Wilfried N’Sondé, pas aigre mais doué pour faire des pieds de nez aux préjugés
L’auteur est toujours là où on ne l’attend pas, par exemple en Allemagne pour recevoir un prix littéraire pour sa seule œuvre jeunesse, Aigre-Doux.
L’auteur est toujours là où on ne l’attend pas, par exemple en Allemagne pour recevoir un prix littéraire pour sa seule œuvre jeunesse, Aigre-Doux.
Pourquoi le choix s’est-il porté sur Aigre-Doux de Wilfried N’Sondé? «Ce texte est d’une grande actualité et touche énormément de personnes», répond Mia, une jeune germanophone qui a participé au choix du lauréat du «Prix des lycéens allemands». Plus de 4.000 élèves ont pris part à l’édition 2021-2022 du «PDLA» organisé tous les deux ans par l’Institut français d’Allemagne avec l’éditeur Klett et doté de 5 000 €. Après Une fille de… de Jo Witek (article à ce sujet ici), c’est à nouveau un texte publié par Actes Sud Junior dans la collection «D’une seule voix» qui a remporté les suffrages, devant Direct du cœur de Florence Medina (Magnard Jeunesse) et Même pas en rêve de Vivien Bessieres (Rouergue Jeunesse).
Un lauréat au parcours atypique
Né à Brazzaville (Congo), Wilfried N’Sondé est arrivé à l’âge de cinq ans en Île-de-France où il a grandi et fait ses études (de sciences politiques). Il a ensuite déménagé à Berlin où il a longtemps travaillé comme assistant social. Il a également habité un temps en Suisse pour enseigner la littérature française à l’université de Berne et collaboré avec l’organisation Médecins Sans Frontières au Burundi. Aujourd’hui, l’auteur est installé à Lyon et vit de sa plume.
Un parcours plutôt atypique pour un écrivain qui semble doué pour faire des pieds de nez aux préjugés. Auteur de langue française «pour adultes», le voilà en Allemagne pour recevoir un prix de littérature jeunesse.
Wilfried N’Sondé se dit particulièrement ému de recevoir ce «Prix des lycéens allemands»: «Quand j’ai commencé à écrire Aigre-Doux», raconte-t-il, «j’étais loin de me douter que cela m’amènerait à recevoir un prix dans un pays où j’ai vécu 24 années». Il apprécie la tournée marathon qui lui fait rencontrer près de 400 élèves dans sept villes – «certaines que je ne connaissais pas encore» – avant de se rendre dans une huitième ville, Leipzig, où l’attend son prix.
À Francfort, dans la francophile école Carl-Schurz, des élèves de quatre lycées de la région de la Hesse profitent de la rencontre organisée le 16 mars 2022 avec l’auteur pour lui poser des questions. La première: qu’est-ce qui lui a donné envie d’écrire Aigre-Doux? «Une intervention dans un collège à Pantin», répond sans hésiter Wilfried N’Sondé. «Une jeune fille – née en France – avait sorti à sa professeure de français venant de Bretagne: "Madame, comme vous avez de la chance d’être sans origine!". J’ai trouvé cela terrible, que l’on puisse souhaiter être dénué d’origine».
«Au fait, d’où viens-tu vraiment?»
Aigre-Doux commence par une conversation anodine entre jeunes jusqu’à ce que la question fuse: «Au fait d’où tu viens, c’est quoi ton origine?». La question, pas vraiment méchante, constitue la goutte qui fait déborder le vase: «Pourquoi personne ne s‘intéresse plutôt à ma personnalité?», se demande le personnage, «à ce qui me fait rire ou pleurer?». Le narrateur ou la narratrice – le livre ne le révèle pas – estime que «cela fait trop longtemps qu’on me met à distance, des années que tout le monde la ramène sur des racines que je devrais avoir à cause de mes origines alors que je fais ce que je peux pour exister par moi-même».
S’il y a quelqu’un qui a réussi à exister par lui-même, c’est bien le romancier Wilfried N’Sondé. Parti perdant de Paris malgré un diplôme de la Sorbonne: «les loyers étaient chers, je ne trouvais pas de boulot, j’étais régulièrement contrôlé par la police», il se retrouve «comme un king» à Berlin-Ouest et découvre le champ des possibles.
«À Berlin je n’étais pas un cliché mais un point d’interrogation»
«Pour les Berlinois je n’étais pas un cliché mais un point d’interrogation», reprend Wilfried N’Sondé. Avant de s’exclamer: «Quelle libératrice liberté! C’était à moi de leur expliquer qui j’étais». Travailleur social, il est aussi musicien (il forme un groupe avec son frère Serge) et il écrit des nouvelles qui arrivent un peu par hasard dans les mains de l’auteur et journaliste allemand Hans Christoph Buch. Ce dernier apprécie le talent et établit le contact avec l’éditeur français Actes Sud. «Aussi simple que cela», sourit l’écrivain: «C’est ainsi qu’est né mon premier livre Le Cœur des enfants léopards». Publié en 2007, ce titre couronné notamment par le Prix Senghor et celui des Cinq continents de la francophonie séduit aussi parce qu'il traite de l’immigration en se jouant des habituels clichés.
