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Incongruité ou innovation romanesque ? Le réalisme trash de Mon affreux papa

Jean-Louis Tilleuil
1 janvier 1990
1er COLLOQUE SCIENTIFIQUE

ORGANISE PAR LE LABORATOIRE « L’OISEAU BLEU »



LA RECHERCHE EN LITTERATURE POUR LA JEUNESSE : ENJEUX ET AVANCEES



Université du Québec à Trois-Rivières

15-16 novembre 2004



« Incongruité ou innovation romanesque ?

Le réalisme trash de Mon affreux papa1 »



Jean-Louis TILLEUIL

Université catholique de Louvain







De manière générale, on s’est médiocrement

interrogé sur les usages sociaux de l’image.

Bien moins encore, voire pas du tout

sur ses usages sexués.

Michelle Perrot2



À propos de Christophe Quiniou, alias Chris Donner, qui entame sa carrière d’auteur pour la jeunesse en 1986 avec Trois minutes de soleil en plus3, la journaliste Maggy Rayet déclare qu’« [u]ne nouvelle parution signée Christophe Donner ne passe jamais inaperçue »4. Le moins que l’on puisse dire ou écrire, c’est qu’avec la parution en 1998 de son roman illustré pour enfants, Mon affreux papa, l’auteur en question a fait fort. La même Maggy Rayet, dans un article qu’elle consacrait cette fois spécifiquement à ce roman, résumait très bien la situation :



« L’affreux papa est vraiment affreux. Il dit des gros mots, "il boit", il se déculotte dans le métro, il joue au poker, il vole, il incendie des maisons, il trompe sa femme, il fait des hold-up... et il finit par abandonner sa fille, la narratrice de l’histoire. »5



La mise en scène d’un tel couple père-fille n’a pas empêché ce roman d’être – d’abord – sélectionné en Belgique francophone pour l’édition 2000 du Prix Versele et – ensuite (ou : plus fort encore) – primé comme lauréat de ce prix en catégorie « trois chouettes » (7-8 ans). Que s’est-il passé dans le champ de la littérature enfantine et juvénile pour que cet événement puisse s’y produire ? Ou, en formulant la question autrement : qu’est-ce que cet événement peut nous apprendre sur le fonctionnement de ce champ ?



Faut-il interpréter cette reconnaissance symbolique comme une soumission étonnante et précoce à cette mode trash (littéralement : /ordures/), venue d’ailleurs, c’est-à-dire du roman, du cinéma ou de la publicité « pour adultes », et installée depuis quatre ou cinq ans dans notre paysage culturel ? On pense à Baise-moi de Virginie Despentes, un « roman érotique trash » publié en 19996 et devenu film en juillet 2000, mais aussi aux publicités « porno trash » pour les vêtements Sisley en 2000 et 2001 7 ou encore à la télé-réalité « trash » qui a envahi les écrans des chaînes privées8… Une réponse positive, ferme et sans réserve, à cette question aurait pour conséquence de remettre en cause une des spécificités de la production pour la jeunesse, qui consiste précisément à être destinée à un public bien particulier, « enfants » pour la circonstance. Mais puisqu’il est question de ce public, qui a véritablement plébiscité Mon affreux papa, alors que du côté des prescripteurs, les critiques n’ont pas manqué de fuser, ne pourrait-on pas considérer l’événement de cette élection et de ses critiques comme l’actualisation d’une sorte de « Querelle du Cid », c’est-à-dire du transfert d’un épisode décisif pour la constitution du champ littéraire au XVIIe siècle vers un champ paralittéraire – celui de la littérature pour la jeunesse – toujours en quête de légitimité à la fin du XXe siècle ? Une fois encore, la nature « enfantine » du public doit nous rappeler à l’ordre… et à la mesure dans nos comparaisons. D’autant que, si des parents, des enseignants, des bibliothécaires, des libraires, etc. ont crié au scandale, d’autres voix d’adultes ont fait preuve de beaucoup plus de nuance dans leurs critiques, à commencer par l’équipe responsable de la sélection du Prix Versele... Par ailleurs, nous avons à tenir compte de l’avis de l’auteur, Chris Donner, qui affirme accorder une dimension morale à ses créations romanesques pour la jeunesse. La référence à la « Querelle du Cid » offre cependant un avantage, pour notre projet d’interprétation du succès de Mon affreux papa, qui est de nous mettre sur la piste du baroque. Cette esthétique, définie entre autres par les notions d’outrance, de provocation, de grotesque, peut se prévaloir d’une verve et d’une séduction qui, si elles sont retrouvées par un artiste, écrivain ou illustrateur, sont gages – nous rappelle Jean Perrot – de réussite auprès de la jeunesse9. Ce rappel peut nous aider en tout cas à dédramatiser quelque peu la situation : évoquant la comtesse de Ségur, l’auteur d’Art baroque, art d’enfance signale que « le bon petit Diable n’hésitait pas à montrer ses fesses à la Mère Mac’Miche »10 !



Pour ce qui concerne la suite de notre étude et conséquemment la réponse que nous comptons apporter à la question relative à l’implication de l’événement Mon affreux papa dans le fonctionnement du champ, nous nous proposons de retenir des perspectives d’analyse qui nous sont familières dans nos recherches en littérature comme en paralittérature, et qui sont pour beaucoup dans l’intérêt même que nous portons aux productions pour la jeunesse. Nous procéderons à une analyse interne, attentive aux relations texte-image, l’image étant à entendre à la fois comme support du récit (extradiégétique) et comme outil d’une construction identitaire héroïque (intradiégétique). Ainsi que l’annonce explicitement ce deuxième usage de l’image, nous étudierons la manière avec laquelle un auteur masculin met en scène des imaginaires du féminin. L’articulation des résultats de ces différentes analyses nous donnera l’occasion de confronter le roman illustré Mon affreux papa avec ses circonstances de production et de réception, soit une analyse externe au terme de laquelle nous espérons pouvoir satisfaire notre objectif initial.

