Le cirque noir

Un vieux clown, blanchi sous le harnais, feuillette un livre : Le cirque noir. Ce livre, celui que le lecteur tient en mains, raconte son histoire et le passage de l’ombre la plus noire à la lumière…

Après ce préambule un peu long, le narrateur nous entraîne dans le sillage des voitures qui hurlent une annonce choquante : « Venez nombreux ! [...] Grâce au Cirque Noir [...] devenez malheureux ! ».

Cette invitation est traitée par Pef dans un noir somptueux et une scénographie à grand spectacle : les grosses voitures parcourent des autoroutes qui traversent des villes schématiques et le public curieux accourt. Dans ce noir et blanc dur, un chien perplexe, le vert d’un feu piéton laissent à peine espérer une lumière. Le spectacle est une parodie sombre du cirque aimé : musique sinistre, lanceur de couteaux qui n’épargne pas sa partenaire sacrifiée, panthères noires qui avalent le dompteur dans un numéro de danse macabre. Le mouvement du dessin est un cercle infernal, celui de la piste mais aussi celui de l’enfermement du public qui hurle. Les visages sont traités en fantômes et les yeux exorbités, les bouches largement ouvertes figent les expressions dans l’horreur. C’est inquiétant et très beau, vénéneux jusqu’au moment où une balle rouge surgit de nulle part et est attrapée par un enfant. Mouvement et couleur, énergie créatrice donnent vie et tout change, s’échange, la couleur gagne et ce n’est pas par hasard si, dans le public, rôdent Monsieur Hulot ou Charlot…

Dans cet album, Pef joue avec ses thèmes et ses couleurs. Celui de l’enfant impertinent qui va sauver la situation sans en avoir l’air, par jeu. Une balle bien renvoyée suffit à changer la trajectoire du monde et Pef dépasse une inquiétude manifeste sur la guerre ou le monde concentrationnaire qui pointe dans le cirque noir pour affirmer sa vision volontariste : la poésie, le jeu peuvent sauver le monde. Son attachement au cirque tient à cette ambiguïté fondamentale du spectacle où se jouent la vie, la mort, la tension, le rire. Le vieux clown, son héraut, a vieilli mais son travail obstiné et joyeux porte sa voix et on a envie d’applaudir.