Olivier Desvaux: «Je me sers de la lumière pour créer l’émotion».
Portrait d’un grand illustrateur et d’un grand voyageur qui a fêté hier, le 12 mai 2022, ses 40 ans au large de Madagascar tandis que paraît un album évidemment ensoleillé: Blaireau et le monstre de l’étang.
Portrait d’un grand illustrateur et d’un grand voyageur qui a fêté hier, le 12 mai 2022, ses 40 ans au large de Madagascar tandis que paraît un album évidemment ensoleillé: Blaireau et le monstre de l’étang.
Ses œuvres sont emplies de lumière et elles font voyager, de la Sibérie à l’opéra Garnier; elles pourraient être prescrites comme remède contre les dégâts psychologiques de la période covid. Né à Rouen il y a 40 ans, Olivier Desvaux voyage depuis 20 ans et dessine depuis plus longtemps encore. Depuis 2007, il a illustré une trentaine d’albums jeunesse, souvent écrits par d’autres, souvent des textes classiques. Mais il y a des exceptions, comme Blaireau et le monstre de l’étang qui vient de paraître aux éditions Didier Jeunesse et dans lequel on retrouve Les amis du bois sans mousse.
Ville bleue et suite de luxe au Maroc
La lumière, Olivier Desvaux l’a d’abord appréciée dans sa Normandie natale: «cette région a une très belle lumière, on peut y peindre toute la journée», affirme le patriote local. Pourtant, poussé par le goût de l’ailleurs, il part au Maroc, la première fois à l’âge de 20 ans. Il va y retourner à plusieurs reprises. «J’y ai découvert de nouveaux paysages. J’ai voyagé de Tanger à Fès en passant par Tétouan et Chefchaouen, une ville bleue». Les habitants de cette cité à deux heures de route au sud de Tanger enduisent les murs extérieurs de leurs habitations d’une peinture qui contient du sulfate de cuivre. En reflétant la lumière, la couleur permet de garder l’intérieur des maisons relativement frais. Olivier Desvaux reste subjugué par la ville bleue: «Je réalisais six peintures dans une journée!».
En 2008, il expose une première fois dans un hôtel de Marrakech, après une résidence. «J’avais pu peindre pendant deux semaines en échange de quelques tableaux. Comme j’avais adoré, on a réitéré l’expérience un an plus tard.» On est alors en 2009 et Jacques Garcia rénove l’hôtel mythique «La Mamounia» (où Churchill avait l’habitude de résider… pour peindre, lui aussi). L’architecte décorateur propose à Olivier Desvaux de réaliser des peintures à l’huile afin de décorer une chambre du palace de Marrakech. Depuis, les heureux clients qui peuvent se permettre le luxe de la «suite baldaquin» ont le choix entre la vue sur le Mont Atlas et celle sur les peintures de mariés en costume traditionnel signées Olivier Desvaux. A-t-il pu loger à «La Mamounia»? «Malheureusement non», répond le peintre en souriant, «j’ai réalisé les œuvres en France avant de les envoyer au Maroc».
«C’est le goût pour l’observation qui m’a poussé à dessiner»
Ce qui l’a poussé à dessiner, dit-il, c’est son sens aigu de l’observation. Sa mère – présente dans le public lors de son intervention au dernier festival de Moulins[1] est conteuse, mais elle dessine aussi. «Enfant, j’avais toujours un carnet de dessins sous la main», raconte Olivier Desvaux, qui estime avoir eu beaucoup de chance dans son parcours: «J’ai pu intégrer deux bonnes écoles, d’abord l’école Estienne et puis l’École nationale des arts décoratifs, toutes deux à Paris. Ensuite, j’ai eu l’occasion de publier tout de suite, cela aussi c’est une aubaine». Effectivement: alors qu’il est encore étudiant aux «Arts-Déco», Olivier Desvaux est repéré par Gautier-Langereau. Après avoir vu ses personnages animaliers (ceux qui deviendront Les amis du bois sans mousse) l‘éditrice Maryvonne Denizet lui confie les illustrations de Le bonheur est dans le pré, un album contenant 15 poèmes. Le thème ultra romantique – des petits lapins, le parfum des fleurs, la rosée du matin – lui convient: «J’apprécie la poésie et la nature», résume-t-il. Cette première commande est très vite suivie par une deuxième, de Sarbacane, pour illustrer Le jour avant le lendemain (2008). Le conte du Danois Jørn Riel qui a passé 16 ans au Groenland est une première invitation au voyage.
