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Si Amadou Hampaté Bâ nous était conté : un pont entre l'oralité et l'écriture

Zohra Djabrohou
1 janvier 1990


Introduction :


Si l'on peut attribuer à la littérature écrite ses titres de noblesse, la littérature orale n'en est pas moins digne.

Au point qu'on l'a immortalisée en faisant couler beaucoup d'encre, en provoquant l'émulation des foules pour la véhiculer.

Pendant des siècles et encore aujourd'hui les conteurs et notamment les griots en Afrique se sont engagés à la régénérer.

Il n'est donc pas rare, de nos jours, de rencontrer quelqu'un chargé d'une anecdote illustrant une histoire racontée jadis par un parent, de personnages ou d'animaux familiers ; ces derniers, comme par enchantement, ne sont pas méconnus de nos chers bambins.

Mais le continent africain peut en dire long sur la littérature puisqu'historiquement emprunt de la tradition orale. Parmi les nombreuses définitions de l'oralité, nous retiendrons celle-ci : " c'est l'ensemble de tous les types de témoignages transmis verbalement par un peuple sur son passé " (cf.La tradition orale.- Geneviève Calame Griaule). Elle n'hésite pas à se parer de divers vêtements, devenant tour à tour, conte, fable, mythe, devinette, énigme, chant etc.. ; venant ainsi enrichir le répertoire de la littérature orale.

Nombreux sont ceux qui se sont efforcés de la transmettre, et certains tout au long de leur vie s'en sont faits de fervent défenseurs ; parmi eux, Amadou Hampaté Bâ, grande figure mythique de la littérature africaine, convaincu de l'influence bénéfique de la tradition orale sur les enfants, nous livre son expérience.

Nous le décrirons donc brièvement pour aborder plus longuement ses propos sur la question de l'oralité et de son importance auprès des enfants.




Petit portrait


Amadou naît au Mali en 1900, dans la ville de Bandiagara, issu d'une grande famille maraboutique du côte de son père et d'initiation pastorale du côte de sa mère). Dès l'âge de trois ans, il se retrouve en pays bambara où il découvrira les traditions. Après la libération de son père adoptif il retourne à Bandiagara. En tant que fils de chef il intègre de force l'école française. De 1922 à 1933 il occupe plusieurs postes administratifs en Haute Volta et gravit les échelons par concours interne. De 1933 à 1942 affecté à Bamako il occupe le poste de 1er secrétaire de la mairie et d'interprète auprès du Gouverneur. A partir de 1942 il conduit plusieurs tournées d'enquêtes au Sénégal, en Guinée, Niger, Mauritanie etc...En 1951 il obtient une bourse décernée par l'Unesco qui lui permet de vivre à Paris pendant 1 an et de lier des amitiés franco-africaines.

Homme d'action il ne cesse de multiplier les casquettes en devenant président du conseil de rédaction du mensuel Afrique en marche et administrateur de la Sorafom (radiodiffusion française outre mer) en 1957. En 1958 il fonde l'Institut des Sciences Humaines à Bamako au Mali qu'il dirige jusqu'en 1961.

En homme de lettres il obtient en 1974 le grand prix littéraire de l'Afrique noire pour l'étrange destin de Wangrin et le prix de la langue française par l'Académie Française pour l'ensemble de ses oeuvres. En 1979 il devient membre sociétaire de la SGDL (Société des Gens de Lettres) et continue son parcours littéraire ponctué d'essais sur les civilisation africaines, de romans, de recueils de contes.

En mai 1991, c'est la fin du parcours puisqu'il meurt à Abidjan.






L'instruction traditionnelle africaine


" Le fait de n'avoir pas eu d'écriture n'a jamais privé l' Afrique d'avoir un passé, une histoire et une culture... "

(Amadou Hampaté Bâ)


Persuadé de l'importance de sa pérennisation, tout un chacun s'en empare. En effet en Afrique , la tradition africaine devient une affaire transgénérationnelle : les parents prennent prétexte de la tâche accomplie par l'enfant ou d'une rencontre pour lui transmettre un savoir, un savoir faire, un savoir-être. Les grands-parents y participent aussi très activement étant considérés comme les plus sages, les plus diponibles. Trait d'union entre le passé et le présent ils établissent avec l'enfant un contact complice. Toutefois le lien filial n'est pas nécessaire puisque tout vieillard peut intervenir dans la transmission de la tradition.

A ce propos, Amadou Hampaté Bâ nous livre sa phrase célèbre : " En Afrique chaque fois qu'un vieillard meurt c'est une bibliothèque qui brûle ". Nous éclairant ainsi sur la valeur intrinsèque de la transmission, il ajoute : " il est peu de choses dans la tradition africaine, qui soient purement récréatives et gratuites, dépourvue d'une visée éducative ou d'une fonction de transmission de connaissances ".




