Un matin

Un matin est un livre-jeu dans lequel, après une nuit mouvementée peuplée de cauchemars en noir et blanc, une petite fille s’éveille dans un monde en noir et blanc ; elle entreprend de chercher où sont passées les couleurs. Laurie Agusti et Jérôme Dubois fusionnent leurs imaginaires et leurs styles graphiques pour cette proposition à la fois inquiétante et ludique.

À chaque étape du récit, plusieurs propositions de numéros de page sont données : selon le choix du lecteur, le récit avance ou se relance, puisque le seul but, c’est quand même de revenir au monde « d’avant ». Le procédé est efficace et la lecture aléatoire aisée, malgré le nombre de pages conséquent. Un jeu de l’oie s’ajoute à la fin de l’histoire, pour prolonger le jeu sans doute.

Le souvenir des couleurs revient d’abord sous la forme de drôles de roues équipées de mains et de pieds gantés de noir, ce qui leur donne une plus grande expressivité corporelle, comme des mimes, même si elles sont aussi dotées de la parole. Ces roues sont ornées comme une palette de quelques taches pastel très clair, une ébauche de couleurs, une réminiscence de ce qu’elles représentent. Nouvelles Mary Poppins, elles entraînent la petite fille à la redécouverte enchantée de lieux ou d’expériences qui l’ont marquée, mais dont elle aurait négligé le souvenir : le parc voisin où elle jouait enfant, la rue où se gare le camion du pizzaiolo, les différents films vus au cinéma… Elle fait aussi de nouvelles expériences, balade sur les toits, attractions de la fête foraine, dont les miroirs déformants du Moon Mirror sont sans doute la plus proche représentation de ce monde d’illusions. Autant de références que les auteurs égrènent au fil des expériences, des flèches directionnelles et des renvois de page en page, alors que la couleur se réinstalle, en larges aplats délimités par le trait noir du dessin. Mais, excepté le rouge vif, l’ensemble reste dans des tonalités très éclaircies, presque allusives.

L’aventure est sobrement déclinée dans un album horizontal, de type bande dessinée, et l’expression graphique est très géométrique, le trait fin et acéré. Le texte lui-même est écrit au normographe. L’agencement des cases alterne entre régularité, pour le cheminement dans la ville par exemple, et distorsion pour restituer l’impression de déséquilibre, la perte de repères tangibles. Peut-être le procédé aurait-il pu être davantage exploré, pour donner un peu plus de densité et de profondeur à cette expérience bouleversante a priori, mais qui reste ici, assez superficielle. Les derniers tableaux, propositions de conclusion aléatoires, multicolores et fourmillant de détails, tranchent avec cette rigueur graphique, sans pour autant lui apporter un relief supplémentaire. Un livre-jeu, une « fantaisie », qui ne semble pas vraiment abouti.