Valentine Laffitte, l’expérimentation et le collage
Illustratrice, animatrice, enseignante, Valentine Laffitte se réjouit d’avoir plusieurs casquettes et un parcours éclectique assez riche, avec des croisements qui puisent dans diverses expériences. Lauréate d’une bourse découverte pour un projet à paraître à l’automne 2019, elle a édité son premier album, Petite peur bleue, chez Versant Sud en 2017 et est l’auteure d’une nouvelle, Grandir, dans le cadre de la Fureur de lire… Valentine Laffitte est nourrie par l’expérimentation sur le papier en 2 et 3D. De l’album jeunesse en passant par les théâtres de papier, ou le véritable mur de papier de 3 mètres de large sur 5 mètres de haut, il n’y a qu’un pas pour elle.
Cet article a initialement été publié dans la revue belge Lectures.Cultures (n°11, janvier-février 2019). Nous reproduisons ici le texte de l'article avec l'aimable autorisation de son auteure, Isabelle Decuyper, et de Lectures.Cultures. Les images proviennent des éditions Versant Sud et de Valentine Laffitte.
Qui êtes-vous?
J’ai grandi dans le domaine artistique; mes parents étant photographes, mon papa artiste peintre, leur sensibilité et leurs inspirations artistiques ont constitué mes premières balises. J’ai suivi mes études secondaires en France avec une option artistique de mes 15 à 18 ans. J’ai été plongée dans une option artistique (8 h, 13 h, 23 h/semaine) avec des professeurs qui m’ont marquée et m’ont fait découvrir les nombreux champs de l’art. Puis, ce fut le diplôme des métiers d’art (DMA) en illustration, au lycée Auguste Renoir à Paris. Cette école a été ma première rencontre avec le métier du livre et le monde de l’illustration. Ce passage à Paris a été très important dans mon cursus, on nous a laissé une liberté évidente dans la recherche et l’exploration de différentes pistes graphiques et de la narration. J’en garde un très beau souvenir: nous étions un petit groupe d’étudiants soudés, avançant sur nos projets, accompagnés par nos professeurs Michel Piazza et Catherine Keun qui nous ont beaucoup appris. Puis, ce fut l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles et la solide réputation de l’atelier d’illustration dirigé par Anne Quévy. Là, j’ai pu poursuivre le travail de l’image et de l’écriture, affiner le rapport texte/image. Elle m’a accompagnée dans mes choix graphiques, me poussant toujours plus loin: c’est lors de mon projet de master aux Beaux-Arts que je me suis arrêtée sur la technique du collage.
Un premier album
Mon premier album, Petite peur bleue, fait partie de la collection «Les Pétoches!». J’y raconte la rencontre d’Amos avec sa peur, un soir de tempête. Techniquement, nous avons dû photographier les dessins originaux pour garder cette impression de relief et de volume. Je travaille avec du papier «aquarelle» ou ayant un grammage important, ça me permet de faire des superpositions et de jouer avec les profondeurs des plans.
D’où viennent les idées?
Ma source d’inspiration première est mon environnement, j’observe beaucoup tout ce qui se passe autour de moi. J’ai grandi à la campagne dans le sud-ouest de la France, dans le Gers, entourée de champs, de forêts, de nature et d’animaux sauvages qui traversaient le jardin… Le vert, la nature et le végétal habitent mon imaginaire, qui se développe autour de cela.
Des projets?
Oui, j’ai reçu une bourse découverte de la FWB pour un projet qui devrait sortir en septembre 2019 chez Versant Sud. Il abordera le thème du réchauffement climatique et les bouleversements tragiques qui s’opèrent. C’est l’idée d’une sensibilisation, mais pas de manière frontale et moralisatrice. Je vais voir comment l’illustration peut amener les enfants à faire cette découverte. Il y aura quatre témoignages: ceux d’un ours polaire, d’un orang-outan, d’une abeille et de plantes, afin d’avoir une idée de globalité des changements qui s’opèrent partout.
