Mon petit trésor

La petite Lou et ses parents vivent dans un cirque dont les membres sont comme une grande famille. Un soir, Tonton Magie s'empare du petit trésor de Lou, un trésor qu’elle emporte partout avec elle, bien caché dans son petit sac ; surtout, un trésor que personne n’a le droit de toucher ou de regarder…

Avec Mon petit trésor, Christine Naumann-Villemin et Sibylle Delacroix signent un album vital. En effet, la métaphore du trésor leur permet d’aborder, avec beaucoup de pudeur et de délicatesse, le sujet des abus sexuels sur enfants – un sujet d’autant plus important qu’il est encore malheureusement beaucoup trop répandu. En France, un enfant est victime d’inceste, de viol ou d’agression à caractère sexuel toutes les trois minutes. Toujours en France, il est estimé qu’au moins 160 000 enfants subissent des violences sexuelles chaque année^[1]. Comme dans Mon petit trésor, celles-ci sont le plus souvent commises par un adulte proche de l’enfant, un adulte en qui il ou elle a confiance. Il est bien entendu possible que cette interprétation échappe à de jeunes lecteur·rice·s. Mais qu’importe la lecture choisie, la violence faite à Lou reste palpable et découle du même bafouement des limites imposées par l’enfant, de la même violation de son consentement.

C’est à l’aide de mots simples que Christine Naumann-Villemin décrit les mécanismes de prédation mis en place par certains adultes pour abuser des enfants présents dans leur entourage. Les dialogues avec Tonton Magie sont spécialement glaçants, mais démontrent à quel point il est facile d’abuser de la confiance de Lou, qui voit en lui une figure familiale d’autorité. La même simplicité permet à l’autrice de décrire la détresse psychologique qui s’impose chez la victime et le sentiment de honte qui l’empêche de dénoncer l’agresseur. Heureusement pour Lou, ses parents et le reste de la troupe la croient, l'accompagnent avec bienveillance, prennent sa défense et la protègent contre son oncle. Il s’agit là d’un message important pour les lecteur·rice·s adultes : trop souvent, c’est le manque d’écoute des adultes qui muselle les victimes et conduit à de graves répercussions sur leur santé mentale et physique.

Malgré la difficulté et la violence du sujet, les illustrations de Sibylle Delacroix sont douces et lumineuses, traduisant avec brio l’imagerie propre à l’univers du cirque. Nous sommes happés par ces belles images à fond perdu qui nous plongent au plus près de la vie de la troupe. Mais tout n’est pas que lumière et douceur : prenant le relais là où les mots s’effacent – comment dire l’indicible ? – et prolongeant le récit, les illustrations racontent leur propre histoire et offrent un riche contrepoint au texte de Christine Naumann-Villemin.

Il y aurait encore tant à dire de ce livre somptueux, percutant, admirable. Avec Mon petit trésor, autrice et illustratrice mènent un combat d’envergure qui nous concerne tous et toutes : celui de mettre fin au silence autour des violences sexuelles faites aux enfants.

[1] https://enfance.gouv.fr/sites/enfance/files/2023-09/DP%20Violences%20sexuelles%20faites%20aux%20enfants%20VDEF.pdf