Bernadette Gervais: Pépite d’or à Montreuil et Prix Libbylit 2020
Véritable consécration pour le travail de Bernadette Gervais qui vient d’obtenir la Pépite d’or au Salon du livre de jeunesse de Montreuil pour l’ABC de la nature et est lauréate du prix Libbylit 2020 avec En 4 temps.
Véritable consécration pour le travail de Bernadette Gervais qui vient d’obtenir la Pépite d’or au Salon du livre de jeunesse de Montreuil pour l’ABC de la nature et est lauréate du prix Libbylit 2020 avec En 4 temps.
Cet article a initialement été publié dans la revue belge Lectures.Cultures (n°22, mars-avril 2021). Nous reproduisons ici le texte de l'article avec l'aimable autorisation de son auteure, Isabelle Decuyper, et de Lectures.Cultures.
Malgré son abondante production, Bernadette Gervais a rarement été sélectionnée pour un prix. Elle a déjà été étonnée qu’un de ses ouvrages figure dans la présélection des Pépites de Montreuil. Mais ce fut une surprise totale lors de l’annonce de la Pépite d’or. «C’est une belle reconnaissance de mon travail», dit-elle. C’est aussi valorisant d’avoir reçu le prix Libbylit qui récompense une production atypique.
Nous avons déjà eu le plaisir de rencontrer Bernadette Gervais… il y dix ans pour la revue Lectures[1]. Elle y avait raconté ses débuts en littérature de jeunesse. Ceux-ci sont à redécouvrir dans la version numérique[2] de l’article.
Une autre facette de cette artiste a aussi été présentée par Victoire de Changy dans Le Carnet et les Instants[3]. Nous avons décidé de donner un coup de projecteur sur ses dernières productions dont les deux primées.
ABC de la nature
Un album grand format édité aux Grandes Personnes en quadri avec une 5e couleur orange et une 6e couleur jaune pétant, terminé en juillet 2020.
«J’aime travailler sur les abécédaires qui sont aussi une forme d’imagier et qui se prêtent bien à mon dessin. Ce travail est assez contemplatif. J’aime créer des livres où les enfants rentrent dedans et apprennent à regarder des choses les entraînant vers l’extérieur. Voir mieux les choses pour mieux les respecter et respecter l’autre.
J’adore m’adresser aux petits. La meilleure des récompenses est d’avoir vu sur des photos des bébés absorbés du début à la fin par mon livre.
Dès que j’ai eu l’idée, je l’ai présentée à Brigitte Morel, mon éditrice. Je pensais le réaliser en sérigraphie suite à une résidence vécue au Père Castor. Mais de par certaines étapes, cela devenait trop ardu. D’où je l’ai réalisé au pochoir. Le concept de cet abécédaire étant très classique, j’ai donc voulu que graphiquement il le soit moins. C’était un défi. Tout est peint. Aucune intervention numérique. Les lettres sont créées à la main et font partie de mon dessin. Je fais la conception totale de l’image, le jeu des couleurs, la typo très graphique intervenant dans la composition de la page. J’ai essayé de choisir des mots moins connus que ceux que l’on trouve habituellement dans les imagiers. Je désirais que tout cela rende un climat poétique.
Les livres que je réalise accompagnent les enfants sur plusieurs années. Ils apprendront ce qu’est un oiseau, puis à le reconnaître, entendre le bruit qu’il fait. Les parents, eux, découvriront les noms d’oiseaux.
Au salon de Montreuil, lors d’un échange avec une personne s’occupant d’alphabétisation, j’ai découvert que mes livres servent à apprendre le français aux primo-arrivants et aux personnes n’ayant pas accès au livre, comme les mamans qui apprennent à lire en se servant de mes livres.
Un autre témoignage auquel je pense est celui d’un petit garçon en difficulté qui, lors d’une animation en classe avec Axinamu[4], a couru voir l’album et est resté 20 minutes à le regarder alors qu’on ne l’avait jamais vu aussi longtemps captivé par un livre.
Logopèdes, enseignants et enfants en difficultés utilisent mes ouvrages offrant une plongée, une immersion dans les images.
Dans l’enseignement, l’éducation artistique, à l’image, au graphisme, le dessin est complètement négligé.
Je suis super touchée d’avoir eu la Pépite d’or pour ce bouquin. Il est celui pour lequel j’ai eu le plus de mal à travailler dessus. Je l’ai commencé juste une semaine après le décès de mon père; c’est pourquoi je le lui ai dédicacé. Il y a quelque chose qui s’est passé dans ce livre que je n’ai pas maîtrisé. C’est un hommage à mon père qui m’a transmis l’amour de la nature. Je me souviens de promenades avec des jumelles, de guides de fleurs qu’on consultait… Ce livre était une ode à la nature. Il fallait que je sois à la hauteur et qu’on sente l’émerveillement de la petite fille.»
