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Entretien avec Robert Delpire

Paul Dupouey
12 octobre 2008


A 23 ans, Robert Delpire crée "neuf", une revue d'art destinée aux médecins. Il y réunit André Breton et Prévert, Miller et Picasso, Michaux et Sartre. Editeur, il publie dès le début des années 50 les oeuvres de Cartier-Bresson, Brassaï, Doisneau, Lartigue, Bischof, etc. Médaille d'or des Arts Graphiques, Robert Delpire remporte plusieurs fois le prix Nadar et crée en 1955 la formule visuelle de la revue "L'œil" dont il assurera, 8 années durant, la direction artistique. Robert Delpire travaille régulièrement pour les musées en France et à l'étranger (Aux Arts Décoratifs : Henri Cartier-Bresson en 1955 et 1965, Lartigue en 1975 ; au Grand Palais en 1976 : l'Egypte au temps de Flaubert ; à Beaubourg en 1977 : Marey ; au Musée d'Art Moderne en 1979 : Henri Cartier-Bresson). En juillet 1982, il est placé par Jack Lang, Ministre de la Culture, à la tête du Centre National de la Photographie. Il y crée et publie notamment "Photo Poche", la première collection de livres de poche consacrés à la photographie. Son activité d’édition a également été significative dans le domaine du livre d’enfance et de jeunesse. L’illustration non seulement française mais internationale doit beaucoup à son énergie infatigable. Il est lui-même l’illustration de sa philosophie : il ne suffit pas d’avoir du talent et du métier, encore faut-il avoir vraiment quelque chose à dire. La seule chose qui ne se commande pas.(Voir aussi la notice dans la rubrique Editeurs du site Ricochet)


Vous êtes un des grands éditeurs graphiques français, comment y êtes-vous venu ?

Je peux difficilement répondre à cette question. Cela s’est passé de façon un peu erratique. Je pensais être chirurgien puisque je suis allé jusqu’en cinquième année de médecine en m‘occupant d’un petit journal culturel et sportif étudiant dont j’avais fait une revue de luxe. Cette activité m’a aussi amené à faire de la publicité pour des laboratoires pharmaceutiques car il fallait que je participe au financement de mes études. Cela m’a conduit à travailler avec Weber, le diffuseur de Skira. J’ai été vite passionné et j’ai finalement continué dans cette direction. Evidemment, je me suis fâché avec mon père !


Vous avez continué à faire de la publicité. Art et publicité, ce n’est pas incompatible ?

Non, pas du tout. Au début j’ai considéré la publicité comme alimentaire. Mais, en jouant le jeu, je me suis passionné pour la communication. J’ai eu, à une époque, le budget international de Citroën. Communiquer sur la voiture c’est vraiment passionnant.


Des gens comme Savignac ont été de vrais créateurs avec une capacité à faire des messages immédiatement compréhensibles par l’homme de tous les jours. J’ai beaucoup appris en travaillant avec lui, en allant dans son atelier.


Et le livre d’enfant ?

Je me suis toujours intéressé au livre pour enfants. J’ai publié de nombreux ouvrages, par exemple certains en très grands formats, mais cela posait problème aux libraires, comme aussi les livres documentaires pour adolescents sous forme de pochettes que les clients ne refermaient pas toujours. Finalement, j’ai trouvé un public et j’ai donc pu développer cette composante de mon activité d’éditeur avec un succès qui ne s’est pas démenti.


Mais je ne voulais pas faire à leur intention des livres purement graphiques. Je voulais que l‘on raconte une histoire, que les enfants puissent rentrer dans une histoire.


Quel est le titre dont vous êtes le plus fier ?

Ce sont Les Larmes de crocodile d’André François. Quel que soit leur âge, les enfants sont fascinés par cette histoire, par la façon dont elle est racontée, par la façon dont elle est représentée par ce génie qu’est André François.


Vous avez beaucoup travaillé avec André François ?

J’ai eu une longue amitié avec André François. Je me suis très vite rapproché de lui. J’ai toujours été séduit et par l’homme et par l’oeuvre. C’était un homme exceptionnel, d’une modestie comme on en faisait plus, avec une très grande facilité d’expression par le dessin. On avait toujours envie de lui mettre un crayon dans la main et de lui dire de s’exprimer comme cela.


Vous développez aujourd’hui une collection nomée « Poche Illustrateur ».

C’est l’une de nos quatre collections. Nous avons déjà sorti six titres et le rythme prévu est de huit par an. Je n’ai pas encore d’édition simultanée à l’étranger mais j’espère que cela va se faire. J’avais ce projet de collection depuis longtemps, dans l’esprit de la collection Photo Poche qui a rapidement eu une audience internationale.