La nature a un pouvoir incroyable sur nous, elle nous permet de nous ressourcer. Je le vois lors de l’atelier «marche en forêt» que j’organise avec les élèves, qui est une véritable coupure dans la journée; la nature permettant de revenir à des choses essentielles avec un rythme bien différent de notre société qui nous sollicite en permanence. Ce deuxième album est la suite d’une belle collaboration avec les éditrices de chez Versant Sud Jeunesse, qui accompagnent le projet jusqu’au bout, leur aide et leur regard extérieur sont toujours très précieux. C’est vraiment agréable de travailler en équipe.
L’expérimentation avant tout?
La notion d’expérimentation est le fil rouge de toutes mes activités: dans l’animation, dans l’enseignement, dans l’illustration, c’est toujours quelque chose qui revient et que j’ai envie de partager. Enseigner dans une école spécialisée me permet de faire le lien avec une année de formation en art-thérapie que j’ai suivie à Bruxelles. C’est là que j’ai pu découvrir et approfondir la question de la relation entre la pratique artistique et ses effets thérapeutiques sur la personne. C’est le côté libérateur, la puissance de l’expression de soi que l’on trouve dans le principe de l’art brut qui me séduit.
Un mot sur la technique utilisée?
Le collage et le fragment sont un moyen de travailler l’image de manière physique en privilégiant le rapport à la matière, «comme si je tenais dans mes mains les éléments qui sont sur le papier». Le travail se fait de l’extérieur vers l’intérieur de l’image, la page blanche devient un terrain de jeu. C’est ce qui est intéressant. Je peux déplacer les éléments, «donner vie» aux éléments de mon histoire: il y a un côté progressif avant d’arriver à l’image finale.
Dans mes images, j’aime beaucoup l’idée qu’il puisse y avoir des détails un peu partout, faire circuler l’œil, faire exister dans un même espace plusieurs récits, des éléments, des espaces, des personnages différents. La peinture de Pieter Brueghel et Jérôme Bosch m’a beaucoup inspirée avec la multitude de détails et d’histoires qui parcourent leurs toiles.
Le collectif «Kidzone»
Le collectif est né du constat que les terrains de jeux pour enfants sont très cloisonnés et limités dans l’espace urbain. L’idée est de pouvoir se déplacer dans chaque lieu, collaborer avec divers endroits, créer une zone artistique pour enfant adaptée à des événements souvent pensés pour les adultes. Nous réfléchissons aussi à comment investir l’espace public. L’idée est de jouer sur des principes simples, des outils simples et des expérimentations. L’espace de l’atelier est intéressant, car il offre un moment de rencontre avec les enfants. Il fait vivre la pratique artistique sur le terrain à l’instant T et amène une dynamique et une énergie unique. Nous travaillons avec le BRASS depuis quelques années, à l’occasion des dimanches Atomix, un dimanche au centre culturel de Forest, joyeux et artistique, avec des ateliers parents-enfants, un spectacle et un goûter partagé. L’année dernière, nous avons testé avec eux les «Minimix» pour les 0 à 3 ans. L’occupation de l’espace se fait loin de la feuille de dessin, par exemple en créant un sol de peinture (pris entre deux bâches), foulé par les petits pieds des participants, qui répandent la peinture de manière aléatoire, au gré de leur déambulation. Ces ateliers nous ont fait intégrer la notion d’espace, de sensorialité, nous faisant nous situer dans un dispositif entre atelier d’art plastique et installation. C’était beau de voir les enfants faire et créer librement, sans aucune consigne. On a envie d’aller encore plus vers ça. Ce projet est très récent, nous n’en sommes qu’au début de cette expérience. Il y a plusieurs visages derrière Kidzone, des inspirations, des univers, des intérêts et des sensibilités qui se rencontrent. Nous profitons de chaque atelier et de chaque nouvelle collaboration avec les lieux pour tester de nouvelles choses.
Pour le Festival 0>6, au centre culturel de Jette [qui a eu lieu au début du mois février], le thème de l’espace nous a donné l’envie de plonger notre atelier et ses participants dans le noir…