Ce livre est trop petit

Le regard éploré d’un chat bleu interpelle. Coincé à gauche, le titre, Ce livre est trop petit, swingue. Entre le chat, le titre et le lecteur circule le jeu de cet album : dans ce beau et grand format carré, aucun animal, même petit (sauf ? … surprise finale !), ne peut tenir. Et sous la plume et le pinceau de Jean-Pierre Blanpain, c’est un festival d’animaux mécontents d’être raccourcis.

Le premier à rentrer en scène est un éléphant. Il partage avec le chat un gris bleu profond, un peu épais, éclairci par le rose des oreilles. Le sens se précise : au chat, il manquait la queue et un bout d’oreille ; l’éléphant a une oreille mais … pas de trompe ! Pas de trompe ? Est-ce encore un éléphant ? Oui, pas de doute, ses pattes massives et ongulées, la ligne du dos, permettent de le reconnaître et l’auteur joue sur le double sens : trompe/tromper, images en trompe-l’œil. Raffinement de la calligraphie et de la mise en page, quatre lignes de texte bicolore résonnant avec les couleurs de l’animal prennent leur aise sur la page blanche tandis que l’animal est casé comme il peut sur la page adjacente.

Au bon vouloir de l’auteur et selon sa fantaisie, le lecteur se trouve confronté à l’autruche, décapitée, tout comme la girafe, ainsi qu'aux arrière-trains diminués du cochon, du crocodile ou de l’otarie. L’humour se manifeste par les jeux de mots qui soulignent le parti-pris plastique : « L’autruche sans cou est d’accord (avec l’éléphant) : ce livre ne vaut pas le coup ». Des rimes, des assonances – « accordéon, serpent-python, portion » – expliquent la perplexité du serpent au regard inquiet.

Les couleurs franches, les effets de matière, s’ajoutent au plaisir de l’architecture des formes : taches du pelage de la girafe, dents triangulaires et acérées du crocodile, carrelage de cuisine en arrière-plan pour le cochon (perfide allusion à son devenir ?), chaque animal est traité dans sa singularité mise en lumière par l’absence paradoxale : pas de queue en tire-bouchon pour le cochon, pas d’oreilles pour le lapin. L’auteur-illustrateur nous entraîne ainsi dans un jeu de lecture texte/image où se dissimule l’implicite. Les expressions des animaux mécontents amusent ; faussement réaliste, le traitement des images joue avec les couleurs, les formes et les points de vue sans souci d’échelle ni de vraisemblance : cet imagier présente une joyeuse initiation à l’humour, au plaisir de la langue et à l’art moderne. Jubilatoire.