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Cette collection est très ouverte, d'Honoré Daumier à André François, quel est votre projet ?

Il s’agit surtout de mieux faire connaître les illustrateurs.


J’ai toujours été frappé du manque de notoriété des illustrateurs. Quand j’étais en charge du Centre national de la photographie, je disais à Jack Lang que c’était très bien de pousser à la reconnaissance de la photographie comme art véritable, mais que les illustrateurs sont tout aussi importants que les photographes dans l’évolution de l’art visuel.


Je suis franchement étonné que quelqu’un comme Steinberg soit si peu connu en France. Je l’ai toujours considéré comme un génie absolu, avec une liberté, et une aisance remarquables à transcrire ce qu’il ressentait. Dans cette collection, nous avons publié un Steinberg aussitôt que possible et je me suis rendu compte que de nombreux libraires ne savaient pas qui était Steinberg. Et il n’est pas le seul à être ainsi méconnu.


D’où vient ce manque de notoriété des illustrateurs ?

J’avoue ne pas savoir. Il y a une dépréciation de l’œuvre dessinée par rapport à l’oeuvre photographique. Même au niveau du marché de l’art. Une photo originale d’un grand photographe vaut beaucoup plus qu’un original de Steinberg, par exemple.


Comme les livres pour enfants font très largement recours aux illustrateurs, on peut aussi penser qu’il y aura une connexion avec les efforts que des gens comme nous font pour faire reconnaître les illustrateurs pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des artistes de première classe.


Il y a très peu d’expositions d’illustrateurs. Il y a beaucoup de travail à faire dans ce domaine. Il faut un enseignement en profondeur.


Que pensez-vous de la mission confiée au système éducatif en matière d’éducation artistique ?

C’est un grand débat. Cela semble se faire dans une précipitation qui ne laisse présager rien de bon. Je pense que c’est extrêmement dangereux de ne pas dominer ce sujet. Il vaut mieux prendre des gens qui connaissent bien le dessin (et la peinture).


Par rapport à l’époque où vous avez débuté, ressentez-vous des évolutions sensibles en matière d’image ?

Il y a bien sûr le phénomène de la télévision, que l’on ne peut pas ne pas évoquer. Les gens ont l’œil envahi par l’image télévisée, les enfants en particulier.


Et Internet ?

Cela va modifier beaucoup de choses et de façon profonde. Mais on ne sait pas encore comment et jusqu’où. Une maison d’édition comme la nôtre n’est pas encore très concernée. Ici, nous travaillons de façon encore très artisanale. Au niveau de la photogravure par exemple. Pour nous, la qualité – avec ses coûts - reste essentielle.


Quel regard portez-vous sur le livre d’enfant actuel ?

Après la vague Harlin Quist, il y a un renouveau. Il y a aujourd’hui une grande diversité, beaucoup plus de liberté que lorsque j’ai commencé.


Même les livres animés, ces livres qui se déplient, qui sont très adaptés aux petits enfants. J’en achète pour ma propre bibliothèque parce que je les trouve très joliment faits, et pas très chers.




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Et les gens sont beaucoup plus intéressés par la façon dont on fait ces livres. Il y a donc une avancée vers un public qui était sous-estimé et dont je pense que les éditeurs ont maintenant bien pris conscience qu’il est important. Le salon de Montreuil en est un bon exemple. Il y a un large public, beaucoup d’éditeurs y vont. Voilà une activité qui sert l’illustration en général.


Quel conseil donneriez-vous aujourd’hui à un jeune illustrateur ?

Ce que je dis à tous ceux qui viennent me voir : de ne pas m’apporter une centaine de planches mais les 10 ou les 20 auxquelles ils sont attachés et en étant capables de me dire pourquoi. Dans tout ce que m’apportent leurs auteurs, il m’est souvent impossible de voir le message et je serais incapable d’écrire 10 lignes sur leur production comme je dois le faire, par exemple, pour la quatrième de couverture de Photo Poche. Il y a souvent de l’habilité à dessiner, du talent, mais pas de message.


Si on n’a pas de message, il faut faire un autre métier. Les très grands illustrateurs sont ceux qui se sont complètement investis dans ce qu’ils faisaient en exprimant leur nature la plus profonde.

Ill. 1 : André François: Les Larmes de Crocodile, Delpire Editeur

Ill. 2 : Affiche d'exposition

Ill. 3 : La nouvelle collection POCHE ILLUSTRATEUR, Delpire Editeur