Comment le texte et l’image font-ils pour raconter l’histoire ?



Commençons par le commencement...

La première information que l’enfant lecteur reçoit de cette histoire lui est fournie par la première de couverture où, d’emblée, texte et image ont à se partager le travail. On le sait, ce lieu du péritexte éditorial est stratégique parce que s’y formule déjà le contrat de lecture, mais plus encore parce que cette contractualisation elle-même dépend d’un enjeu qui doit être préalablement maîtrisé et qui consiste à assurer le mieux possible le passage, la transition entre deux espaces : « le ”dehors” du monde réel et le ”dedans” […] de la fiction »11.



Sur le plan de la mise en pages, c’est-à-dire de l’articulation formelle et générale du couple texte-image sur cette première de couverture, on observe le maintien d’une certaine tradition qui repose sur une économie très classique tant dans la gestion des éléments textuels (auteur/titre/collection/éditeur), que dans celle des possibilités d’expression iconique (une illustration doublement centrale, qui se détache sur un fond uniformément blanc). Cela étant, l’absence de démarcation franche entre l’illustration et ce fond, et le choix d’un dessin plutôt grossier (et non d’une gravure ou d’une photo bien encadrée) viennent bousculer quelque peu ce que cette première mise en relation du texte et de l’image pouvait avoir d’austère. Si l’on s’intéresse maintenant à la construction et aux sémantismes du titre, la présence du mot « papa », emblématique de tout un contexte affectif et modélisant positivement marqué (attachement, protection, familiarité, autorité, etc.), est de nature à faciliter la transition du hors-texte vers le texte pour l’enfant lecteur12. Mais cette assurance est simultanément compromise par une première incongruité textuelle, opérée par l’adjectif « affreux », qui vient se glisser et installer une rupture entre le terme affectueux « papa » et le possessif « Mon », annonciateur métonymique du narrateur-acteur enfant, propriétaire du capital d’affection paternelle et double du lecteur/de la lectrice dans le roman13. L’oxymore ainsi créé, lointain héritier de l’ « obscure clarté » cornélienne du Cid, impose en trois mots un imaginaire du contraste, aux résonances bien baroques. Avant d’analyser l’illustration, il nous faut conclure sur ce titre qui laisse deux interrogations en suspens : de quelle « affrosité » paternelle s’agit-il ? Physique ? Morale ? Les deux ? Par ailleurs, avons-nous affaire à un narrateur ou à une narratrice ?



Le dessin d’Alex Sanders supplée le titre pour répondre à ces deux questions. Sa représentation, elle-même conventionnelle (et par là rassurante), d’un adulte portant sur ses épaules une fillette blonde invite le lecteur/la lectrice à reconnaître dans celle-ci la narratrice de l’histoire… avec comme corollaire que c’est donc au détriment d’un personnage féminin qu’est opérée l’identification d’une paternité problématique. Nous y reviendrons. Notons pour l’instant que la physionomie pour le moins rebutante du « papa » en question vérifie qu’il est « affreux » physiquement. Un détour scientifique par la physiognomonie de Lavater (pour les lecteurs adultes) ou plus ludique par les frères Rapetous de Walt Disney (pour les lecteurs enfants) suggère que la laideur masculine pourrait bien être aussi morale… Pour ce qui concerne la mise en relation de l’image avec le texte, de nouveaux effets d’oppositions contrastées introduits par l’illustration, sur le plan iconique (attitude paternelle rassurante > affrosité paternelle repoussante) comme sur la plan plastique (l’harmonie des couleurs primaires > force expressive des couleurs et du trait), entretiennent le caractère baroque de la mise en scène. Autre indice de cet entretien par une redondance entre texte et image : à l’oxymore sémantique du titre répond une inversion syntaxique installée dans l’illustration ; la fillette y occupe en effet une position qui lui permet de dominer momentanément la situation… et son père14. Enfin, esthétiquement plus discret, mais décisif pour assurer une heureuse rencontre entre le monde réel du lecteur/de la lectrice et celui de la fiction, il y a ce même souci, du texte comme de l’image, d’assurer le contact. On a précisé ce qu’il en était, à cet égard, de la fonction phatique du mot « papa » ; l’illustration engage de son côté un processus d’implication du spectateur par le choix d’un point de vue (de face) et d’un cadrage (serré) qui articule étroitement le champ où évolue le couple de personnage au hors-champ d’où part le regard en vis-à-vis du spectateur.



Au terme de cette rapide analyse de la 1re de couverture, on peut conclure qu’il y a partage (ou hésitation) à la fois entre tradition classique15 et modernité baroque, ainsi qu’entre recherche de contact et désir de provocation, l’une et l’autre participant – mais sur des modes divers – à la stratégie de séduction du lecteur/de la lectrice. Qu’en est-il une fois le récit entamé ? Comment s’équilibrent ces couples contraires d’intentions dans le déroulement narratif ?



