Ses personnages lui racontent l'histoire: portrait d'Aurélie Magnin
Enfant, elle noircissait des pages entières par simple plaisir de jouer du stylo. Aujourd’hui encore, point d’angoisse de la page blanche. Maintenant qu’elle a embrassé avec vigueur le métier d’écrivain, la Fribourgeoise Aurélie Magnin est habitée par mille personnages et projets de livres.
Enfant, elle noircissait des pages entières par simple plaisir de jouer du stylo. Aujourd’hui encore, point d’angoisse de la page blanche. Maintenant qu’elle a embrassé avec vigueur le métier d’écrivain, la Fribourgeoise Aurélie Magnin est habitée par mille personnages et projets de livres.
Petite, elle recopiait inlassablement les mots du dictionnaire. Puis elle réécrivait encore et encore par-dessus, jusqu’à noircir complètement la feuille blanche. «J’aimais le geste en lui-même: déposer l’encre sur le papier», se souvient Aurélie Magnin avec gourmandise. Sa mère lui faisait souvent la lecture, lui a appris lire très tôt et l’emmenait à la bibliothèque. La fillette se sentait l’âme d’un écrivain mais pensait que ce n’était pas un travail sûr. Aujourd’hui pourtant, à 42 ans, la Fribourgeoise continue à remplir des pages sans relâche. Elle possède une ribambelle de carnets multicolores qui contiennent autant de chantiers de livres. Elle en a déjà publié quatre, et sept sont à paraître d’ici fin 2023. Il aura fallu quelques détours avant de matérialiser cette vocation.
Adolescente, Aurélie Magnin avait l’intention d’étudier le plus possible et de trouver «un vrai métier». La voici plongée dans un cursus alliant la sociologie et la philosophie. Elle se spécialise en éthique policière, ce qui l’amène à collaborer avec les écoles de police et à décrocher de multiples mandats, notamment d’enseignement. «J’avais un bon métier, qui me plaisait. J’étais là où j’avais raisonnablement eu envie d’être. Mais ce n’était pas mon rêve.» Bien sûr, la jeune femme s’adonne toujours à l’écriture. A chaque début de vacances, elle commence des textes et accumule des piles de papiers, mais sans jamais terminer un ouvrage.
D’abord un roman pour adultes
Et puis un jour, au moment du décès de son père, elle entend les gens souligner qu’il avait un rêve et qu’il avait su aller jusqu’au bout. Voilà qui résonne en elle. C’est décidé: elle écrira un roman pour adultes, entièrement, même s’il devait ne pas être publié au final. Mission accomplie fin 2013. Malheureusement toutes les réponses des éditeurs sont négatives. Ceux-ci l’encouragent toutefois à persévérer. Cependant, elle est très occupée par son travail et son fils Philip alors âgé de 1 an. «Et je ne voulais pas essayer d’enfoncer des portes qui ne voulaient pas s’ouvrir.» N’empêche que, sans même qu’elle le cherche, des personnages et des histoires naissent régulièrement dans sa tête.
A cette époque, Aurélie Magnin aime créer des histoires pour son fils. «J’en racontais aussi aux anniversaires avec ses copains – c’était chouette de voir leurs réactions!» On lui conseille d’écrire pour la jeunesse. L’envie lui naît d’écrire une histoire taillée sur mesure pour son petit garçon friand de longs récits. Il en résulte un texte, très long comparé aux tendances de la littérature jeunesse. Elle reçoit quelques bonnes réactions des éditeurs, mais sans obtenir de publication.
Quelques années plus tard, son mari part un temps à l’étranger pour une reconversion professionnelle. La jeune femme décide de rester en Suisse et de faire une pause dans ses activités afin d’écrire un roman pour adultes: un polar psychologique sous forme de trilogie. Ce dernier n’est finalement pas édité mais récolte de bons échos. On lui conseille de les réécrire de manière plus fluide. Cela lui montre qu’elle est sur la bonne voie. Sa pause professionnelle, censée durer huit mois, se rallonge. Alors que son métier l’amenait à côtoyer beaucoup de monde et à souvent parler en public, elle réalise à quel point elle adore en réalité «rester dans sa grotte». Elle sent que l’écriture est une activité parfaite pour elle, en accord avec sa vraie nature.
Pause professionnelle
Aurélie Magnin s’accorde alors une dernière chance en tant qu’écrivain. Elle arrête l’enseignement et ne garde qu’une poignée de mandats. Elle se documente assidûment sur les éditeurs et les caractéristiques de leurs collections, ainsi que sur les codes de la littérature jeunesse. La voilà lancée dans un nouvel ouvrage – plus pour son fils mais pour elle-même. Elle prend garde à rendre le texte accessible à la tranche d’âge visée, et y voit aussi un entraînement pour fluidifier son écriture en vue de reprendre par la suite ses livres pour adultes. Quand l’auteure met un point final à Othello - Le chien du 9 heures 28, il lui semble que cette histoire-là correspond à tous les critères: si ça ne passe pas la rampe, elle abandonnera.
