Ernest Pignon-Ernest : comme des pas sur le sable

L’art d’Ernest Pignon-Ernest est tellement sensible que cet opuscule de la collection Des Graines et des Guides ne devrait pas manquer de trouver son public. Mais comme pour la philosophie, ou d’autres disciplines jugées « difficiles » ou « éloignées de l’enfance », jugements bien pratiques pour éviter les longues discussions et les questionnements infinis, l’histoire de l’art, et probablement encore plus la réflexion sur la création, passent peut-être un peu aux oubliettes de l’éducation.

Pourtant, quelle lecture plaisante et instructive que ce petit opus de Rémi David sur Ernest Pignon-Ernest, dont le nom même est une création et devient une marque de fabrique. L’auteur évoque rapidement l’enfance et les années de jeunesse de l’artiste niçois pour en retenir ce qui définit son œuvre en entier, et décrit plus précisément les moteurs de son expression : l’engagement, surtout du côté des meurtris, des sans-voix, et son choix corrélé d’afficher au plus près d’eux, chez eux, au milieu d’eux, pour eux... Afficher, c’est montrer, mais toujours de façon éphémère, le papier collé étant voué à la déliquescence ou l’effacement, « comme des pas sur le sable ». Mais c’est aussi choisir la rue, le lieu le plus ouvert, le plus populaire, le plus éloigné des musées – réserves d’œuvres d’art, œuvres d’art réservées – comme lieu de parole exclusif. Ernest Pignon-Ernest est l’un des créateurs de l’art de la rue, ouvrant la voie il y a soixante ans à tant d’artistes d’aujourd’hui. L’ensemble des illustrations présentées dans l’ouvrage sont des reproductions de ses œuvres qui interpellent, retiennent le regard et ramènent immanquablement au texte de Rémi David.

Ce lien entre l’histoire, l’art, l’histoire d’un artiste et le monde d’aujourd’hui est le passeport de la collection pour la compréhension et l’adhésion des jeunes lecteurs. Cette ouverture à l’œuvre d’un créateur aussi humaniste, bienveillant et combatif qu’Ernest Pignon-Ernest est un encouragement supplémentaire à dépasser la lecture dite « plaisir », prétexte à limiter l’acte de lire à des opportunités d’évasion du réel, quand ce réel souvent ouvre les jeunes lecteurs sur le monde.