Des indices de modernité

La curiosité du lecteur « enfant », qui a été excitée sans pour autant être saturée par les informations de la première de couverture (c’est sur cet équilibre instable que repose son pouvoir de séduction) est cependant satisfaite dès la première phrase du roman. L’ « affrosité » du papa n’est pas que physionomique, elle a aussi des implications sociales : ce papa est tellement affreux qu’il a été mis en prison (p. 7) ! La grande lisibilité narrative, nécessaire à ce genre de production pour enfants, n’est pas seulement garantie par la rapidité avec laquelle l’information est ainsi communiquée ; elle repose également sur la construction syntaxique et la sélection lexicale de cette phrase inaugurale : les trois mots du titre (« Mon » + « affreux » + « papa ») se retrouvent dans la proposition principale qui entame la phrase. L’image n’est pas en reste, puisque l’illustration qui figure sur la page de titre nous présentait déjà le papa derrière des barreaux ([p. 5]). L’illustration qui partage l’espace de la première page du roman est plus énigmatique, dans la mesure où elle installe le papa dans un décor « de chambre » dont l’identification à celui d’une « cellule » de prison ne peut se faire qu’avec l’aide des premiers mots du roman. Mais la deuxième phrase du roman réintroduit le souci de clarté du récit. Complétant et achevant la dramatisation immédiate – in medias res – d’un très court, très dynamique et très moderne incipit16, cette deuxième phrase nous dit presque tout sur l’action à venir : « C’est la première fois que j’ai le droit de lui rendre visite » (p. 7).



L’incongruité textuelle (de l’incipit romanesque) rejoint donc l’incongruité paratextuelle (de la page de couverture) pour annoncer une incongruence thématique, c’est-à-dire une perturbation – cette fois – généralisée de tout un système, à savoir celui des personnages et des valeurs qu’ils sont censés représenter. Le paradoxe, c’est que ce dérèglement va opérer avec un grand souci d’ordre. En effet, la visite à la prison structure le récit de manière très rigoureuse : cette visite occupe le milieu du récit (comme le milieu de la narration : cf. pages 33-38), elle est précédée du trajet de la fillette et de sa maman jusqu’à la prison de Fresnes (p. 7-32) et elle est suivie de l’évasion du papa accompagné de notre héroïne (p. 39-58), et finalement de l’abandon de celle-ci par celui-là en toute fin de roman (p. 59-61). Les pages qui conduisent la fillette et le lecteur jusqu’au papa emprisonné donnent l’occasion d’accrocher plusieurs flash-back à ce fil conducteur narratif, qui visent à expliquer l’emprisonnement, mais mieux encore à décrire le caractère « affreux » du « papa » (alcoolique, grossier, exhibitionniste, joueur professionnel, trafiquant de drogue, mari infidèle…) ; les pages qui suivent la visite privilégient le présent de la narration (= l’évasion) et révèlent des aspects encore plus violents de « l’affreux papa » : il se rend coupable d’un car-jacking (p. 40), il commet un vol à main armé dans une boutique (p. 48), il détruit la barrière d’un péage d’autoroute (p. 51) et il finit par « oublier » sa fille dans un hôtel à Genève (p. 59). Très lucidement, la jeune héroïne conclut cet épisode mouvementé de sa vie familiale avec ces mots : « Si vous connaissez un papa aussi affreux que le mien je vous paie des prunes » (p. 59).



Une telle entreprise de subversion des repères axiologiques socialement légitimés de l’enfant répond au projet éducatif de Chris Donner, qui reconnaît ainsi fût-ce inconsciemment, l’enjeu par excellence qui préside au fonctionnement du champ de la littérature pour la jeunesse et qui consiste en la poursuite d’un objectif d’éducation pour un public spécifique, qu’il faut former :



« En écrivant des livres pour les enfants je suis confronté à un manque : il y a des choses que les enfants ne savent pas, et surtout les mots pour les dire, les entendre. »17



L’originalité de Donner réside dans les moyens mis en œuvre pour atteindre cet objectif. Parmi ces moyens, la pratique d’une esthétique réaliste dure, crue, ne suffit pas à régler la question. Dans la conclusion de son Histoire du récit pour la jeunesse au XXe siècle (1929-2000), Ganna Ottevaere-Van Praag rappelle que



« [d]e 1974 à 2000, l’image d’une société secouée par une crise à la fois économique, sociale, morale, plongée dans une actualité internationale frustrante (chômage, dislocation des familles, immigration, pollution…), le réalisme souvent léger des périodes précédentes fait place à une vision dure de la même esthétique »18.



Plus loin dans sa conclusion, l’auteur nous aide à comprendre que ce n’est pas non plus la seule mise en scène des difficultés relationnelles que la jeune héroïne rencontre au sein de sa famille en train de se défaire, reflet de la précarisation du couple et du lien familial, qui constitue le critère de distinction de Mon affreux papa19. En fait, ce sont plutôt quelques partis pris excessifs de Chris Donner, à certains égards plus « naturalistes » que « réalistes », qui construisent le projet moral de cet auteur :

1)Montrer le rapport entre un enfant et les choses les plus sévères de la société.

En application de ce principe, Donner ne nous donne pas seulement un portrait au vitriol d’un père irresponsable et d’une famille en crise ; c’est toute la société qui y passe, exemplairement représentée par les voyageurs anonymes des bus qu’empruntent la fillette avec sa mère (p. 8-9) ou avec son père (p. 9-11), ainsi que par les fonctionnaires de l’institution carcérale (p. 18-22) dont la vulgarité, l’obscénité valent bien celles du papa…

2)Corollaire de ce premier principe, l’hostilité manifeste que Donner entretient à l’encontre de l’imagination, née – selon lui – de la censure et de la peur de l’homme face au réel20.

3)Faire confiance à la faculté de résistance des enfants qui, précisément, face aux difficultés de l’existence, peuvent se passer de l’imagination pour les affronter et en triompher. Indice manifeste mais encore peu original de cette confiance attribuée, il y a le recours à des stratégies énonciatives qui « cèdent à la parole » à l’enfant.

Dans Mon affreux papa, la fillette assume toute la narration pour la rédaction d’une sorte de journal intime qui rend complice et rapproche le « je » du lecteur. Cette responsabilité énonciative est d’autant plus crédible qu’elle est associée à un style qui est emprunté à l’écriture enfantine (« style bref, efficace, [avec des] images fortes [des] inventions langagières » et qui, conséquemment, refuse le style académique, le style dictée de CM221… On notera cependant que ce renouvellement de l’écriture ne peut suffire à fixer l’originalité du propos de Donner, puisque ce style « pour enfants » se rencontre dès le début des années 1980.



