Mathilde Brosset, artiste-animatrice
Avec La ballade de Lino et quatre ouvrages qui sortiront prochainement, Mathilde Brosset est une artiste comblée se nourrissant des nombreuses animations qu’elle continue avec grand plaisir. Lauréate d’une bourse de la Fédération Wallonie-Bruxelles 2019 pour J’aime la galette.
Avec La ballade de Lino et quatre ouvrages qui sortiront prochainement, Mathilde Brosset est une artiste comblée se nourrissant des nombreuses animations qu’elle continue avec grand plaisir. Lauréate d’une bourse de la Fédération Wallonie-Bruxelles 2019 pour J’aime la galette.
Cette interview a initialement été publiée dans la revue belge Lectures.Cultures (n°23, mai-juin 2021). Nous reproduisons ici le texte de l'interview avec l'aimable autorisation de son auteure, Isabelle Decuyper, et de Lectures.Cultures.
Petite bio
Je suis née en 1985 à La Rochelle. Après trois ans aux Beaux-Arts de Bordeaux en arts visuels, je pars en échange universitaire à l’Université du Québec et j’y commence l’illustration. L’année d’après, je fais une spécialisation en illustration à l’Institut Saint-Luc de Bruxelles. Je décide ensuite de m’y installer pour animer des ateliers pour enfants.
Votre parcours dans le monde de l’illustration?
Un jour, en me promenant le long des canaux de Bruges où sont construits plusieurs moulins, j’imagine l’histoire de Meunier, tu dors? Un meunier n’arrive pas à dormir, gêné par de nombreux importuns. Pour les chasser, son moulin tournera de plus en plus vite. Deux autres albums suivront: Le bout de la ligne, réalisé dans le cadre d’une résidence au Musée de l’illustration jeunesse de Moulins, est un numéraire peuplé de pieuvres géantes, de baleine et de pirates. Les paysages de bords de mer m’ont toujours fascinée et j’aime dessiner les minuscules cabanes de pêcheurs perchées sur leurs hauts pilotis. C’est dans ces paysages que j’ai grandi et j’aime y replonger à travers mes albums.
Dans Me fais pas rire!, deux armures commères regardent avec malice une nouvelle armure se faire fabriquer. C’est l’occasion pour elles de se moquer ouvertement et, pour moi, de mettre le lecteur tantôt dans la position du moqueur, tantôt dans celle du moqué. La moquerie est présente dans les cours de récré mais aussi dans le monde des adultes. Les enfants n’ont aucune pudeur à rigoler de cette histoire. J’aime l’idée que les enfants puissent rire des adultes le temps d’une histoire.
Ces trois albums sont parus à L'atelier du poisson soluble, un éditeur que j’apprécie pour son engagement et l’originalité de ses publications et avec lequel je ressens une totale liberté de ton et d’humour.
En 2020, c’est la sortie de La ballade de Lino, un projet imaginé il y a longtemps, juste après mes études mais abandonné dans mes cartons. C’est grâce à ma rencontre avec Fanny Deschamps et aux nombreux échanges que nous avons eus qu’est né Lino, le troubadour voyageur et les différents personnages qui croisent sa route. Fanny m’a aidé à travailler le récit afin que cet album intègre la collection «Les pétoches» des éditions Versant Sud. J’ai voulu donner au texte un rythme et un phrasé proches de la ballade afin de renouer avec une tradition du conte oral à laquelle je suis très attachée.
Le spectacle vivant a toujours été présent autour de moi. Ma mère était passionnée de théâtre et nous emmenait, ma sœur et moi, assister à toutes sortes de représentations. J’avais envie de parler de ces artistes de la scène et de la rue qui continuent de me fasciner. D’ailleurs, je réalise souvent mes livres comme une pièce de théâtre. Je dessine une scène sur laquelle les personnages entrent. Tantôt côté jardin, tantôt côté cour… Dans la plupart de mes albums, il y a un plan fixe sur lequel les personnages dialoguent.
Même si je crée des livres pour enfants, les personnages de mes albums ne sont pas nécessairement des enfants. Ce sont bien souvent des portraits critiques d’adultes, comme ce vieux meunier grognon et antipathique, qui veut qu’on le laisse tranquille dans Meunier, tu dors?, ce grand-père trop terre à terre dans Le bout de la ligne ou les animaux travailleurs, superficiels, suiveurs de La ballade de Lino. J’aime créer des personnages faillibles. Plus ils ont de défauts, plus je les aime.
Côté technique?