La peinture sur le motif demande un engagement physique
«J’ai énormément dessiné, mais la couleur me plaisait et le pinceau me donnait du plaisir. Je partais parfois dans la nature avec mon chevalet et mes peintures à l’huile, comme les impressionnistes», explique Olivier Desvaux qui estime que «la peinture sur le motif demande un engagement physique». «Sur le terrain, on est dans l’urgence, dans le ressenti. Il y a le vent qui vous dérange, les gens qui viennent vous parler, la peinture à l’huile qui met du temps à sécher». Tout le contraire du calme qui règne dans son atelier. «J’aime partir chercher de nouvelles inspirations mais j’aime aussi retrouver le travail solitaire dans mon atelier. Là je reviens trois fois sur les tableaux en laissant du temps entre ces passages».
«Avec Bertrand de Miollis, un copain des arts décoratifs, on a fait plusieurs voyages, en Espagne, au Maroc, aux États-Unis mais aussi en Sibérie». Les deux peintres posent leurs chevalets sur la côte nord-est du lac Baïkal où ils retrouvent l’écrivain Sylvain Tesson retranché six mois dans une cabane pour écrire (un récit qui sera couronné par le prix Médicis essai en 2011, Dans les forêts de Sibérie). «C'était très enrichissant de pouvoir le rencontrer, c’est quelqu’un de brillant», raconte Olivier Desvaux. «Il nous a très bien accueillis, il était heureux d’avoir de la compagnie».
En peinture, Olivier Desvaux aime les masses, l’ombre et la lumière. Il préfère les reliefs aux paysages plats et il apprécie les endroits sauvages. Pour toutes ses œuvres, la lumière est essentielle: «Je pars toujours d’une idée de lumière qui vient et crée une émotion. C’est l’élément déclencheur».
Peintre de la marine et peintre de ballet
En 2018, Olivier Desvaux est nommé «Peintre officiel de la Marine». Depuis 1830, le titre récompense les artistes qui s’intéressent à la mer. Il n’implique pas de rétribution mais des privilèges, comme celui de pouvoir embarquer sur les bateaux de la marine nationale. Ou de pouvoir rajouter une ancre à sa signature: «Je le fais quand je peins des sujets marins», précise Olivier Desvaux.
Mais l’artiste ne s’intéresse pas qu’aux bateaux. En binôme avec Bertrand de Miollis, il peint les choristes du chef d’orchestre John Eliot Gardiner. «Une expérience extraordinaire», s’exclame-t-il. «Le fait d’aller à la rencontre d’une autre discipline artistique était extrêmement intéressant, nous sommes tous à la recherche de la beauté». Les deux peintres écrivent à la directrice de l’Opéra de Paris dont l’école de danse s’apprête à fêter son 300e anniversaire… et ils obtiennent une carte de «peintre de ballet», soit le droit d’entrer et de sortir du palais Garnier à leur guise. Ils découvrent alors les studios de répétition, les coulisses et évidemment la scène. «J’ai dû m’habituer aux lumières artificielles, très perturbantes», admet Olivier Desvaux, qui doit également s’adapter aux changements dus aux mouvements permanents. «Je réalisais des photos ou des vidéos pour pouvoir retravailler le tableau d’une scène précise», explique le peintre.
