Jour de neige

Jour de neige, voilà la réédition inspirée d’un album incroyablement moderne et militant édité en 1962 et classé parmi les 150 œuvres les plus importantes par la New York Public Library.

Ezra Jack Keats est né en 1916 à New York dans une famille d’origine juive polonaise. Le personnage est lui-même un héros littéraire, à la fois peintre et écrivain, sa vie fut marquée par la pauvreté, il accumula les petits boulots pour survivre, visita et travailla à Paris après la guerre sans jamais renoncer à la peinture. Comme un signe de la réflexion actuelle sur le livre pour enfants, il transmet à travers ses personnages, sa vision d’un monde non raciste en choisissant de montrer la diversité, toutes les différences, ethniques et sociales.

Mais c’est son approche de l’illustration qui séduit d’emblée le lecteur. Elle rappelle la maîtrise de l’artiste, médaille Caldecott en 1963, en phase avec les évolutions de la peinture de son époque, avec une interaction entre gouache, papiers découpés, et collage, des papiers aux motifs précieux comme pour le pyjama de l’enfant, la tapisserie de sa chambre, et des papiers découpés unis ou marbrés, évocateurs de la nature comme cet  arbre fourchu qui se détache sur la neige ; tous sont collés sur des fonds panoramiques qui permettent l’exaltation du dessin et du regard, la fenêtre ouverte sur la rue enneigée que découvre l’enfant à son réveil, la neige qui s’amoncelle plus haut que le petit bonhomme dans son habit de lutin orange vif, cette neige blanche moirée de reflets bleus, roses, violets, qui l’environne jusqu’à constituer le panorama unique de sa journée.

On suit les traces de l’enfant au rythme de ses jeux, marcher en canard, traîner les pieds, faire trace, secouer la neige de l’arbre, fabriquer un bonhomme de neige, se rêver ange en se jetant dans la masse douce et en agitant les bras, se lancer dans d’incroyables glissades sur un fond de nuit bleue qui tombe doucement, avec de petits balayages de buée blanche. L’ensemble est à la fois stylisé pour ce qui n’importe pas, les immeubles par exemple, et d’un réalisme émouvant pour le monde de l’enfant. Les attitudes corporelles sont très naturelles et évocatrices, les expressions d’émotions à peine esquissées mais si justes.

Et puis l’enfant rentre chez lui, et alors Keats décrit le monde coloré d’un intérieur chaleureux où règne une maman lumineuse dans sa robe découpée dans un imprimé de vichy jaune ; la nuit envahit la chambre, poudre d’encre noire projetée sur laquelle se détachent les montants de fer d’un lit d’autrefois, avant l’audace d’un réveil en fanfare où les jaunes, oranges, roses font briller le tamponnage de flocons ciselés de la nouvelle neige. C’est l’augure d’une nouvelle journée de jeux pour l’enfant, avec son ami cette fois. « Et ensemble, ils s’enfoncèrent dans la neige profonde » comme à l’orée d’un conte… Une vision de l’enfance réconfortante qui séduira tous les lecteurs quel que soit leur âge.

Une magnifique redécouverte, indispensable.