Le conte


" Un conte (ou un proverbe), c'est le message d'hier transmisà demain à travers aujourd'hui ".

(Amadou Hampaté Bâ)



D'où, notamment le rôle crucial des conteurs censés susciter la réflexion, provoquer la curiosité, développer la subtilité dans l'esprit de leur auditoire. Aussi, par un questionnement perpétuel ils vérifient l'exactitude de la mémoire et tentent constamment de chercher le sens caché des choses. Ces maîtres de la parole éveillent l'esprit à ce qui se dissimule dans l'invisible pour que chacun d'entre nous trace son propre parcours et découvre ses propres potentialités.

Les thèmes récurents ? La genèse du monde, la destinée de l'homme, les qualités requises pour être vaillant, fort et courageux. Les qualités que l'on met souvent en lumière auprès des enfants sont la prudence indispensable à la survie, la générosité, la ruse contre les forces malfaisantes qui nous entourent , la dignité, la compréhension de la société pour y trouver une place.

Qu'en pensait Amadou Hampate bâ ? " Tout conte est plus ou moins initiatique, parce qu'il a toujours quelque chose à nous apprendre sur nous-mêmes. C'est une vraie pédagogie orale. A défaut de livres, notre enseignement se trouve dans les contes, les maximes, les traditions orales... Les contes, parole vivante qui nous vient des ancêtres, sont appelés "le message d'hier, destiné à demain, transmis à travers aujourd'hui. Un tel message , qui passe par le symbole et par l'image et non par des explications rationnelles, a le don de nous toucher, sans que nous nous en rendions compte, au plus profond de nous-mêmes, et de traverser les siècles sans rien en perdre de son pouvoir. A ce titre, le conte est un moyen de transmission par excellence.

En ayant eu la chance de rencontrer Hélène Eckmann j'ai pu retenir une autre fonction : faire prendre conscience à tout un chacun de ses défauts, de ses attitudes maladroites. Selon elle Amadou Hampaté Bâ pensait que le conte était un bon moyen de reprocher sans blesser l'égo puisque le concerné n'était pas directement dénoncé, cité. Pour se faire, on se sert des animaux parce que l'homme susceptible et orgueilleux, aime entendre critiquer les autres ou les critiquer lui-même, mais ne souffre pas que l'on fasse ressortir ses faiblesses. Et lorsque cette même tradition use de l'animal pour valoriser certaines vertus, c'est pour elle un moyen de ne pas encourager chez l'homme le plaisir qu'il éprouve à entendre ses propres louanges.

A chaque animal, un défaut ou une qualité :



Animal Qualité ou/et défaut
Le lion La force, le courage
La hyène L'imbécilité, la gourmandise,la naïveté, la précipitation irréfléchie, la laideur
Le lièvre La ruse et la peur
La panthère La rapidité, l'adresse, la traitrise, la férocité
La tortue Longévité, protection, lenteur
La tourterelle La paix, la beauté, la délicatesse
Le pigeon L'amour, la galanterie, le badinage
L'hippopotame La laideur, la brutalité, la stupidité,
L'éléphant La force, l'intelligence, la sociabilité, la reconnaissance




A chacun d'entre nous de se mouvoir dans le miroir qu'illustre le conte.

" Il faut apprendre, disait Amadou Hampaté Bâ, à écouter les contes, les enseignements, les légendes, ou à regarder les objets, à plusieurs niveaux à la fois. C'est cela en réalité, l'initiation. C'est la connaissance profonde de ce qui est enseigné à travers les choses, à travers la nature et les apparences. Tout ce qui est enseigne en une parole muette. La forme est langage. L'être est langage. Tout est langage. "

Au bout du conte il y a toi, moi, nous, en bref, l'homme ou l'enfant métamorphosé par une rencontre avec un personnage, une atmosphère, une morale.


Je voudrais témoigner d'un conseil emprunt de sagesse entendu lors d'un colloque à l'UNESCO auquel j'ai participé en octobre 2000. Histoire de méditer un peu et d'illustrer la finesse d'esprit d'Amadou Hampaté Bâ.

En observant le caméléon on peut remarquer qu'il ne peut tourner la tête mais qu'il a un angle de rotation visuel impressionnant ; Amadou Hampate Bâ a relié ce caractère physiologique à l'idée qu'il ne faut pas perdre de vue son objectif, sa ligne de conduite et qu'il est nécessaire de se donner les moyens pour l'atteindre en allant glaner, par exemple, toute information utile.

Si l'on poursuit notre investigation, le caméléon ne dandine pas, ne sautille pas mais avance lentement une patte après l'autre ; à l'état statique il a le réflexe d'accrocher sa queue. En terme symbolique, Amadou Hampaté Bâ a pensé que c'était un bon exemple pour illustrer la prudence ; il ne s'agit pas d'aller tout azimut, sans repère vers la réalisation de ses objectifs mais bien d'avancer prudemment et de s'équiper de balise de sécurité (accrocher sa queue) en cas de secousse. Quant à sa couleur changeante, elle est associée au principe d'adaptation ; autrement dit l'homme devrait s'adapter à la société dans laquelle il se trouve, tout en gardant à l'esprit son objectif du départ, en se préservant de toute influence.


