La forêt de monsieur Chip

L’histoire de monsieur Chip est un copeau du bois dont on fait les forêts… Car les aventures de ce héros de papier découpé dans son monde d’origamis cumulent de symboles comme de clins d’œil sur les relations de domination que l’homme entretient encore avec la nature. Comment s’y prendre pour détruire ce qu’on aime : ce pourrait être l’idée de départ de cet album écolo, un propos teinté d’humour noir, comme pour une version satirique du travail de Yukiko Noritake dans Forêt des frères. 

Ça commence avec la silhouette dégingandée d’un homme en salopette, amoureux des arbres comme le héros de Giono et qui, pour vivre dans cette forêt qu’il adore, décide d’y construire sa maison, sa cabane au Canada, en bois, une petite cabane de rien du tout. Las, cet homme des bois contemporain est un vrai Géo Trouvetou et il a plus d’une idée dans la tête : un atelier pour les réaliser ne serait pas de trop ! De sapin en buisson, Patrick Pasques découpe, et monsieur Chip abat tout ce qui dépasse.

Tout en découpages savants, le plasticien crée une forêt de papier colorée et, dans cet univers tout vert, hérissé de sapins chamarrés et finement découpés, peu à peu le vert fait place au gris et les cheminées de l’usine remplacent aussi les hautes futaies. Sur la page s’étalent alors les troncs abattus, larges bandes de papier marron, les souches hexagonales en deux tons, avec leur âme plus claire que l’écorce, comme autant de petits soleils couchants.

L’homme est possédé par le démon des machines : il en imagine et en construit toujours plus, plus grosses, plus puissantes, plus meurtrières. Monsieur Chip invente même des oiseaux mécaniques, des corbeaux au bec en lames de ciseaux, pour remplacer les vrais, partis chercher domicile dans des contrées plus accueillantes. L’engrais créé pour faire pousser les fleurs se révèle un terrible facteur de dérèglement naturel : les plantes carnivores prennent le dessus, de grosses coques écarlates dont la corolle abrite une vraie bouche d’ombre, grimpées sur d’épaisses tiges bleues ou violettes, exotiques et menaçantes.

Autour de monsieur Chip, c’est le désert : « Plus d’arbres, plus d’oiseaux, plus d’insectes, plus de petites bêtes, plus de fleurs, plus de petites broussailles ». La forêt n’est plus qu’un souvenir poétique, un soupir de nostalgie.

Mais avec un éclair de bon sens et un zeste, quand même, de culpabilité, le voilà décidé : il va aider la forêt à renaître, plutôt que de la domestiquer envers et contre tout. Et « bien des années plus tard », rapporte le conteur, monsieur Chip est enfin heureux. Tout vieux et chenu, appuyé sur un simple bâton, il écoute le chant des oiseaux au cœur de la forêt revenue.

Cet album est une vraie fable d’aujourd’hui. Et Patrick Pasques, son auteur, a beaucoup d’idée, beaucoup de fantaisie et un sacré coup de ciseaux !