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Un tour du monde en 80 albums avec l’itinérante Satomi Ichikawa

L’autrice-illustratrice japonaise est installée à Paris depuis 50 ans, mais ses histoires se déroulent dans des coins reculés du monde entier… où elle est allée.

Satomi Ichikawa
Dominique Petre
2 novembre 2023

C’est à proximité de la ville de Gifu, au milieu de l’île principale du Japon, que Satomi Ichikawa est née il y a 74 ans. Elle a grandi entourée de nombreuses tomates (cultivées par sa mère) mais d’une d’offre de loisirs limitée. Comme l’explique l’autrice-illustratrice aux enfants qu’elle rencontre à Francfort au printemps 2023[1]: «Il n’y avait pas de cinéma ou de théâtre et, essayez de vous imaginer, pas d’accès internet».

Carte du monde en album, Satomi Ichikawa
Quelques-uns des albums de Satomi Ichikawa, inspirés par ses voyages dans le monde entier (© Dominique Petre)

Pas étonnant donc qu’à l’âge adulte, Satomi Ichikawa veuille aller voir ailleurs. Suivant le conseil d’un couple d’Italiens rencontré à Tokyo, elle s’envole pour Pérouse où elle apprend la langue de Dante pendant quelques mois. Ses ressources diminuent et elle entend dire qu’en France on peut travailler comme jeune fille au pair. Satomi Ichikawa débarque à Noël dans la capitale française, âgée de 21 ans. «Je suis immédiatement tombée amoureuse de Paris», explique-t-elle, «la ville est si belle!».

Plus de cinquante ans plus tard, elle a conservé à la fois son passeport japonais et son amour pour Paris. C’est dans le quartier de Montmartre qu’elle vit et invente les histoires de ses albums – plus d’une vingtaine d’entre eux ont été publiés par L’École des loisirs. En tout, dans le monde entier, Satomi Ichikawa comptabilise plus de 80 livres à son actif!

Satomi Ichikawa
Des doudous dans l’École européenne, un dessin et un chapeau kirghizes au Lycée français Victor Hugo (© Dominique Petre)

Un premier album édité en Angleterre
Quand elle débarque à Paris, au début des années 70, Satomi Ichikawa ne parle pas français et travaille comme nounou. Elle n’a jamais appris à dessiner mais quand elle tombe par hasard, dans la vitrine d’un bouquiniste, sur un livre illustré par Louis-Maurice Boutet de Monvel, un aquarelliste du XIXe siècle, elle a comme une révélation. «J’ai décidé de me mettre à dessiner ce que je trouvais tellement mignon», raconte-t-elle: «les enfants».

Elle réalise un premier projet de livre – en anglais – et traverse la Manche en ferry, dessins et texte sous le bras. «Arrivée à Londres, je suis entrée dans une librairie, j’ai ouvert un livre qui me plaisait et j’ai noté l’adresse de la maison d’édition. Ensuite je suis allée frapper à leur porte pour leur montrer mon travail», retrace-t-elle. Le plus incroyable, c’est que cette stratégie fonctionne: le premier éditeur ainsi abordé, William Heinemann publie en 1976, A Child's Book Of Seasons ([Le livre des saisons d’un enfant]). L’album sera même traduit dans plusieurs langues (mais pas en français).

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On comprend que Satomi Ichikawa ait craqué: l’album illustré par Boutet de Monvel déniché dans la vitrine d’un bouquiniste. Satomi Ichikawa à l’École Européenne de Francfort (© Hachette, © Dominique Petre)

Encouragée par ce coup d’essai, Satomi Ichikawa continue à croquer dans son carnet ce qu’elle peut observer et ce qui lui plaît: des enfants, des animaux, des peluches. En 1989, L’École des loisirs publie son premier album en français: Les amis du vieux château. Nora, une jeune héroïne accompagnée d’une kyrielle de doudous, y fait une première apparition.

Comme Satomi Ichikawa l’explique à Sophie Chérer pour L’Album des Albums (L'École des loisirs, 1997) ses albums sont en partie autobiographiques: Nora, la petite fille de ses histoires, c'est elle: «Je suis très enfant, je collectionne les poupées et les ours en peluche, j'aime m'amuser, m'émerveiller, j'arrive sur les autres comme un papillon sur les fleurs!».

Aux quatre coins du monde
Les fleurs sur lesquelles Satomi Ichikawa butine sont dispersées aux quatre coins du monde. Comme le montre la carte sur laquelle elle colle différentes couvertures de ses albums selon le lieu où ils se déroulent, on pourrait la qualifier d’exploratrice-autrice-illustratrice.

Avant de venir à Francfort, elle a effectué une tournée au Maroc dans le cadre du festival La Cigogne Volubile… dont le thème du voyage lui est allé comme un gant. Un de ses albums, inspiré par un précédent voyage en Afrique du Nord, Le magasin de mon père, a été traduit en arabe par TAHA Éditions près de 20 années après sa publication en français, une grande joie pour Satomi Ichikawa.

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Plurilingue: «Le magasin de mon père» existe désormais aussi en arabe; au festival Nippon Connection Satomi lit «La fête de la tomate» en japonais (© Dominique Petre)

Comment naît un album de Satomi Ichikawa? «Pendant le voyage je dessine tout le temps», raconte-t-elle, «c’est grâce à cela que je fais de si belles rencontres». Rentrée à Paris, elle imagine à l’aide de ses souvenirs et de ses croquis un nouvel album.