Dans un texte intitulé " la tradition vivante " Amadou Hampaté Bâ dit : " ce qui est en cause derrière le témoignage lui-même c'est bien la valeur de l'homme qui témoigne. Or, c'est dans ces sociétés orales que non seulement la fonction de la mémoire est la plus développée, mais que le lien entre l'homme et la parole est le plus fort. Là où l'écrit n'existe pas, l'homme est lié à sa parole, et sa parole témoigne de ce qu'il est ".



Pourquoi donc ce besoin d'écrire ?


" Lorsque j'écris, c'est de la parole couchée sur le papier "

(Amadou Hampaté Bâ)


Ardent défenseur de la tradition orale Amadou Hampaté Bâ était profondément convaincu que poser l'oralité sur le papier permettait de la perpétuer, de la sauvegarder. Nous en voulons pour preuve nombre des ses écrits qui nous ont offert la chance d'écouter avec régal des contes des légendes, de connaitre l'Afrique sous différents aspects. Il dit à ce propos : " c'est à l'Afrique de parler d'elle, et non aux autres de lui dire qui elle est. Quand une chèvre est présente, il est ridicule de bêler à sa place. "

Amadou Hampaté Bâ n'a fait que préserver la tradition en lui donnant l'opportunité de traverser les frontières ; pour provoquer plus d'écho il lui a offert le support nécessaire accessible à ceux qui souhaitent s'en imprégner ou la transmettre.

Il prend exemple des textes sacrés tels que le Coran ou la Bible pour témoigner de l'intérêt de fixer l'oralité. Sans cela ils seraient relégués au rang des oubliettes.

De mes quelques rencontres avec Hélène Eckman, j'ai eu comme le sentiment qu'Amadou Hampaté Bâ se sentait investi de cette mission pour que les jeunes, entre autres, puissent bénéficier d'un héritage qu'il considérait comme l'un des plus précieux. Les concernant il disait, me confia Hélène Eckman, " que les jeunes aient tord ou raison, ils auront toujours raison, car ils sont les maîtres de demain ". Il ajouta : "les idées des vieillards sont des idées de cimetière. Pour qu'elles vivent, il faut les semer dans la tête des jeunes . Les viellards regardent l'avenir, mais l'avenir regarde les jeunes. "



Quelques ouvrages pour la jeunesse



L'étrange destin de Wangrin (UGE poche 10/18, 1973) Petit bodiel et autres contes de la savane (Editions Stock, Paris 1994)
Contes initiatiques peuls : Kaïdara, Njeddo Dewal (Editions Stock, Paris 1994)
Etrange personnage que ce prénommé Wangrin, un homme voué dès sa jeunesse au dieu " Gongoloma Soké ", dieu des contraires et de la ruse. Sans scrupule il n'hésite pas à braver les dieux pour voler les riches au profit des pauvres, à narguer les colons de l'époque.
Ce conte nous livre les pérégrinations d'un petit lièvre paresseux et fainéant qui décide de changer d'attitude, face aux remontrances maternelles.Va-t-il y parvenir ? Quoi qu'il en soit il sollicite l'aide d'Allawalam, le Petit Papa Bon Dieu, pour obtenir le pouvoir de la ruse ! A la manière des contes africains les personnages animaux nous offre une symbolique humaine et touchante. Dans une atmosphère pleine de rebondissements, ce conte nous propose à sa façon une réflexion sur l'éducation, le rôle de la mère, mais aussi la soif du pouvoir... Sujets on ne peut plus contemporains.
De nature disparate ces contes ont tous en commun l'intérêt pour le comportement humain. De la méchanceté gratuite, la persévérance, la fidélité, l'amour, le danger de l'indifférence devant un conflit modeste car " il n'y a pas de petite querelle ", le ridicule du pouvoir en passant par le danger de l'aveuglement religieux, la maitrise de soi, la faculté de supporter sans sa plaindre et sans perdre son calme.

A travers ces contes se profile une étude sociologique du comportement humain accessible à tout entendement, du plus petit au plus grand. Mais l'humour et la sagesse sont de rigueur



Pour en savoir plus :


Amadou Hampaté Bâ, Griffon, déc.1994

http://www.chez.com/katicultures/
http://www.pulaaku.net/defte/ahb/aspects/remarques.html
http://www.tempsdumaroc.press.ma/hebdomadaire/1999/10au16sep202/cult2.htm
www.ee.upenn.edu/~rabii/toes/BaAspectsTOC.html
http://jm.saliege.com/hampate.htm