Ce à quoi nous voudrions procéder maintenant, c’est à une remise à l’épreuve de ces principes éducatifs « donneriens » par des nouveaux retours aux textes et aux images de Mon affreux papa. Et ce, afin d’en apprendre davantage sur l’originalité à laquelle peut prétendre cette œuvre dans l’actualité du champ de la littérature pour la jeunesse.



« [A]ux âmes bien nées/La valeur n’attend point le nombre des années »22...

C’est le principe de résistance enfantine aux difficultés de la vie qui nous servira de fil conducteur. Il est en effet particulièrement mis à l’honneur dans Mon affreux papa. Son repérage dans ce roman va nous permettre de vérifier la fonction structurante de deux figures de rhétorique dont nous avions observé une première exploitation sur la 1re de couverture et qui consistaient en un oxymore sémantique et une inversion syntaxique.



L’alliance de mots opposés est à associer à l’aventure familiale marginale que nous conte l’héroïne. Tout au long de son récit, la fillette expérimente la relation mouvementée avec son papa sur le mode contradictoire de la tristesse et de la joie : confronté aux frasques de son père (comme à celles, plus dramatiques encore, de son substitut, p. 57), l’enfant réagit par des pleurs (p. 10-11), mais ces moments de chagrin n’altèrent pas l’image que la fillette se fait de son père (elle est prête à tout pour lui, p. 49), ni l’affection qu’elle lui voue. Il est à noter que cette affection n’est pas à sens unique ; l’ « affreux papa » est aussi capable de gestes tendres pour sa fille, ce qui suffit à le rendre exceptionnel aux yeux de celle-ci :



« [I]l m’appelle ”mon petit chaton“, il me mordille l’oreille, là où ça me chatouille, et il me grogne dedans, ce qui me fait frissonner. Il n’y a que lui pour faire ça. » (p. 33-34)



La figure oxymorique touche donc également le papa, dont on découvre ainsi une complexité psychologique (égoïste/attentionné) qui réduit quelque peu son « affrosité ». Il en va de même pour la maman, personnage discret, réservé (p. 15), mais qui, à l’occasion, peut se montrer extraverti, grossier (p. 25). Sur le plan de la relation image-texte, il est symptomatique d’observer que c’est durant la scène centrale de la visite à la prison que l’association contradictoire de la tristesse et de la joie se trouve le mieux exprimé, à ceci près que si c’est par le texte que se manifeste la tristesse enfantine (p. 32), c’est d’abord par l’image que nous est révélé l’échange heureux d’affection entre la fillette et son papa (p. 33).



Quant à l’inversion des rapports de force symboliques qu’annonçait l’illustration de 1re de couverture, elle organise principalement la partie centrale (la visite à la prison) et celle qui suit (l’évasion) : si la fillette a certes intériorisé sa dépendance à l’égard de son papa et des adultes en général, elle affiche une lucidité face aux événements23, qui fait défaut à son papa dont la conduite s’apparente bien souvent à celle d’un enfant24.



Si l’on s’interroge sur ce sur quoi repose cette capacité enfantine à affronter et à traverser les dures épreuves de la vie, on est amené à distinguer une pratique de la fillette qui intéresse bien sûr beaucoup notre propos puisqu’elle implique l’image. Par sa pratique du dessin, la jeune héroïne non seulement substitue une réelle fonction d’actrice (elle crée ses dessins) à celle de simple spectatrice des événements de sa vie mouvementée, mais elle se donne aussi les moyens d’incorporer physiquement – tout en la mettant à distance mentalement – la relation problématique, faite de tristesse et de joie, qui l’unit à son papa : c’est le dessin qui lui permet de dépasser le sentiment de détresse qui s’empare d’elle25 ; c’est le dessin encore qui lui donne l’occasion de témoigner de son amour pour son papa, auquel celui-ci répond par des regards et des mots pleins d’affection25. On l’aura compris : le dessin joue un rôle moteur dans la construction identitaire de la jeune héroïne. Que cette création d’image, salvatrice et féminine, puisse impliquer les objets des deux autres principes éducatifs de Chris Donner, l’imagination et le sens du réel, est de nature à éveiller notre curiosité. Il nous reste à savoir comment cette implication est rendue possible dans Mon affreux papa. Pour répondre à cette dernière interrogation, il nous faut quitter le plan extradiégétique où texte et image interfèrent pour raconter l’histoire d’une visite et d’une évasion pour le plan intradiégétique où une héroïne recourt à l’image (plutôt qu’au texte) pour vivre intimement « son » histoire, très personnelle et paradoxalement aussi très commune. C’est l’analyse de cette dimension collective de la construction identitaire féminine qui nous conduira à relativiser l’originalité provocante de ce roman.