En arrivant à Saint-Luc, je n’étais pas une grande dessinatrice. Le collage m’a décomplexée du trait. Je travaillais sans crayon. Simplement en découpant des aplats de peinture pour créer un univers de matières, de textures, de couleurs. Puis, le dessin est revenu doucement avec des crayonnés. Aujourd’hui, le collage me sert à «colorer» mes dessins. Pour Lino, je voulais créer une ambiance chaleureuse et festive. Des aplats de peinture m’ont servi pour les décors. Pour les personnages, les maisons et la végétation, j’ai découpé des livres d’art reprenant les tableaux de Memling, Botticelli ou Velázquez. On peut apercevoir certains détails des tableaux dans mes dessins.
En fonction des projets, j’utilise différents nuanciers. Pour Meunier, tu dors?, j’ai mêlé peinture, calques et crayons de couleurs pour une ambiance plus douce. Dans Le bout de la ligne, je suis partie d’une photo d’eau photocopiée sur papier bleu pour réaliser la mer. Certains éléments sont déchirés. D’autres, découpés méticuleusement avec des ciseaux de couture.
Pour plus de facilité, je travaille sur de très grands formats allant parfois jusqu’à un mètre de large pour certains décors. Je découpe les différentes textures grâce à une table lumineuse sur laquelle je superpose mes papiers colorés et mon croquis. Puis, je viens recoller toutes les pièces les unes à côté des autres. Certains éléments sont dessinés aux crayons de couleurs comme les visages et d’autres, retouchés à l’ordinateur, comme les ombres.
Des influences? Des inspirations?
L’un de mes premiers coups de cœur a été une adaptation théâtrale du recueil d’histoires Crasse-Tignasse d’Heinrich Hoffmann vue lorsque j’étais enfant. Je puise souvent mon inspiration dans les contes et les comptines qui font partie de notre imaginaire collectif. C’est comme ça qu’est né Meunier, tu dors? ou J’aime la galette, un album à venir. La pêche à la baleine de Jacques Prévert est le premier texte que j’ai illustré durant mes études. L’adaptation des Frères Jacques et un album illustré par Henri Galeron m’avaient fortement marquée. C’est un poème qui oscille entre univers enfantin et inquiétant.
Il est difficile de choisir les auteurs/illustrateurs qui m’inspirent car ils sont nombreux mais je dirais que Philippe Corentin, Beatrice Alemagna, Wolf Erlbruch, Albertine ont une place de choix dans ma bibliothèque. J’aime aussi les histoires de Roald Dahl et sa liberté de ton.
Pour son côté «scène de théâtre», je citerai Une soupe au caillou d’Anaïs Vaugelade où la limite du décor est apparente et suggère un décor de cinéma. J’adore!
Beaucoup d’animations avec des enfants?
J’ai commencé à 17 ans comme animatrice arts plastiques dans un village de vacances! Aujourd’hui, j’interviens dans les écoles, les bibliothèques, les centres culturels et au Musée du masque et du carnaval de Binche... Je réalise aussi des stages sur différentes thématiques, où je propose des ateliers dessin, sculpture, peinture et, toujours, la lecture d’albums en lien avec mes animations. Avec «Auteur en classe», j’axe mes interventions sur le métier d’autrice/illustratrice et je propose une initiation au collage. La sortie d’un album est importante mais la rencontre avec les enfants l’est encore plus. J’y puise des idées lors des dialogues avec les enfants; l’un nourrit l’autre. C’est un public avec lequel j’aime travailler. Quand je réalise un album, je pense presque toujours aux ateliers qui vont en découler.
Prochains projets?
Un album pour les éditions Versant Sud, où l’on découvrira l’origine du costume d’Arlequin à travers un imagier d’enfants déguisés en baleine, oiseau ou Colombine; un autre album à partir d’un texte de Ludovic Flamant aux éditions Pastel, intitulé La dame aux 40 chats, l’histoire d’une dame qui rêve du chat parfait et accueille dans sa maison toutes sortes de chats: chat magicien, chat cuisiner, acrobate ou jardinier; encore un autre, J’aime la galette, prévu aux éditions L’Étagère du bas. Enfin, je pars deux mois en résidence en Provence pour la création d’Abel et Nour, l’histoire d’amitié entre une ourse et un troubadour sur fond de châteaux forts et de hautes forêts de pins pour une plaquette Fureur de lire.
Infos
Pour contacter Mathilde Brosset: [email protected]
*Isabelle Decuyper est attachée principale du Service général des Lettres et du Livre – Littérature de jeunesse, qui relève de l'Administration générale de la Culture du Ministère de la Fédération Wallonie-Bruxelles.