En 4 temps, chez Albin Michel Jeunesse en 2020
«Procrastinatrice, je dois travailler de manière intensive pour remettre mes livres à temps. D’où une fois remis, je suis éreintée. Entre deux livres, j’ai l’impression que je ne fais pas grand-chose. Or cela travaille dans la tête et les idées me viennent en une fois. J’ai créé cet ouvrage suite à un flash que j’ai eu avec les 4 temps du coquelicot puis le livre s’est construit autour du flash mûri par ce que j’avais envie de faire. Tout d’un coup, cela émerge. Je vais chez mon éditrice avec uniquement l’image du coquelicot et le découpage du livre. Tout comme Brigitte Morel, Béatrice Vincent est une éditrice exceptionnelle, avec lesquelles j’ai une belle complicité. Je montre le projet au départ… une image… et j’arrive ensuite avec le projet abouti. Nous échangeons sur l’objet livre, surtout le format, le papier, le titre et la couverture. On a décidé d’un rouge en cinquième couleur.
Cet album est dans un format plus petit. En un coup d’œil, on capte les quatre cases qui se suivent. Les quatre étapes vues de suite ont plus d’impact visuellement. Cela se passe aussi dans le temps de lecture. Ce livre est plus dans l’action. La notion de temps intervient aussi. Entièrement réalisé au pochoir, j’ai travaillé dans un format plus grand qui a été réduit. Les originaux ont une taille double.»
On échange! paru au Seuil Jeunesse en 2019
«Un imagier décalé avec des échanges farfelus, qui réinvente le monde en imaginant ce qu’il se passerait si la vache et la coccinelle échangeaient leurs taches ou si un arrosoir avait une trompe d’éléphant.
Là aussi, j’ai eu un flash. Je cherche des idées et j’aime faire des choses assez simples mais pas simplistes. Même si au premier abord cela paraît simple, cela ne l’est pas tant que ça. Comme cette idée de mélange avec l’idée d’échange des caractéristiques, qui fait qu’on devient différent. C’est aussi un livre sur les richesses des échanges.
Il y a plusieurs niveaux de lecture, un côté rigolo et un côté graphique très abordable que je reproche parfois aux livres beaux graphiquement mais d’où les enfants décrochent.
Mon premier souci est de réaliser des livres pour enfants. Celui-ci a vu le jour chez Seuil jeunesse car mes deux autres éditrices avaient déjà leur planning de publications bouclé et je désirais sortir ce projet. Je suis donc retournée au Seuil où j’ai rencontré Angèle Cambournac, excellente éditrice elle aussi, avec qui je compte bien continuer à travailler.»
En projet
«Des trucs comme ci, des trucs comme ça, prévu pour septembre 2021, qui comprendra des trucs de la nature et de la vie quotidienne comme des trucs qui collent (scotch, gui), des trucs qui volent (cerf-volant, avion, montgolfière), des trucs qui fondent (beurre, crème glacée, chocolat, iceberg), des trucs qui s’ouvrent (pomme de pin, fermeture éclair), qui éclairent (phare, luciole)… un mélange inattendu pour un imagier moins conventionnel et poétique.
Pour conclure, je dirais que la qualité, on ne peut pas la mettre dans des cases. J’aimerais aussi ajouter une phrase de Tana Hoban réputée pour ses imagiers et qui rejoint assez bien mes propos: «Pour moi, les détails sont le plus important. C’est une autre façon de voir, qui aiguise ma perception et c’est ce que je veux faire passer aux enfants à travers mes livres. Je veux dire aux enfants de continuer à regarder, de faire attention aux détails, d’observer, de voir. Je veux qu’ils voient des choses qu’ils n’avaient jamais vues auparavant, ne pas passer trop vite sur ce qui les entoure.»
Infos
Pour écrire à Bernadette Gervais: [email protected]
[1] Lectures, n°164, janvier-février 2010, pp. 86-89.
[2] https://fr.calameo.com/books/001070373d0767b8b4b13
[3] Victoire de Changy, « Plier, déplier, n’en jamais finir de découvrir, avec Bernadette Gervais » : un portrait de Bernadette Gervais paru dans Le Carnet et les Instants, n°197, 2018.
[4] Les Grandes Personnes, 2008, réédité en 2010.
*Isabelle Decupyer est attachée principale du Service général des Lettres et du Livre – Littérature de jeunesse, qui relève de l'Administration générale de la Culture du Ministère de la Fédération Wallonie-Bruxelles.