Lorsque le fin mot de l’histoire est fourni par l’image dans l’image



Le projet de création proustienne revue et corrigée par l’image enfantine

Grâce à la pratique du dessin, la fillette acquiert en fait une double fonction d’actrice : elle est bien évidemment l’auteur de ses dessins d’enfant, ce que nous savions depuis… la première illustration du roman (p. 7) et ses confidences sur ses « dessins horribles » (p. 8) ; la jeune héroïne assume aussi la fonction de créatrice des illustrations du roman Mon affreux papa, l’intradiégétique interférérant pour l’occasion avec l’extradiégétique. Ce n’est qu’en toute fin de roman, à la dernière page (p. 61) qui propose une illustration en pleine page, que cette délégation fictive (de la personne de l’illustrateur Alex Sanders au personnage de la fillette dessinatrice) est actualisée : les trois dessins encadrés et accrochés au mur, réalisés par la fillette, constituent trois illustrations du roman qui vient d’être lu (p. 7, p. 33 et p. 45). Sur le plan de la relation texte-image, il est intéressant d’observer que ces trois dessins répondent à la structuration hiérarchisante en trois parties, opérée par le texte (avant la visite/pendant la visite = partie centrale/après la visite). Mais en plus de cette redondance macrostructurante du texte et de l’image, il faut aussi remarquer que l’image supplée le texte pour une représentation très proustienne du processus de création artistique : si les mots de l’avant-dernière page (p 60) décrivent très sommairement des scènes rencontrées au préalable (p. 38 et 40 ; p. 41, 51, 52 et 53 ; p. 9, 16 et 53 ; p. 14 et 16...), c’est l’image de la toute dernière page (p. 61) et les trois dessins qu’elle contient qui nous permettent de comprendre que la fillette, arrivée à la fin provisoire de son parcours, va se mettre à nous le raconter avec ses mots du journal intime et ses dessins désormais « très beaux, très réussis » (p. 60), afin de maîtriser le temps et se construire, c’est-à-dire assumer un passé difficile et s’engager dans un futur qui ne le sera pas moins (« Je pense que je ne reverrai jamais mon père. », p. 60).



Pour que la narratrice devienne l’illustratrice-écrivaine… qui raconte une narratrice qui devient illustratrice-écrivaine, il est nécessaire qu’une condition ait été préalablement remplie, à savoir que le dessin enfantin ait évolué des « gribouillages » (p. 36) vers des créations très belles et très réussies, où « on reconnaît tout » (p. 60), comme cela été le cas pendant la lecture du roman. Nous voudrions terminer notre étude par l’analyse des circonstances de cette évolution, de son orientation et des enjeux qu’elle engage sur le plan des rapports sociaux de sexe.





Une construction identitaire féminine modélisée sur le masculin

Faut-il y voir un effet de l’aggravation des délits paternels dans la troisième partie du récit ? Ou l’influence des moyens de transport de plus en plus rapide (voiture > train à grande vitesse) dans cette même troisième partie ? Toujours est-il que la maturation esthétique de la fillette est de l’ordre du surgissement spontané, inattendu, irrationnel : « [...] comme si d’un seul coup le don m’était tombé du ciel » (p. 60). On peut se demander si nous ne surprenons pas là notre auteur, Chris Donner, en flagrant délit de soumission aux lois de l’imaginaire – lui si hostile à l’imagination – , dans la mesure où c’est avec des termes très semblables qu’il définit l’intervention de la faculté imaginative : pour ses adeptes, l’imagination – écrit Donner – « est d’autant plus grande et belle qu’elle ne doit rien à personne, qu’elle est [...] endettée d’aucune référence, ni racine, [...] qu’elle n’[a] pas d’origine, [...] magnifique, lumineuse, venue du ciel [...] »27. Il n’est plus question de contradiction à soulever entre des déclarations théoriques et l’écriture romanesque de Donner lorsque l’on s’intéresse à l’aboutissement de l’évolution esthétique de la fillette. Ses dessins où l’ « on reconnaît tout » sont imprégnés d’un réalisme visuel28 qui traduit parfaitement la finalité que Chris Donner accorde à l’expression artistique : « Le réel est ce que l’art doit savoir. »29 Ce qui nous paraît important de faire, devant le roman illustré que nous étudions, c’est d’aller voir au-delà des enjeux esthétiques de cette évolution d’une pratique féminine du dessin, afin de nous assurer qu’il n’y a pas anguille – ou autre contradiction – sous roche...



D’un point de vue psychologique, ce passage du gribouillage au dessin réaliste est vécu de manière très positive par la fillette. Il a en tout cas comme corollaire de faire disparaître le sentiment de honte qui était le sien tant qu’elle réalisait ce qu’elle appelait ses « dessins horribles » (p. 8, 19, 29...). Un recours aux méthodes projectives de lecture du dessin d’enfant30 mettrait sans doute en évidence, devant ces dessins réalistes, désormais « très beaux, très réussis », la maîtrise nouvelle chez l’héroïne d’une certaine sérénité, d’un certain équilibre psycho-affectif, qui coïncident avec son ouverture plus franche aux autres (que ses parents), attestée par le déictique « vous » mis pour les lecteurs virtuels de ses aventures : « Si vous connaissez un papa aussi affreux que le mien je vous paie des prunes. » (p. 59). Par contre, l’interprétation sociologique de cette évolution et de l’influence modélisante qu’elle ne peut manquer d’avoir auprès du jeune lectorat met au jour la prégnance d’un imaginaire sexuellement hiérarchisé et hiérarchisant qui euphémise fortement l’impression de provocation habituellement ressentie à l’encontre de Mon affreux papa. Dans son étude sur les goûts des plus jeunes pour les images, Danset-Léger fait observer que si l’irréalité d’un dessin plaît aux enfants de cinq ans, tant chez les filles que les garçons, « [à] huit ans, les choix tendent à être au contraire plus souvent orientés vers le vraisemblable que vers l’incongru »31, la tendance étant alors plus forte chez les garçons que les filles. La psychologue ajoute que si la préférence pour le réalisme graphique augmente avec l’âge de l’enfant, tout en étant plus contraignante pour les filles que pour les garçons, elle se voit également renforcée par l’école, ce qui achève de la constituer comme norme sexuellement orientée32. De ce détour par cette étude, nous pouvons déduire que l’appropriation d’un style réaliste par la fillette de notre roman, comme étape dans sa construction identitaire, est plus à considérer comme l’effet d’une normalisation masculine que comme l’indice d’une émancipation véritablement féminine.