«Le plus difficile à dessiner, ce sont les animaux», explique Satomi au jeune public qui reste scotché à ses lèvres. «Impossible de leur demander de rester immobiles». Pourtant ses derniers albums font une large part aux caïmans, vaches, orangs-outans et chevaux. Les relations enfants-animaux sont un des leitmotivs de son œuvre. Son album le plus populaire Y a-t-il des ours en Afrique? est rempli d’animaux de la savane africaine. Publié 1998, l’album sur le nounours égaré – que Satomi Ichikawa a emmené avec elle à Francfort – a été maintes fois réédité.

Article Satomi Ichikawa
Un ours et l‘album dont il est le héros dans l’école Textor; rencontre avec Jörg Mühle et Constanze Spengler organisée par l’éditeur Moritz Verlag à Francfort-sur-le-Main (© Dominique Petre)

La fête de la tomate, un album japonais
Ses cahiers d’esquisses – qu’elle montre volontiers dans les classes – sont des carnets voyage illustrés. Il n’y en a pas moins de cinq pour La fête de la tomate. Le livre occupe une place particulière dans sa bibliographie, parce que Satomi tenait beaucoup à situer l’action d’un de ses albums dans son pays et même son village natal. «Ma maman de 97 ans travaille comme quand j’étais petite dans ses champs de tomates», explique-t-elle. «C’est comme si presque rien n’avait changé depuis mon départ il y a plus de 50 ans». Sa mère porte toujours des vêtements traditionnels, mais Satomi admet en souriant qu’«elle est sans doute la dernière à le faire».

Satomis Mutter, Fête de la tomate, Satomi Ichikawa
Cherchez la ressemblance: Une photo de la maman de Satomi Ichikawa et une illustration issue de «La fête de la tomate» (© Satomi Ichikawa privé, © L’école des loisirs)

«Une tomate que l’on déguste juste après l’avoir cueillie n’a pas du tout la même saveur que celle que l’on achète au supermarché», explique Satomi Ichikawa à des enfants puis, se tournant vers les adultes, elle ajoute «c’est ma madeleine de Proust».

Grande observatrice
Comme la plupart des illustratrices, Satomi Ichikawa est une grande observatrice, consignant ses images dans ses cahiers de voyage. Les albums naissent d’anecdotes et d’observations récoltées au cours de sa route. En Tanzanie, Satomi Ichikawa avait remarqué que les enfants, quand ils sortaient de l’école, couraient chez un marchand de bonbons… faits avec les graines du fruit du baobab. Un fruit qu’elle montre lors des rencontres pour expliquer comment est né dans sa tête l’histoire de Baobonbon.

Au Pérou, dans les hauteurs loin de la ville, elle mange matin midi et soir des pommes de terre. Quand elle demande aux enfants ce qu’ils aimeraient qu’elle leur ramène quand elle reviendra les voir, ils répondent «de la crème glacée». Ainsi germe l’histoire de l’album De la glace aux pommes de terre?.

Esquisses, Satomi Ichikawa
Deux esquisses du voyage de Satomi Ichikawa au Kirghizistan (© Satomi Ichikawa privé)

Satomi Ichikawa apprécie la vie de baroudeuse dans des coins bien éloignés des touristes, souvent avec des humains restés proches de la nature. «Le rythme me convient bien», explique-t-elle, «je vais me coucher tôt et je me lève tôt, comme le soleil.» Elle n’a jamais fait de mauvaise expérience: «une femme seule et chétive, cela inspire plutôt confiance aux familles qui m’accueillent», sourit-elle. «Et le dessin permet tout de suite un contact privilégié, cela fait parler les gens».

Des enfants pris très au sérieux
Dans la vie comme dans ses albums, Satomi ichikawa prend les enfants au sérieux. Ils jouent un rôle déterminant dans les intrigues de ses histoires: dans De la glace aux pommes de terre?, Lucho est le plus petit, c’est donc lui que l’on descend au bout d’une corde dans une étroite crevasse pour sauver un bébé alpaga. Dans Baobonbon, Paa doit aller vendre des bananes au marché puis faire des courses pour sa famille. Dans Y a-t-il des ours en Afrique? Meto se charge de retrouver la jeune touriste pour lui rendre l’ours en peluche qu’elle a oublié. Dans Mon petit cheval Mahabat, c’est Djamilia qui soigne le poulain blessé et aide ainsi à le remettre sur pied.

Article Satomi Ichikawa
Le chapeau et le poncho de «De la glace aux pommes de terre?», le fruit du baobab de «Baobonbon»… Satomi Ichikawa emmène dans les classes des souvenirs de ses voyages (© Dominique Petre, © L’école des loisirs, © Dominique Petre)

Cette qualité de Satomi Ichikawa, associée avec ses dons d’autrice-illustratrice et sa vie de grande voyageuse lui donne une place unique dans la littérature jeunesse. «Mon but», explique-t-elle, «est de faire des albums qui aident les enfants à grandir». Non seulement elle y parvient, mais elle ouvre les yeux de ses petits et grands lecteurs sur l’ailleurs. Bon voyage!


[1] Satomi Ichikawa était invitée par l’Institut français Frankfurt, le festival Nippon Connection, le Lycée français Victor Hugo (avec l’association de parents UPEA), l’École Européenne et l’école Textor pour trois jours d’intervention dans des classes, un festival et une bibliothèque publique.

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Satomi Ichikawa

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