Encore plus inattendu, Un océan, deux mers, trois continents (Actes Sud, 2018) conte l’histoire – véridique! – du premier ambassadeur africain au Vatican au XVIe siècle. «Il est parti sur un bateau qui transportait des esclaves», explique Wilfried N’Sondé, «mais il n’était pas avec eux dans la cale».
Dans son dernier livre publié, un roman d’aventures intitulé Femme du ciel et des tempêtes, l’auteur est à nouveau là où on ne l’attendait pas forcément: en Sibérie. Le pitch: on découvre la sépulture d’une reine qui dormait sous le permafrost depuis plus de dix mille ans. Et devinez quoi? La peau de cette reine est noire. «Ce n’est pas si absurde que cela», précise l’écrivain: «Grâce à de l’ADN sur une sorte d’ancêtre de chewing-gum vieux de 5 700 ans trouvé au Danemark, des chercheurs ont pu déduire que son propriétaire était une femme, sans doute à la peau sombre.»
Pourquoi Aigre-Doux?
Aigre-Doux est le premier titre que Wilfried N’Sondé publie dans le département jeunesse de son éditeur Actes Sud. «Cela restera peut-être le dernier», avoue l’écrivain en souriant: «j’ai remarqué qu’il était très difficile pour moi de simplifier la syntaxe et de ne pas me laisser emporter par la musicalité de la langue. Rien n’est plus dur que de faire simple».
À Francfort, les élèves lui demandent d’expliquer le choix du titre Aigre-Doux: «Je l’aime parce qu’il est basique. L’aigreur et la douceur, c’est un bon exemple de mariage réussi malgré les différences. Et puis chacun de nous peut être un ange mais aussi un monstre».
Et pourquoi a-t-il opté pour un narrateur ou une narratrice non genré·e? «Pour que l’on fasse attention à l’humain», répond Wilfried N’Sondé. Une tâche ardue dans une langue qui demande constamment le genre «c’est intéressant d’en prendre conscience», continue l’écrivain. «Le genre, la couleur de peau, ce sont finalement des détails. Les réalités ne sont ni africaines ni européennes, elles sont humaines. J’ai beaucoup de respect pour "Black Lives Matter" mais ma préférence va à "Lives Matter". Dans notre monde, les statistiques du féminicide montrent qu’il est plus risqué d’être une femme que d’avoir la peau noire».
La question du début du livre, «d’où viens-tu?», Wilfried N’Sondé l’a fréquemment entendue. «Le problème est moins la question que le fait que souvent on refuse d’entendre ma réponse», commente-t-il. «Après 20 ans en Allemagne, je me sentais pur Berlinois et je répondais "de Schöneberg" à cette question car c’était mon quartier. Mais alors mes interlocuteurs insistaient, "non, d’où tu viens vraiment?" comme si ma réponse était inacceptable».
De multiples identités
Même s’il reconnait que c’est en Allemagne qu’il a commencé à dire qu’il était français, Wilfried N’Sondé revendique ses multiples identités. «En une journée, je peux être tour à tour citoyen français, fils de ma mère, écrivain, père de mon fils, musicien et amateur de foot». Il cite un vers de Mallarmé, «c’était le jour béni de ton premier baiser», puis conclut: «si l’on veut parler d’amour c’est comme cela que l’on doit en parler. Moi c’est dans la littérature que j’ai trouvé qui j’étais». Et une remarque qui plaira particulièrement aux lectrices et lecteurs de Ricochet: «À sept ans déjà, le pays des jouets de Oui-Oui décrit par Enid Blyton était davantage mon pays que la France ou le Congo».
Quand les jeunes abordent le thème du déracinement, l’écrivain précise: «Le problème n’est pas de changer de pays, la question c’est dans quelles conditions cela se passe et dans quel état d’esprit», explique-t-il. Avant de préciser: «La différence doit être considérée comme une chance possible avant d’être considéré comme un problème».
«Je ne supporte pas la victimisation», poursuit Wilfried N’Sondé, «avant de se plaindre il faudrait toujours faire le tour de ce qui est en notre pouvoir pour changer les choses».
À Francfort, il termine son intervention par un conseil à la petite centaine de jeunes qui l’écoutent attentivement: «Essayez toujours d’être un cran plus malin que ceux qui vous oppriment» dit-il avant d’accueillir de chaleureux applaudissements. Dans ses livres comme dans ses rencontres, Wilfried N’Sondé a le don de trouver les paroles justes.