En fait, ce qu’il est possible de lire entre les lignes et les traits du roman illustré Mon affreux papa, c’est une xième mise en scène du rapport problématique que le féminin entretient depuis bien longtemps avec l’image. Avec comme constat final, qu’à cet égard, ce roman n’apporte pas grand-chose de neuf, dans la mesure où il ne parvient pas à échapper au conformisme idéologique ambiant. Qu’elle soit vécue pour soi ou pour les autres, l’image au féminin est bien souvent une affaire d’objectivation qui échappe à la principale intéressée :



« Pour les femmes, l’image est d’abord tyrannie. Elle les confronte à un idéal type physique ou vestimentaire. Elle leur suggère le bien et le beau. Comment se tenir, s’habiller selon l’âge, le rang, le statut social ou matrimonial, selon le lieu et l’heure. […] Bien entendu, ce pouvoir des images change avec le temps, en fonction de la place du corps et de la beauté dans l’échange sexuel ou le spectacle social, et selon le degré de médiatisation visuelle de la cité. »33



Afin de s’assurer de la validité d’une telle vision des choses, il est toujours bon de se confronter aux multiples occasions qui nous sont encore offertes aujourd’hui d’en apprécier l’efficacité sous le couvert de la naturalisation de cet exercice de violence symbolique. Cela étant, on connaît bien le début de la solution qui permettrait de corriger le rapport entre l’image et le féminin. Comme le rappelle Michelle Perrot,



« Pour modifier les images, il faudrait s’en emparer. »34



Et d’ajouter pour conclure en 1994 son étude sur les images de femmes :



« Cette conquête féminine de l’image, moins connue que celle de l’écriture, plus difficile encore, à en juger par la douloureuse histoire de Camille Claudel, reste en grande partie à écrire […]. »35



Nos commentaires sur l’évolution stylistique du dessin de l’héroïne dans Mon affreux papa ont montré toute l’insuffisance de ce prérequis d’une substitution du statut de sujet de l’image à celui d’objet. D’autres paramètres mériteraient d’être pris en compte pour conclure sur le statu quo, dans ce roman, entre le féminin et l’image. On pourrait ainsi s’étonner que les dessins de la fillette, à la différence de ceux d’Emma, une autre héroïne de la littérature enfantine36, ne soient constitués que de portraits dont on sait que ce genre pictural « est resté à la marge des centres d’intérêt majeurs de l’art contemporain »37. Autre remarque : il est étonnant qu’il ne soit fait à aucun moment référence, ni par le texte, ni par l’image, à l’acte même de création du dessin, alors que l’enfant est censé accorder une importance toute particulière à sa réalisation et que l’adulte est souvent tenté d’intervenir dans le dessin de l’enfant… Enfin il faudrait s’interroger sur la valeur symbolique des activités artistiques pratiquées par les jeunes, à propos desquelles les enquêtes concluent à leur féminisation plus ou moins marquée. Un coup d’œil du côté des adultes nous permet d’apprécier précisément ce qu’il peut en être d’une telle féminisation de l’expression artistique :



« Chris Dercon, conservateur en chef du Musée Boijmans Van Beuningen à Rotterdam, qui sélectionna d’ailleurs uniquement des artistes femmes […] pour le pavillon néerlandais à la Biennale de Venise en 1995, se demandait récemment en public s’il existe un rapport entre le nombre croissant de femmes influentes dans le monde de l’art et la position marginale occupée par l’art contemporain. »38





Conclusion



Nous placions notre étude sous l’enseigne d’uns question : incongruité ou innovation romanesque ? Au moment de la terminer, nous devons bien constater que nous ne pouvons nous contenter d’une vision dichotomique des choses et qu’une troisième voie doit être ouverte pour situer Mon affreux papa. Qu’il s’agisse de rupture brutale ou d’émergence d’un nouveau type romanesque, il est toujours question de changement. Or, nous l’avons vu, la tradition n’est pas absente du roman de Chris Donner.



Le baroque dans ce qu’il peut avoir d’excessif, de démesuré, de désordonné a été rencontré, à de nombreuses reprises, dans le développement de notre analyse. Nous rappelant la porosité des frontières entre forme et contenu, ce baroque a touché tant les relations texte-image (dès la première de couverture) que les modalités de construction narrative (oxymore et inversion), comme pour mieux suggérer ce que la thématisation d’une asociabilité paternelle, elle-même traitée de manière grotesque, pouvait avoir de déstabilisant. Qui plus est, pour le jeune public auquel cette mise en scène est prioritairement destinée.



On peut se demander si cette violence qui transpire du roman en question n’est pas tout simplement due à la position avant-gardiste que l’auteur occupe au sein du champ et à partir de laquelle les enjeux de ce champ ne se réduisent plus seulement en l’héritage d’un patrimoine de sagesse, de morale et de culture (fonction traditionnelle, renvoyant aux origines du champ) ou en l’affirmation sans cesse renouvelée de recherche esthétique et thématique (fonction « moderne », mise en place à partir des années 1970), mais ont désormais des ambitions éthiques grâce auxquelles une participation hautement émancipative à la définition légitime du monde social peut être envisagée39. Pour Donner, l’expression donnée à ce nouvel enjeu consiste à poser que l’enfant, moins fragile qu’on ne le croit, peut s’épanouir dans une société qui ne fait pas de cadeau. Est-ce suffisant pour être révolutionnaire ? Nous avons pu observer que la révolution de Donner peut être conservatrice. Ou, pour faire le lien avec le début de notre conclusion, que le baroque s’euphémise à l’occasion, par l’ajout d’une dose de classicisme soucieux de conformisme. Du conformisme au conservatisme, le pas est franchi lorsque nous constatons que le roman, s’il forme à la vie, familiarise aussi son lectorat à quelques orientations idéologiques dominantes, en l’occurrence au maintien de la transversalité de la hiérarchisation des rapports sociaux de sexe.