Alors qu’Aurélie Magnin, assise à la table de la salle à manger, raconte son parcours d’écrivain, la porte s’ouvre. Son mari et son fils, âgé maintenant de 10 ans, rentrent à la maison accompagnés de Queen, leur bouledogue de quelques mois qui sautille joyeusement et vient nous lécher les mains. Voilà qui ressemble furieusement aux personnages rencontrés dans Othello! Elle le confirme, «ce livre est le plus proche de notre vie». Le héros à quatre pattes est un amalgame des différents bouledogues qui ont vécu avec eux. «Et on plaisantait souvent entre nous en disant que nos chiens étaient télépathes!», rigole-t-elle. Le livre reprend aussi la passion des trains, que partagent Philip et son papa. Bingo: Othello conquiert un éditeur. A tel point qu’après ce premier épisode, il connaîtra de nouvelles aventures à paraître fin septembre 2022. L’écrivaine et l’illustratrice communiquent avant les dessins. «Je n’entre pas dans son domaine et ne lui dis pas ce qu’elle doit faire. Je lui donne des infos sur les personnages – pas physiquement, mais intérieurement, pour qu’elle les connaisse mieux – et sur ce que j’imagine pour leur avenir.»
«Mes personnages parlent dans ma tête»
En découvrant les dessins, l’écrivain a souvent des surprises, mais toujours en bien. Pour son deuxième livre, Les Gargouilles de Morne-Écu, Aurélie Magnin a toutefois été frappée de voir que les personnages étaient presque identiques à ce qu’elle avait imaginé. Quant au travail d’écriture: «J’ai adoré ce processus. C’était la première fois que c’était aussi fluide. Je découvrais l’histoire au fur et à mesure, et j’avais la certitude que je serais menée à bon port.» Pour Les Gargouilles, l’auteure crée d’abord les personnages avec quelques caractéristiques, puis ce sont eux qui la guident. Ils parviennent même à la surprendre. Elle ne connaît pas la fin à l’avance. L’écriture va vite, du premier au dernier chapitre. Quand ce processus est en route, il absorbe énormément. Aurélie Magnin trouve ça génial, quoique perturbant parfois, y compris pour son entourage. «Par exemple, on me parle, mais au même moment, mes personnages parlent dans ma tête et j’ai des révélations. Il ne faut pas que je loupe ça, il faut que je le note!»
Concernant Timothée Brahms et les dingueries follement dangereuses des mondes possibles, le procédé est autre. Elle fait beaucoup de recherches préalables, décortique tout, se met dans la peau du personnage adolescent, et connaît la fin à l’avance. «Par contre, j’écris à l’intérieur de la structure en fonction de mes envies. Je peux commencer par le chapitre 23 si je veux.» Ce livre compte lui aussi un deuxième épisode, qui vient de paraître en juin dernier. «Souvent, les suites me viennent d’elles-mêmes, comme une pulsion. Même si j’essaye de me raisonner et d’attendre qu’on me les demande», avoue-t-elle en souriant. De plus, et quelle que soit la tranche d’âge visée, ses ouvrages sont empreints d’originalité, de subtilité et d’humour. «J’aime rigoler en écrivant!»
De son métier initial lui reste son intérêt pour l’éthique, qui peut s’inviter dans ses histoires. Dans Les Gargouilles, elle a voulu montrer un personnage bon qui vit une descente en eaux troubles. Une jeune fille avec des intentions pures, mais qui s’est peu à peu convaincue d’un objectif la poussant à faire du mal à des êtres qu’elle aime. Autres thèmes possibles: la manipulation, le harcèlement scolaire ou le courage moral. «Quand je travaillais sur des mandats liés à la prévention de la délinquance juvénile, j’avais la certitude que la littérature et le sport peuvent énormément aider voire sauver des jeunes.»
Stratégie méthodique
L’auteure ne vit pas encore de sa plume. Ayant presque tout arrêté pour écrire à fond et progresser, elle est passée d’un très bon salaire à quasi rien. Elle s’est donné deux ans pour voir ce que ça donne. Cela la stimule à travailler de façon dense et organisée. «J’aime me mettre des délais. Il faut réussir à se canaliser, à choisir parmi toutes mes idées. Il faut que ça roule.» Elle gère son calendrier avec agilité pour ne pas voir son temps d’écriture mangé par les tâches quotidiennes. «J’y vais pas au petit bonheur. Il faut que je fasse mes heures, et je vise un nombre minimum de signes par jour.» Elle profite de chaque seconde pour travailler, entre le ménage, les devoirs de son fils, le chien à sortir et le reste. Elle emmène parfois son ordinateur en cuisine pour continuer à écrire tout en préparant le repas. Cependant, on l’a vu, l’inspiration surgit parfois inopinément. «On peut être sûr que si j’éteins l’ordi et que je mets la laisse au chien pour le sortir, une idée va venir.» Il est alors essentiel d’avoir un carnet sous la main pour tout noter.
Vu sa ribambelle de carnets emplis de projets, elle n’a pas l’angoisse de la page blanche. Plutôt un risque de s’éparpiller, confie-t-elle. Cette multiplicité permet toutefois d’avancer dans un autre projet en cas de panne sur celui en cours. Rien de tel que de piocher un autre carnet et d’en taper l’amorce au propre. Autre astuce: «Chaque soir, je place dans mon carnet une idée croustillante à exploiter le lendemain. Comme ça, je saurai quoi faire et je serai motivée.» L’écriture d’un livre lui prend en général 6 à 8 mois. Son fils attend impatiemment qu’elle lui lise ses histoires. Et en les disant par oral, elle remarque plein de choses à remodeler. Parmi sa cinquantaine de projets se trouvent encore sa trilogie pour adultes et deux autres livres à destination de ce même public. Elle pensait qu’écrire pour les enfants allait lui servir pour ces chantiers-là, mais ils ne sont plus prioritaires. «Je m’éclate en jeunesse!»