«La danseuse étoile Aurélie Dupont s’est pris les pieds dans mon chevalet et l’odeur de la térébenthine devait être dérangeante», sourit Olivier Desvaux, «mais globalement les danseurs ont apprécié que l’on vienne les peindre». Cette expérience a changé sa palette: «J’ai dû utiliser d’autres couleurs que j’intègre désormais aussi dans mes autres peintures». Et il est resté émerveillé, notamment par le ballet La Sylphide. «Il n’y avait pas vraiment d’histoire écrite de ce spectacle, mais sur la base du livret Philippe Lechermeier a écrit Sylphide: fée des forêts paru chez Gautier-Langereau», raconte Olivier Desvaux. De nombreux autres albums de ballet, comme Giselle, Le lac des cygnes ou La petite danseuse vont suivre.
Ravi d’illustrer L’homme qui plantait des arbres de Giono
Quand Gallimard lui demande de renouveler les illustrations de L’homme qui plantait des arbres, il est «très honoré, car les valeurs du texte de Giono me sont chères», raconte Olivier Desvaux. Ce n’est pas la première fois que l’artiste redécouvre un texte classique: il a ainsi illustré Les aventures de Tom Sawyer, Poil de carotte, Croc-Blanc, Robinson Crusoé et Le magicien d‘Oz. «Mon côté figuratif classique doit plaire aux éditeurs», explique-t-il. Et il est ravi d’illustrer des textes d’illustres écrivains comme Victor Hugo pour l’album Cosette ou Guy de Maupassant pour un album qui sortira à l’automne chez Sarbacane.
Pour L’homme qui plantait des arbres, Olivier Desvaux se rend à Manosque pour voir la famille, la maison et la bibliothèque de Jean Giono. «Ensuite, comme un enquêteur, j’ai cheminé et posé mon chevalet chaque fois que je trouvais un endroit qui correspondait à un passage de L’homme qui plantait des arbres au texte. J’ai par exemple peint une rue de village ou un chêne à la tombée de la nuit. À l’atelier j’ai rajouté une femme dans la rue et Giono sous l’arbre.»
Un blaireau qui en veut trop
Les amis du bois sans mousse (Didier Jeunesse, 2021) avaient permis de revoir Écureuil, Loup, Blaireau et Renard, des personnages animaliers imaginés par Olivier Desvaux dès l’âge de 12 ans. D’abord publiées par Gründ (Les contes des quatre saisons en 2011, Les contes des quatre horizons en 2012), les aventures des amis sont reprises par l’éditeur Didier Jeunesse: «J’ai retravaillé les histoires et réalisé de nouveaux dessins, on a changé de format et il y a désormais une histoire par album», explique Olivier Desvaux. Les amis du bois sans mousse raconte comment ils rencontrent Pim le panda voyageur (tiens, tiens, tiens...) qui vient bouleverser leurs habitudes.
La veille du 40e anniversaire du peintre Olivier Desvaux, une nouvelle aventure d’un habitant du Bois sans mousse, Blaireau et le monstre de l’étang, qui n’est pas sans rappeler la fable du héron de Jean de la Fontaine, est sortie en librairie. «Chronologiquement, il s’agit de la toute première histoire de la série que j’avais imaginée adolescent», précise-t-il au téléphone depuis l’île de la Réunion où il se balade avec son matériel de peinture… avant d’embarquer sur le navire l’Astrolabe.
«Je m’étais engagé à partir aux Îles Kerguelen sur ce brise-glace de la Marine nationale», explique l’artiste, «puis on m’a signalé que la destination avait changé. Mais pas ma décision de partir» précise-t-il. «Nous – une soixantaine de marins et de scientifiques et quatre artistes – allons visiter les îles Éparses». C’est donc au large de Madagascar, très loin du Bois sans mousse que le peintre voyageur vient de fêter son quarantième anniversaire. Félicitations et bon vent!
[1] Olivier Desvaux est intervenu lors des journées professionnelles du Festival le 24 septembre 2021. Une rétrospective intitulée Envie de lumière lui était consacrée au musée de l’Illustration jeunesse de Moulins.