Article à paraître dans le n°22 des /Cahiers Robinson/ : "Figures paternelles", Arras, 2e semestre 2007.






1 - Chris DONNER [texte] et Alex SANDERS [illustr.], Mon affreux papa, Paris, L’école des loisirs, 1998, 61 p., coll. « Mouche »

2 - La citation est extraite de l’article intitulé « Les femmes et leurs images », publié dans Georges DUBY et Michelle PERROT, Images de femmes, Paris, Plon/France Loisirs, 1992, p. 177 ; l’article est repris dans l’ouvrage collectif que Michelle PERROT a dirigé aux éditions Flammarion, Les femmes ou les silences de l’Histoire (Paris, Flammarion, 1998, p. 377-381).

3 - Chris DONNER, Trois minutes de soleil en plus, Paris, Gallimard Jeunesse, 1986, coll. « Page blanche ».

4 - Maggy RAYET, « Les petites leçons de littérature de Christophe Donner », dans Lectures, n°117, novembre-décembre 2000, Bruxelles, C.L.P.C.F., p. 41.

5 - Maggy RAYET, « Mon affreux papa. Chouettes remuantes », dans Le Ligueur, n°24, 14/06/2000, Bruxelles, Ligue des familles, p. 3.

6 - Chez Grasset et Fasquelle.

7 - Cf. notamment en décembre 2000, en février et en mars 2001 dans le quotidien national belge Le Soir. Lire à ce propos la réaction d’humeur proposée par Frédéric BRÉBANT (« De pis en pis. Après avoir surfé sur la vague du porno chic, la pub goûte à présent aux fausses vertus du porno trash », dans Weekend Le Vif/L’Express, 14/09/2001, p. 178) ; on se reportera aussi à l’analyse plus développée qu’en donne Vinciane PINTE, dans La domination féminine. Une mystification publicitaire (Bruxelles, Labor/Espace des Libertés, 2003, 81 p., coll. « Liberté, j’écris ton nom »).

8 - Cf. à cet égard l’ « état des lieux » des grandes nouveautés de la télévision mondiale pour la saison 2004-2005 telles qu’elles ont été présentées à Cannes lors de la 20e édition du Mipcom et qu’elles sont commentées par Alain Gerlache, directeur de la RTBF (dans La Libre Belgique, 11/10/2004, Bruxelles, p. 23)...

9 - Jean PERROT, Art baroque, art d’enfance, Nancy, P.U de Nancy, 1991, p. 12, coll. « Littérature Jeunesse ».

10 - Ibid., p. 17.

11 - Andrea DEL LUNGO, L’incipit romanesque, Paris, Seuil, 2003, p. 31, coll. « Poétique ».

12 - Positivité paternelle entretenue par la production pour enfants (cf. par exemple Lucie CAUWE, « Papa poule ou pas, des papas, il y en a des tas [article augmenté d’une papatothèque !] », dans Le Soir, Bruxelles, 08/03/2000, p. 44 ; Laurence BERTEELS, « Papas par ci, papas par là », dans La Libre Belgique, Bruxelles, 06/06/2003, p. IV…).

13 - On peut définir l’incongruité comme « une discordance ponctuelle affectant un ensemble réglé, l’altération localisée d’un système » (cf. Louis BALADIER, « Figures narratives de l’incongru », dans Pierre JOURDE [sous le dir. de], L’incongru dans la littérature et l’art. Actes du colloque d’Azay-le-Ferron, mai 1999, Paris, Kimé, 2004, p. 245, coll. « Détours littéraires »).

14 - On se rappellera que dans L’Autre Monde ou les États et Empires de la Lune, l’écrivain baroque Cyrano de Bergerac envisageait une société où pareil renversement, présenté de manière certes plus explicite, était érigé en norme sociale et politique, les plus jeunes l’emportaient sur les plus vieux : « […] parce qu’en ce monde-là les vieux rendaient toute sorte d’honneur et de déférence aux jeunes ; bien plus, que les pères obéissaient à leurs enfants aussitôt que, par l’avis du Sénat des philosophes, ils avaient atteint l’âge de raison » (Cyrano de BERGERAC, Les Etats et Empires de la Lune et du Soleil (avec le Fragment de physique), édition critique, textes établis et commentés par Madeleine Alcover, Paris, Honoré Champion, 2004, p. 102, coll. « Champion classiques »).

15 - Mise en pages générale du texte et de l’image : sobriété, austérité… ; mise en pages particulière du texte et de l’image : harmonie ternaire…

16 - A. DEL LUNGO, L’incipit romanesque, op. cit., p. 190.

17 - Chris DONNER, Contre l’imagination, Paris, Fayard, 1998, p. 29.

18 - Ganna OTTEVAERE_VAN PRAAG, Histoire du récit pour la jeunesse au XXe siècle (1929-2000), Bruxelles/Bern/Berlin/Frankfurt/M/New York/Wien, Peter Lang, 1999, p. 343.

19 - Ibid., p. 346.

20 - Si Chris Donner est contre l’imagination, c’est qu’il est pour la vérité, et que l’imagination dissimule cette vérité :

« L’imagination est un poison qui n’écrit pas son nom sur le flacon, son art de l’empoisonnement consiste à se mêler aux breuvage les plus sains, les plus réalistes. » (Ch. DONNER, Contre l’imagination, op. cit., p. 27)

« Je n’écris pas des livres pour enfants afin de farcir un peu plus leur tête de fables et de mensonges, et si j’ai recours, le moins possible, à l’effet croquemitaine, c’est pour le dynamiter, lui ôter le plus possible sa nocivité.

