : Depuis peu , vous avez créé votre site…
Mario Ramos : Oui, il est là depuis février. Ce que j'ai voulu faire, c'est éclairer les livres. J'ai scanné toutes les petites choses que l'on ne voit pas habituellement afin de montrer le chemin d'un livre. C'est un peu comme si on allait fouiller dans mes fardes. Quand on clique sur la couverture des livres, on arrive aux petits secrets, aux croquis. Les petits secrets, ce sont les choses que j'explique autour du livre, ce que les gens ne voient pas tout de suite. Une fois que les gens l'ont lu, ils peuvent faire la même chose avec les livres. Dans la rubrique croquis, j'y ai mis des choses écartées, les ratés. Moi aussi je me pose des questions, est-ce que le définitif est aussi bien que le projet ? Des choses comme cela, cela fait vivre les livres. J'ai essayé de faire un site très humain et pour moi, c'est important. Je le nourris régulièrement, chaque fois qu'il y a une nouvelle sortie de livres, il faut inscrire les secrets, c'est tout un petit travail, trier les croquis aussi, ce qui est assez terrifiant parce qu'alors je vois les chemins que j'ai abandonnés. Comme je fais pas mal d'animations mais que je ne peux pas tout le temps me déplacer, parce que mon boulot c'est de créer des livres, c'est un autre moyen de communiquer. Cela permet de démystifier aussi l'auteur retiré dans sa tour d'ivoire.