Le jardin de la mégère

Quel bel album ! Le travail de Sébastien Boscus pour illustrer le récit de Chrystel Gaubert est un enchantement, bien accordé à cette idée d’un jardin enclos, à l’abri des pollutions modernes ; l’artiste use de la patine et d’un effet de fondu-enchaîné pour peindre la succession des saisons, de l’effervescence printanière à l’emprise glacée de l’hiver. La double-page se nappe de la palette de couleurs la plus riche, la plus nuancée, et la plus adoucie par cet impressionniste moderne, amoureux de son art et de son sujet. Même les pages consacrées aux agents de la standardisation du goût et de la mondialisation des échanges sont empreintes de cette poésie du « mélange distinctif ». Car l’artiste n’oublie rien de l’univers créé par Chrystel Gaubert, programmatique, dont le texte est peut-être un peu prolixe pour de jeunes lecteurs, dans la distribution au fil des pages.

Pour l’autrice, ce jardin est le microcosme d’une vie oubliée, où chacun s’employait à satisfaire ses besoins grâce à ces potagers fleuris, dont les récoltes s’échangeaient, transformées pour durer tout l’hiver. Niché dans une zone commerciale atteinte de gigantisme, dévoratrice de ces anciens espaces de partage, le jardin s’affranchit de la domination de sa vieille propriétaire repliée sur ses souvenirs. Cette partie de l’histoire est moins convaincante, la « mégère » étant finalement plutôt pitoyable, et les motifs de sa vengeance moins évidents… Personnifié, le jardin déborde des mesquines murailles, devient celui qui prodigue ses bienfaits, revivifiant la ville par un essaimage verdoyant, fleuri et nourricier. Un modèle de ville où le jardin(age) est le moteur de la vie : un album qui démange là où ça fait mal des bien nommées éditions Chant d’orties, mais dont le baume poétique et plein d’espoir apaise et fait rêver.