C’est tellement facile, devant les enfants, de jouer au professionnel de l’imagination, et tellement plus cruel de leur tenir un langage de vérité. » (Ibid., p. 31)

Cette « défense et illustration » d’un combat pour la vérité réactualise un des objectifs de la prose baroque (avant celle des Lumières), illustrée notamment par Charles Sorel. Ce dernier, qui aimait « choquer le bourgeois comme le mondain », qui exaspérait – déjà ! – par son pessimisme ou son cynisme, défendait une « doctrine » morale qui faisait preuve d’ « une certaine hardiesse catégorique et novatrice » : il faut que la vérité soit ouvertement divulgué, « aussi la mission dévolue à Francion sera-t-elle d’abord de dénoncer les contraintes et les complots qui visent à étouffer la divulgation du vrai. La grande audace du livre est bien la mise en cause des principes moraux et mêmes politiques de la France de 1620, la mise en question des valeurs individuelles et sociales » (extrait de la préface d’Yves Giraud, dans Charles SOREL, Histoire comique de Francion (Livres I à VII), texte établi, présenté et annoté par Yves Giraud, Paris, Garnier-Flammarion, 1979, p. 26-27, coll. « Garnier-Flammarion, n°321 »).

21 - Cf. Nic DIAMENT, « Les romans pour enfants aujourd’hui », dans Claude-Anne PARMEGIANI (sous la dir. de), Lectures, livres et bibliothèques pour enfants, Paris, Cercle de la Librairie, 1993, p. 77, coll. « Bibliothèques ».

22 - Pierre CORNEILLE, Le Cid (Acte II, sc. 2), dans ID., Théâtre II, chronologie, introduction, bibliographie et notes par Jacques Maurens, Paris, Garnier-Flammarion, 1980, p. 231, coll. « Garnier-Flammarion, n°342 ».

23 - Outre le fait qu’au moment même de l’évasion, la maman s’évanouit (ce qui la prive de la suite des aventures), alors que la fillette est emportée par son papa dans sa fuite, on peut retenir certaines réflexions de la jeune héroïne : « Je me demande si ce voyage va finir aussi mal. J’ai peur que oui. Je pense même que ça va être encore pire, à cause du révolver. » (p. 46) ; « [J]e voudrais qu’il s’arrête et en même temps je sais que c’est trop tard et que tout ça va mal finir. » (p. 53).

24 - « Il y a des voitures de police un peu partout sur la route, ça hurle, clignote, l’hélicoptère est toujours au-dessus de nous. Pour papa, c’est comme un jeu, il prend des routes à droite, à gauche, il rigole à chaque fois qu’il brûle un feu rouge. » (p. 54).

25 - « Au lieu de recommencer à pleurer je prends un crayon et je me mets à faire des dessins […]. » (p. 60).

26 - Cf. pages7, 8, 34, 35, 36...

27 - Ch. DONNER, Contre l’imagination, op. cit., p. 14.

28 - « Le réalisme visuel, comme son nom l’indique, est supposé reproduire la réalité telle qu’on la voit. Par contre, dans le réalisme intellectuel, l’enfant dessine ce qu’il sait. […] Ce stade est caractérisé par un certain nombre d’éléments […] [comme] le rabattement et la transparence, et le traitement symbolique de l’espace et du temps. » (Philippe WALLON, Le dessin d’enfant, Paris, PUF, 2001 (2e édit.), p. 11, coll. « Que sais-je ?, n°3591 »). Il est à noter que le principe de transparence se rencontre encore dans des dessins d’enfants de 7 ans (ibid., p. 13). Pour une évolution du dessin de personnage chez les enfants de 3 à 10 ans, cf. ibid. p. 37. Pour une description de l’image réaliste dans la littérature pour enfants : cf. Jacqueline DANSET-LÉGER, L’enfant et les images de la littérature enfantine, Bruxelles, Mardaga, 1980, p. 53, coll. « Psychologie et sciences humaines ».

29 - Ch. DONNER, Contre l’imagination, op. cit., p. 13.

30 - Selon lesquelles « [l]’enfant “projette” au-dehors, dans le dessin, ce qu’il vit intérieurement » (Ph. WALLON, Le dessin d’enfant, op. cit., p. 43).

31 - J. DANSET-LEGER, L’enfant et les images […], op. cit., p. 77. [+ p. 85 !: à citer !]

32 - Cf. ibid., p. 63, 86-87.

33 - G. DUBY et M. PERROT, Images de femmes, op. cit., p. 177.

34 - Ibid., p. 180.

35 - Ibid., p. 180-181.

36 - Allen SAY, Le tapis d’Emma, Paris, L’école des loisirs, 1999 (pour la trad. fr.), p. 15, coll. « Lutin poche ».

37 - Linda NOCHLIN, « Sur quelques réalistes de sexe féminin », dans ID., Femmes, art et pouvoir et autres essais, trad. de l’anglais par Oristelle Bonis, Paris, Jacqueline Chambon, 1993, p. 139, coll. « Rayon Art ».

38 - Katlijne VAN DER STIGHELEN et Mirjam WESTEN (sous la dir. de), À chacun sa grâce. Femmes artistes en Belgique et aux Pays-Bas 1500-1950, Gand-Amsterdam/Paris, Ludion/Flammarion, 1999, p. 118-119.

39 - Pour un complément d’information sur les luttes de concurrence concernant la définition légitime du monde social et sur la situation de crise expérimentée à cet égard, depuis la fin du XIXe siècle, par le champ littéraire : Gisèle SAPIRO, « Autonomie esthétique, autonomisation littéraire », dans Pierre ENCREVÉ Pierre et Rose-Marie LAGRAVE (sous la dir. de), Travailler avec Bourdieu, Paris, Flammarion, 2003, p. 295 ; Odile HENRY et Hervé SERRY, « La sociologie, enjeu de luttes », dans Actes de la recherche en sciences sociales. Morale et sciences des mœurs, n°153, juin 2004, Paris, Seuil, p. 7-9 notamment.